"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

dimanche 19 juillet 2009

Hamlet


Enfouir ou ne pas enfouir, c’est à n’y rien comprendre : je suis écartelé tant ces juges patrimoniaux me soumettent à la question ! Je refuse d’enfouir le pont sous le fleuve ? Ils me stigmatisent ! J’en prends acte et enfouis les vestiges du porche de l’église romane d’Aliénor ? Ils s’apprêtent à me poursuivre, à me délabelliser ! J’entends déjà d’ici les hurlements si, bon prince, je redéterrais ces poteaux médiévaux sans intérêt, pour les coiffer d’un caisson de verre opaque, identique à ceux des trémies du parking, par souci de cohérence architecturale !


Il suffit ! Durant la campagne municipale de 2008, ai-je jamais prétendu que j’exhumerais ces vieilles pierres pour les mettre sous cloche ? Non ! Le maire est seul maître à bord ; une fois élu, et bien élu, il n’a pas à se justifier chaque matin auprès d’administrés ignobles, qui n’ont pour tout esprit que celui de la revanche ! On a déjà voulu me faire tourner en bourrique avec un pont tournant, qu’on ne s’imagine pas m’envoyer passer le mois d’août à l’asile d’Aliénor ! Impatience d'être en vacances, tant ces chinoiseries sont épuisantes !


Des vacances que je passerai bientôt à Hossegor, où je me consacre chaque année à une auguste passion, ignorée du grand public : l’ornithologie. On n’imagine pas tout ce qui vient nicher l’été dans les pins ! Sans fausse modestie, je dois avouer que les spécialistes me reconnaissent une certaine compétence dans l’étude de la migration estivale des corvidés. Pour tout dire, je suis assez fier de pouvoir identifier individuellement chacun de ces ladres volatiles. Ainsi d’une pie urbaine, qui me poursuit jusque là tous les ans au mois d’août. On dit que déjà, dans la plus haute Antiquité, la pie était un oiseau de mauvais augure ; l’observation minutieuse de ses mœurs, comme de son pouvoir de nuisance, me permet de conclure à une totale absence d'évolution depuis ces temps immémoriaux.


Certains me prétendent mu par le dépit. Pussent-ils avoir raison, tant je rêve d’être un jour enfin "dépité" si l’on me permet ce détournement sémantique, sans mauvais jeu de mots ! J’y travaille discrètement, avec une joyeuse petite troupe municipale formée à l’ornithologie, que j’ai chargée de plumer intégralement la bête. C’est que, tant qu’il lui restera une plume, croyez-moi, elle la trempera dans le vitriol pour m’éreinter, fût-ce au milieu des pins d’une plage landaise, à l’heure où d’autres s’abandonnent au soleil et aux chichis ! Si la pie est infatigable et obstinée, mes plumeurs sont de bons petits soldats, bêtes et disciplinés.


Grâce au Ciel, on ne voit jamais Razibus l’été du côté d’Hossegor ! Il faut dire qu’il a d’autres lieux de villégiature, entre toutes ses résidences présidentielles et celles de sa prima donna. Il pourrait bien néanmoins aller se faire bronzer cette année du côté de Souzy-la-Briche, une location étant sans doute au-dessus de ses moyens, après le remboursement au fisc de quatorze mille euros, pour de menues dépenses personnelles indûment réglées par le château. Même si la somme est insignifiante, je suis toujours révolté que des élus de la République, jusqu’au sommet de l’Etat, puissent profiter impunément de l’argent des contribuables ! L’étourderie a bon dos : c’est une monstruosité qui doit faire se retourner le Général dans sa tombe !


Si la cour des comptes n’y prenait garde, la famille du petit Tom pourrait en effet s’installer demain - à l’œil ou pour un loyer dérisoire - dans les résidences inoccupées de Rambouillet, de Marly-le-Roi et de Souzy-la-Briche. Soyons francs : on a hélas déjà vu cela ! A la corruption, ne doit plus s’ajouter comme naguère l’arrogance et l’impunité. Il serait en effet inadmissible, en période de crise, que la cour ne veillât point à ce que de telles pratiques, hautement répréhensibles, fussent définitivement bannies, tant au niveau de l’Etat que des collectivités locales. Je me fais personnellement une trop haute idée de la République pour ne transiger jamais sur ce principe fondamental. C'est dit !


