"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

dimanche 31 mai 2009

Plan de coupe

Ai transmis hier soir sans tarder des condoléances enjouées au vieux maire de la capitale européenne du savon, au nom de mes administrés allègrement contrits. Ne sais pourquoi, aux premières sonneries de son portable, me sont revenus ces mots d’Hermione dans Andromaque : "…ma vengeance est perdue / S’il ignore en mourant que c’est moi qui le tue". Impression de se retrouver nu toujours sous la plume de Racine, comme sous un portique de collège ou d’aéroport. Pagnol peut en tout cas aller se rhabiller aux vestiaires de l’OM, il n’emportera pas 2013 au paradis !


Sincèrement, trois ans avant l’échéance suprême, quel candidat à la présidence de la République pourrait prétendre réunir autour de lui une foule en liesse de quatre-vingt mille personnes ? Et pourtant, je l’ai fait ! J’ai réussi ce tour de force ! Les images qui font aujourd’hui exploser l’audimat sur toutes les chaînes de France et de Navarre en sont l’émouvant témoignage national. Leur message est clair, soyons francs : c’est conduit par un entraîneur d’exception - pudique et discret comme il sied à cette ville - qu’on devient le plus grand des champions. A Caen, Laurent Blanc a bien compris que c’est ici, vers moi, que se sont spontanément tendus les micros, braqués les projecteurs et les caméras, au coup de sifflet final. Oui, cette belle victoire est la mienne, tout le monde en convient, à l’exception de H1N1* qui n’a pu m’envoyer son message de félicitations, sa carte Orange étant épuisée. Je me mets à sa place : la formidable médiatisation de ma victoire n’est guère de nature à lui donner la banane. Berlusconien en petit diable, il doit déjà, à l’heure qu’il est, penser à s’offrir un club de foot de ligue 1. Ou plutôt à se le faire offrir par la prima donna pour son anniversaire.


Incroyable ! Roussy, accroché tout à l’heure à mes basques en vedette américaine régionale ! De quel droit et à quel titre est-il monté sur le podium, pour la présentation du trophée à mes administrés ? Habillé de bleu clair, couleur des vaincus de la veille, lui fallait-il donc à tout prix rappeler à mes supporteurs qu’il fut naguère le perdant de la ligue municipale ? Pour une fois que je n’avais pas ma pie voleuse dans les pattes, je le soupçonne d’avoir placé ses merles dans la foule, qui m’ont copieusement sifflé. Evidemment, l’injure à futur président de la République n’est pas inscrite dans notre droit ! Croyez-moi, il est bien venu le temps des cerises, et ce ne sont pas deux ou trois oiseaux moqueurs qui m’empêcheront de transformer l’essai, si l’on me permet cette ovalitude, comme dirait l’autre.


A ce propos, suis ravi que, comme Yoann Gourcuff, Marouane Chamakh se soit enfin résolu à demeurer dans cette ville, pour sa pierre blonde et sa lumière. Que j’aimerais pouvoir en faire autant ! Mais on sait bien ici à quelles hauteurs je suis destiné. Il est hors de question que je déçoive la majorité de Français qui avaient dépêché chez nous, hier soir, quatre-vingt mille délégués supporteurs ; ils m'exigent comme attaquant de l’Elysée pour la coupe de 2012, quand bien même le contrat que j’ai signé ici m’engage jusqu’en 2014. Mektoub, mon transfert est écrit : je quitterai le banc de touche.