Une pie vient de traverser le jardin comme une flèche. Denise joue à me mettre en garde : quand il vole seul, cet oiseau est un présage de malchance pour les Allemands, et de colère pour les Écossais. Lui répond sèchement que nous sommes en France, où je n'ai que faire de l'Europe des superstitions. Sait-on, à ce propos, pourquoi la pie est une créature maléfique ? Parce que, dit-on, c’est le seul oiseau qui refusa d’entrer dans l’Arche de Noé, préférant rester perché sur le toit de l’embarcation. Où l'on comprend que Noé n’a pas dû rigoler tous les jours dans ce Déluge !


lundi 13 juillet 2009

Pont du 14 juillet

A mon banquier, qui me faisait remarquer jeudi avec humour que Youpi est un joli nom d’emprunt, j’ai rappelé mon acharnement à en faire plutôt un nom d’empreinte, dans la ville et dans le monde. Quel que soit son succès, de toute façon, l’emprunt de Rikiki de droit ne portera pas mon nom, mais le sien. Oui, l’empreinte ! Soyons francs : bien qu’on en célèbre partout l’envergure, je ne prétends pas que mon œuvre littéraire traverse le millénaire. S’il a la force d’un vœu monacal de chasteté, mon renoncement durable à la guigne hiémale n’a pas plus de vocation multiséculaire, en effet, qu’un vulgaire bocal de griottes au sirop d'érable. C’est que presque tout, en politique, porte quelque part sa date de péremption. Ce qui s’y imprime, voyez-vous, n’a guère une durée de vie plus longue qu'une profession de foi ou un bulletin de vote. Qui n’est pas gros d’une œuvre s’efforce donc de donner le change dans le gros œuvre, pour laisser sa trace.


Une bonne fois pour toutes, qu'il soit clair que j’ai quant à moi décidé que mon empreinte locale prendrait la forme d'un pont majestueux, digne des pharaons, malgré qu’en aient les petits juges de l’UNESCO, infiltrés comme on sait par des associations rétrogrades, qui réclament un tunnel comme des néo-néandertaliens leur caverne. Nous sommes au XXIe siècle, bon sang de bois ! On n’enterrera pas mon pont levant ! Au contraire, il dressera bientôt sans pudeur sur la courbe du fleuve ses quatre gigantesques colonnes, tel un dieu quadrithyphallique ! Quatre colonnes rostrales pour célébrer ma mâle victoire fluviale sur l'obscurantisme vaginal des tunneliers ! Elles écraseront de leur majesté et de la mienne des riverains ignares et stupides, qui ne voient pas plus loin que le bout de leurs berges, ni plus haut que le toit de leurs méchantes échoppes.


Ce pont devra naturellement porter un jour mon nom qui, si les Français comme moi le réclament, sera aussi celui d’un grand président de la République. Notre agglomération, qui a déjà son pont Mitterrand, mérite bien après tout son pont Youpi, surtout si elle doit renoncer à un grand stade du même nom. Quand s’en élèvera enfin le noble tablier au-dessus du fleuve, qu’importe que ce ne soit pas pour laisser passer de hauts immeubles flottants, privés de tirant d’eau comme de grâce ! Qu’importe que cela coupe toutes les voies de circulation, qu'il ne passe ni bateaux ni voitures ! J’aurai vaincu ! J’aurai eu raison de la bêtise humaine ! Je serai digne de régner sur la France ! A ce propos, qu'a jamais construit Razibus ?


Comme je l’expliquais à cet aimable banquier, on ne risque rien à laisser son nom à un pont, bien au contraire. Ainsi saint Jean, qui n’a jamais crié gare, n’en est-il pas moins aimé du christ dans les évangiles, ni Mitterrand de l’actuelle majorité présidentielle. Il peut être en revanche délicat de laisser son nom à un emprunt, comme l’a appris à ses dépens tel président qui prétendait, voilà plus de trente ans, se rallier "deux Franchais chur trois". Tant qu’à passer à la postérité, autant que ce ne fût point à la manière de Poubelle, de Maginot ou d’Alzheimer. Voire même par la bande, comme Velpeau.


Lit-on encore de nos jours L’Education sentimentale, qui doit bien se trouver quelque part sur les rayonnages du pygmée à l’Elysée ?... (A ce propos, nous dira-t-on jamais si notre petit Tom a dépassé le premier chapitre du Rouge et le Noir ?) Flaubert y écrit qu’"Il y a des hommes n’ayant pour mission parmi les autres que de servir d’intermédiaires ; on les franchit, ajoute-t-il, comme des ponts, et l’on va plus loin." Je suis de ces missionnaires d’exception, en position au travers de notre fleuve tumultueux pour en relier les rives. Tous les juges de l’UNESCO pourraient me passer sur le corps que je ne m’en relèverais pas !