En relisant sur l’écran les lignes qui précèdent, me dis que Denise va encore m’accuser de ne pas parler d’Europe dans un billet trop nombriliste. N’y a-t-il pas eu déjà la journée du 9 mai pour ça ? Plus sérieusement, ne sera-t-il pas temps de le faire dimanche prochain, au soir du scrutin ? Unanimes, les sondages nous répètent à l’envi qu’une majorité de Français iront ce jour là à la pêche à la ligne, alors que Razibus se démène comme un asticot, pour les faire mordre à l’hameçon d’un quotidien européen insécure. Il n’a pas tort : de Brest à Athènes et à Sofia, il est urgent d’anéantir les bandes et les voyous armés qui créent la misère et l’exclusion., par appât du gain. Oui, de Vilnius à Séville, c’est bien le droit élémentaire des chômeurs que de se rendre l’âme sereine à leur pôle emploi, sans y risquer un coup de couteau ou le vol de leur bicyclette. C’est donc dans les urnes, dimanche prochain, que démarre la sécurisation des parcours professionnels en Europe. A commencer par le mien.

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* "Hun nain", en écriture SMS.

dimanche 24 mai 2009

Dog, master & video

Digitale comme on sait, Denise est par essence une femme actuelle ; elle n’en a pas pour autant été invitée par le magazine éponyme à partager, au palais, l’intimité des chiens de Chouchou et de sa palpeuse épouse. L’affront n’est pas là cependant, mais dans une révélation très choquante de la vidéo d’anthologie qui circule en ce moment sur Internet, au beau milieu d’un dialogue que Raphaël Enthoven n’irait pas jusqu’à qualifier de philosophique.


Je me calme et m’explique ! Comme on sait, un labrador est offert à chaque nouveau président de la République française par le Québec. Notre petit cabotin n’a pas échappé à la règle, qui a reçu une jeune femelle blonde de cette race, à lui rapportée de la Belle Province par le secrétaire d’Etat à la jeunesse et aux sports - cigogne du gouvernement, rendons-lui en justice. La bête portait alors le joli nom d’Estrie, qui est celui d’une petite région du Québec frontalière des Etats-Unis, dont Denise et moi gardons un tendre souvenir. L’histoire s’arrêterait là si ses maîtres pervers n’avaient pas décidé de rebaptiser la chienne. Ce n’est pas en soi un crime, j’en conviens, mais on me fera difficilement avaler que c’est pur hasard si, venant du Québec, elle porte aujourd’hui le prénom de ma fille, comme je viens de le découvrir avec horreur ! Razibus prétend-il m’humilier ou me garder un chien de sa chienne ? Je ne sais ce qui me retient de courir acheter un corniaud à la SPA, pour le nommer Rikiki ! Assurément la crainte de faire goûter plus que de raison la pointe de mes bottes à l’innocent bâtard. Révolte et indignation ! Ce pays garantit encore la protection des mineurs, que je sache !


Pour preuve l’ardeur que met, dans notre agglomération, la police à les protéger des voleurs de bicyclette, ce dont je me félicite, en fier défenseur des deux-roues ! Soyons francs : quel administré n’a pas connaissance, dans son entourage, d’un quidam que son vélo n’a pas attendu pour quitter l’endroit où il croyait l’avoir attaché ? C’est un fléau insupportable qu’il convient d’éradiquer, quel que soit l’âge, le sexe ou l’origine des voleurs ! Et qu’on ne vienne pas me dire que, à six ou dix ans, on ne peut pas se faire un peu secouer les puces et frotter les oreilles par une police réputée engeôleuse !


N'a-t-on pas récemment attaqué le ministre de l’éducation nationale, qui venait d'affirmer que les professeurs des écoles maternelles surveillent les siestes et changent les couches-culottes ? Solidaire de cet ami plein de bon sens, je lui suggère d’introduire, dans le master de ces enseignants, un module de formation à l’enquête judiciaire et à la répression des délits, puisqu’ils répugnent à voir les forces de l’ordre tourner autour de leurs sanctuaires. Croit-on que j’aie construit deux cents kilomètres de pistes cyclables, dans cette ville, pour que les bicyclettes y promènent des voleurs plutôt que leurs propriétaires, y compris avec des petites roues à l’arrière ! A ce propos, il est troublant qu’on n’y ait encore jamais vu flâner ma pie voleuse, à l'instar de ma grande saucisse : ne saurait-elle donc pas monter à vélo ? Je jure pour ma part ne l’avoir jamais croisée. Sauf peut-être à mon insu sur un porte-bagages, en femme invisible. Qui m'éclaircira ce mystère ?


Charme du blogue, qui permet de sauter du coq à l’âne. Oublié de mentionner plus haut que la fameuse vidéo de Carlita est en bonne place sur le Facebook présidentiel où, m’informe Denise, le petit Hun apparaît bronzé et souriant, en chemise blanche à col ouvert. Entre autres informations essentielles, on y a apprend qu’il est en train de lire "Le Rouge et le Noir de Stendhal". Génial ! Julien Sorel ne trouve-t-il pas après tout Mathilde désirable que parce que les autres la désirent ? Sinon une clé d’analyse du lecteur, voilà bien une preuve qu’il est retourné au moins une fois dans la bibliothèque de l’Elysée, depuis sa photographie officielle. Pourvu qu’il ne me corne pas les pages, j’ai horreur de ça !


P.S. Le maire de la cité phocéenne au nom de vieux poêle l’a échappé belle hier soir ! Bravo à nos footballeurs d’avoir, par leur score modeste, permis de le laisser mariner encore une semaine, en continuant de croire qu’il peut péter plus haut qu’il n’a le derrière, si l’on me permet cette trivialité. Où l’on comprend enfin qu’il est autrement plus facile de s’improviser capitale européenne de la culture que champion de France de Ligue 1. Me dira-t-on enfin pourquoi ces maudits juges ne lui ont pas filé un carton rouge en septembre !

dimanche 17 mai 2009

Transpolitique

Coincé cette semaine, dans les salons dorés de la mairie, entre la célèbre dame enchapeautée aux airs de vieille hôtesse d’Air France à la retraite - que je soupçonne de dormir avec sa tenue de bord -, et sa belle de Fontenay de l’année. Denise me dit que j’y avais l’air aussi à l’aise qu’à la fête de la patate à Eysines. Pourquoi pas, tant qu’on y est, à celle de la morue à Bègles ! On peut rire, mais il n’y a pas de quoi en faire une brandade ! Que voulez-vous, je ne suis pas le héron de la fable : difficile de faire le nez sur ce qui passe près du 45e parallèle, si l’on veut faire parler un peu de soi dans le journal ! Et il n’y a pas plus de honte, après tout, à se montrer avec miss France qu’avec un ancien mannequin de gauche reconverti dans la chanson ou la République.


Il faut dire que je viens de vivre une semaine excitante, entre cette vieille rombière grimée dont ni le pseudonyme ni le chapeau ne cachent la roture, un sommet bruxellois où il était question rien moins que de bicyclettes, la réunion du conseil d’administration du centre hospitalier et l’inauguration de la foire avec Roussy. Un agenda à faire verdir de rage jalouse Rikiki de droit ! Tout de même, réussi à apercevoir au CHU la pie hospitalière du conseil général, qui fuit toujours mon champ visuel, comme on sait. No comment. Réunion soporifique au possible, tant il y a peu à dire sur l’hôpital en général et le nôtre en particulier, en très bonnes mains avec Roselyne qui fait ses comptes d’apothicaire. Un adjoint radical du conseil municipal avoue m'avoir trouvé un peu éteint. Curieuse remarque à la réflexion : me voit-on jamais allumé ?