Je n’ignore pas, pourtant, qu’une langue de pie vipérine, sèche alma mater de l’opposition locale, me surnomme déjà le zouave du pont levant, me promettant de l’eau dans mes bottes à la première marée ! J’ai même reçu par courriel, avec ses appels à la raison, l'extrait d’une chanson de Reggiani dont on se souvient peut-être : "Je m’appelle Octave / Et je fais le zouave / Sur ce pont damné / Ou chaque année / Je sens qu’mon cas s’aggrave". Qu'on juge ce qu'il faut de sang-froid et de patience pour feindre d'ignorer son incessant persiflage ! Denise a raison : cette pie qui chante est une vraie casse-bonbons !

mardi 7 juillet 2009

La petite commission

Denise a trouvé ce matin, dans notre boîte à lettres, un mien bulletin de vote de la dernière municipale, proprement plié en quatre, portant au dos l’inscription suivante, au feutre vert : "T’ai gonfler, t’a pu de portefeuille mais tu fait qu’en même les comissions ! Sé encore nous con va payez !" L’écriture n’en est point trop enfantine, malgré l’immaturité de l’orthographe et de la conjugaison. L’école coûte bien cher à la République pour un rendement aussi discutable.


Avoue que ce billet anonyme ne manque pas d’esprit, mais ai-je vraiment le choix ? Feins d’ignorer que le pygmée se paie ma tête en me forçant à une rance conjugalité primo-ministérielle, avec ce socialiste presque octogénaire qui fait les commissions comme d’autres des ménages. Je nous vois déjà sous ce gros titre, en couverture du magazine Notre temps : "Un vieux couple autonome qui fait encore ses commissions tout seul ! " Il a quinze ans de plus que moi, tout de même ! L’avantage, me jure Razibus, c’est que j’aurai l’air jeune à ses côtés. Mais je SUIS jeune, bon sang de bois ! De surcroît, c’est là une commission bien modeste : pourquoi ne m’avoir pas plus simplement nommé ministre d’Etat à l’emprunt ? C’eût été moins humiliant que ce secrétariat d’Etat aux aînés, que j'ai refusé sèchement, bien qu'il fût taillé spécialement pour ma personne ! Cela dit, on sait que mon duettiste, ancien inspecteur des finances que détestait Mitterrand, contrairement à un autre, a pour lui d’avoir servi la politique sous un nom d’emprunt, à l’époque du PSU. On l’appelait alors Michel Servet, ce qui me promet une franche rigolade !


Comme je tentais de bavarder hier au téléphone avec l'honorable vieillard, en m'enquérant par politesse de ses problèmes d'articulation, trois vers d’Athalie m'ont traversé l’esprit, échappés d'un songe racinien virant au cauchemar : "Même elle avait encore cet éclat emprunté / Dont elle eut soin de peindre et d’orner son visage / Pour réparer des ans l’irréparable outrage." Répare-t-on jamais les outrages ? L’éclat emprunté de mon nouvel acolyte le dispute à celui du gouvernement et de la République ; l'astre est éteint, même s’il arrive à sa lumière de nous parvenir encore par intermittence. Souhaitons-lui de refléter au moins la mienne, dont il aura bien besoin.


Toujours pratique et optimiste, Denise me jure que cette "siamoiserie" commissionnée tombe à point nommé, dans le débat sur le repoussement de l’âge de la retraite. Je ne vois pas le rapport. A moi, ce débat rappelle surtout l’effronterie d’un syndicaliste dont je tairai le nom, qui m’avait affirmé à Matignon qu’on ne fait pas repousser l’âge de la retraite plus facilement que les cheveux. J'en ai fait l'amère expérience. Soyons francs : la perspective d’une pension de l’Etat est pour moi repoussante ; je ne puis l’imaginer sans nausée, sans dégoût ! On a tant à donner encore à la France à soixante-quatre ans ! Pourquoi diable un couperet à soixante-sept ? Me révolte la seule pensée que certains élus de la République aient pu, naguère encore, jouir de leur retraite de haut fonctionnaire avant la soixantaine, en toute impunité ! C’est bien par fidélité au message social de l’Eglise que je ne citerai pas le nom d’un ancien Premier ministre à prétentions présidentielles, inspecteur des finances dans le civil. Ces socialistes n’ont décidément ni éthique ni vergogne ! Par curiosité, demander au tombeur de Couve à quel âge il a lui-même fait valoir ses droits.


Je reconnais que la commission de l’emprunt n’est pas la Commission européenne mais, à défaut de la seconde, je préfère la première à une partie de tarot au club du troisième âge d’Hossegor ! Les hommes politiques, voyez-vous, craignent plus les maisons de retraite que l’enfer, pour y avoir serré trop de mains maigres, molles et tavelées, dont le seul intérêt était qu’elles pussent glisser encore le bon bulletin dans l’urne, fût-ce avec la tremblote. Me voit-on franchement dans une salle commune, somnolant sur des mots fléchés, entre deux pauvres vieilles à l’esprit égaré ? Va pour la coprésidence avec l’antique parpaillot ! Evidemment, j’attends ma pie voleuse sur ce coup-là ! Je l’entends déjà nous raconter doctement, sur son blogue, les confidences d’un confrère urologue par elle consulté : passé la soixantaine, inspecteurs des finances, anciens Premiers ministres ou hommes de la rue, nous sommes tous logés à la même enseigne - résignés à nous lever au milieu de la nuit pour la moindre petite commission !