A propos de Roselyne, j’ignore ce qui, tout d’un coup, a conduit cette femme bon chic bon genre à retirer la transsexualité de la liste des maladies mentales. J’avoue être moi-même très réticent tant c’est la porte ouverte à toutes les dérives ; et je vois bien l’intérêt électoral que veut en tirer le petit Pinocchio qui, évidemment, tire comme d'habitude les ficelles. Soyons francs : il est fasciné par les trans ! Et persuadé que beaucoup d’hommes de gauche ont un problème de genre au parti socialiste. Regardez Besson, par exemple, homme de droite prisonnier pendant des décennies d’un corps et d’une pensée sénestres, qui rédigeait naguère encore de féroces libelles contre Razibus et son gré - qu’on me pardonne ce zeugme. Aujourd’hui libéré de ses ex-pulsions contre nature, il s’épanouit chez nous dans la rétention et la reconduite aux frontières. C’est très bien, mais je pose la question : notre parti a-t-il vocation à recueillir en son sein toute la misère du monde socialiste, même si nous seuls pouvons aider ces malheureux à devenir ce qu’ils sont ?


Croyez-moi, les trans de gauche doivent absolument demeurer des cas psychiatriques en politique, sauf à accepter qu’ils nous envahissent et prennent nos places ! Demain, nous dit-on, c’est le géochimiste tonitruant de Jospin qui va faire son rentre-dedans au gouvernement, si l’on n’y met pas le holà ! Roselyne ne peut nier tout de même que celui-là est bien un malade mental avéré, que la sécurité sociale doit continuer de prendre en charge à cent pour cent. A soixante-douze ans, nul ne lui fera plus jamais comprendre que, d’un côté ou de l’autre, il est un volcan éteint quand bien même il gronde encore.


Sérieusement, me voit-on, moi, transhumer avec armes et bagages au P.S. ? Je ne suis pourtant pas dénué d'une certaine sensibilité de gauche, comme chacun sait, par fidélité au message social de l'Eglise. Mais commettrais-je telle folie que, à quatre-vingts ans, j'attendrais encore de revenir aux affaires ! Par principe, je m'oppose donc résolument à la régularisation des trans en politique, et soutiens leur reconduite aux frontières des partis. Oui, rendons leur falot ministre des affaires étrangères aux socialistes ! Il vote pour nous ? Tant mieux, cela nous fera un ami dans la place ! Laissons-leur de grâce le ministre de la culture de François Mitterrand, puisque déjà il vote avec nous ! Et pendant que nous y sommes, comme me l'a suggéré Geneviève de Fontenay, rendons-leur aussi Jean Jaurès, à défaut de la première miss de France!


dimanche 10 mai 2009

Vinaigritude


En reprenant hier soir, sur ma table de nuit, Le nègre de Surinam*, me suis demandé si des pygmées ont jamais été embarqués par nos armateurs vers les Antilles, pour empiler deux fois plus d’esclaves dans la cale des navires... A propos de pygmées, le nôtre n’aurait pas pris beaucoup de place ce matin dans les salles de l’ancienne faculté de lettres, mais on le dit farouchement opposé à l’esclavage que représentent ses obligations officielles en ce mois de longs week-ends. Arraché à contrecœur à la Côte-d’Azur, il a donc applaudi en vitesse hier soir des Bretons de couleur sur le gazon du stade de France et, la coupe étant pleine, basta pour la commémoration !


Il me déteste ? Il me snobe ? Qu’importe ! Mes administrés et moi-même nous sommes très bien passés de Sa Petitesse pour inaugurer entre nous ce matin, dans notre beau musée, les nouvelles salles dédiées à la mémoire de l’esclavage. Quelques ministres s’étaient joints à nous - qui sans doute pointeront bientôt au chômage en travaillant au black -, dont une femme d’intérieur venue en voisine, qui nous a délivré un discours à la fois convenu et convenable. Soyons francs : j’aimerais parfois avoir plus de mérite à briller que devant pareil aréopage, mais les grandes pointures sont si rares au sommet du pouvoir qu’on est souvent, hélas, le seul à s’y apprécier à sa juste valeur !


Inutile de dire que mon agaçante agasse était là, dressée sur ses petites pattes, feignant de ne toujours pas comprendre que, illégitime, elle est interdite d’existence et de photo en présence du vrai député de la deuxième circonscription ! Je dois cependant avouer ne pas l’avoir vue personnellement : qu’elle me pardonne et soit félicitée pour sa remarquable transparence. Denise m’assure en revanche avoir aperçu une députée radicale de gauche et de couleur, dont le nom évoque vaguement celui d’une loi ; la dame aurait franchement pu s’épargner le voyage entre la Guyane et la Guyenne, au prix que cela coûte. D’autant qu'elle se serait plainte qu’on ne soit pas allé la quérir à l’aéroport. A quoi sert donc la navette ? Comme me l’a fait remarquer un grand nom du rhum, ces gens-là ne sont jamais contents : ils se plaignent si vous allez les prendre chez eux, mais râlent encore quand vous négligez de les accueillir chez vous. Quoi que vous fassiez, ils vous cassent du sucre sur le dos et n’obéissent en fin de compte qu’à la canne ! Voilà comment, ingrats, ils vous remercient de leur sacrifier une journée annuelle de printemps ! Le buste de Toussaint Louverture ne leur suffit pas ; vous verrez qu’ils exigeront bientôt que soit donné le nom d’Aimé Césaire à notre futur pont levant, dont le passage sera soumis à un péage vocal, chaque conducteur étant contraint de demander pardon pour que s’ouvre une barrière !


Il paraît que dehors, pendant que nous officiions autour de la négritude enchaînée, d’aimables CRS donnaient allègrement sous la pluie un peu d’exercice à quelques manifestants mal informés, réunis là en pensant que nous célébrions les sans-papiers. Tout le monde peut se tromper, et cette petite bousculade a finalement donné une note festive à une commémoration, avouons-le, par ailleurs un peu austère.


Allègrement : je ne croyais pas si bien dire ! Je lis à l'instant dans le journal que le chasseur de mammouth ferait actuellement ses exercices d’échauffement en public, en vue d’une entrée imminente au gouvernement, exhibant déjà un gros portefeuille : commerce international et industrie, excusez du peu ! C’est une humiliation ! Pourquoi le pygmée qui m’a boudé ce matin offre-t-il sur un plateau à cet éléphant grossier, friand de magasins de porcelaine, ce qu’il s’obstine à me refuser contre l'intérêt général ? Cela ne tourne pas allègre mais au vinaigre ! Mon destin et celui de notre cité ne sont-ils pas finalement inscrits dans ce mot acide, qui dit à la fois le vin et la négritude ? En toucher deux mots à Tillinac.

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* Dans le Candide de Voltaire : « En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus que la moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite. « Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais-tu là, mon ami, dans l'état horrible où je te vois ? - J'attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre. - Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t'a traité ainsi ? - Oui, monsieur, dit le nègre, c'est l'usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l'année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait : " Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux, tu as l'honneur d'être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère. " Hélas ! je ne sais pas si j'ai fait leur fortune, mais ils n'ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous. Les fétiches hollandais qui m'ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d'Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains. Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas en user avec ses parents d'une manière plus horrible. »


dimanche 3 mai 2009

Un nom de stade

Quelle joie et quelle liberté que de pouvoir défiler vendredi incognito dans les rues de la ville, sous de joyeux calicots, avec près de cinquante mille de mes administrés exaltés ! Comme au temps de ma jeunesse, Serge Reggiani chantait "Les loups sont entrés dans Paris", et moi, pas rasé, dissimulé sous une longue perruque grise, façon soixante-huitard impénitent porteur d’improbables Ray-Ban, je déambulais près de Marie-Agnès qui agitait son drapeau des MJS, telle la liberté guidant le peuple en tee-shirt. D’un coup, j’étais Gavroche en quête de barricade ! Dans cette communion festive, mes voisins de marche n’ont pas semblé s’étonner que je ne reprisse pas des slogans au demeurant sympathiques, non par respect de Razibus, il va sans dire, mais de crainte qu’on reconnût ma voix. Roussy m’a souri mécaniquement en me serrant la main, et j’ai carrément cru, un instant, devoir claquer la bise à ma pie voleuse, qui déjà me tendait les lèvres. Il y a tout de même des limites ! Grâce au Ciel, je profitai du passage de Mélenchon, en apparition souriante de christ rebelle, pour me précipiter vers lui et quémander autographe et bénédiction. A propos, qu’est devenue la jeune chienne de ma dame de pique, qui conduisait naguère les brebis socialistes en cortège ? Que n'était-elle de la fête pour me montrer les crocs ?


Denise me dit qu’il arrivait aux empereurs romains, tel Claude, de se mêler comme moi à la populace pour en prendre la température. C’était bien sûr avant l’invention du thermomètre. Il ne me déplaît pas, en ce 1er mai prometteur, de m’être inscrit d’instinct dans cette auguste tradition, sans en avoir la connaissance historique. Malgré mon règne sans partage sur la cité, je dois à la vérité de rapporter que, sous les fenêtres de l'hôtel de ville, mes compagnons de pavé ne m’honorèrent d’aucun refrain ou autre quolibet, leur imagination étant bien trop occupée au nain du jour. Il faut dire que nos travailleuses et nos travailleurs n’ignorent pas mon combat quotidien, silencieux mais résolu et acharné, pour sauver leur entreprise et leur emploi, à la fois d’une crise que personne n’a vu venir, et d’une politique absurde dont chacun peut mesurer les dégâts, quand bien même parfois il la soutient. Les populations laborieuses savent ce qu’elles me doivent dans leur malheur ; elles n’ignorent pas non plus mon expérience amère des licenciements et des lettres de motivation à quoi il n’est jamais répondu, malgré un C.V. d'exception. Nous sommes dans la même galère.


Oui, dans la même galère mais, à leur différence, "je ne regarde jamais derrière moi. Je regarde toujours devant. Je veux aller le plus haut possible." Pour les faire miennes, j’emprunte ces belles paroles à Souleymane Diawara qui, muni de ses souliers à crampons, attend avec gourmandise d'écraser ce soir les Sochaliens chez nous. Soyons francs : si j’étais le capitaine de pareille équipe, le charlot de la Lanterne serait relégué depuis longtemps en seconde division ! Hélas, par un étrange système de vases communicants, il semble qu’à tout jamais mes performances et celles de notre ballon rond dussent être contraires. Si nos joueurs gagnent, je perds, et inversement. Puisse au moins mon thème astral rétif, en ce terne printemps politique, permettre à nos footballeurs de laver bientôt l’affront toujours vif d’une capitale pagnolesque à prétentions européennes. Nous avons perdu Ford : il nous faut aujourd’hui transformer l'essai et battre Peugeot - je veux dire Sochaux - pour que jamais les nobles accents de l’Hymne à la joie ne puissent se mêler à celui de la Canebière, dans des relents de pastis à l'heure de l'apéro. Soyons sérieux : l'Europe et le football méritent mieux que Fernandel.


Tout compte fait, il ne reste donc guère aux Lyonnais que leur rosette ; autant dire que le pays n’a d’autre choix à cette heure que d’offrir la coupe de France à mes administrés. On me dit que Zouzou lui-même y serait résolu, ayant négligé en juillet dernier d’étendre le champ constitutionnel de ses prérogatives au football, malgré l’insistance de Jack Lang. Double championne de France cette année, il est légitime que notre ville soit récompensée par la construction d’un second stade, de sorte à tenir son rang lors de la coupe européenne de 2016. Nous allons mettre sans tarder cette grande réalisation en chantier : je m’engage solennellement à revenir de Paris avec la première dame digitale de France pour son inauguration officielle. Pensez que notre grande métropole sera la seule de ce pays, d’Europe et du monde à compter alors deux stades d'envergure dont chacun portât le nom d’un ancien maire Premier ministre. L'un, encore vivant, étant de surcroît président de la République. Oui, Souleymane, je suis disponible pour servir. Droit au but, jusque là-haut ! Devine qui va dégager en touche...