"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

dimanche 2 août 2009

Le talon d'Achille

Ecrire de tout et de rien au petit matin en attendant le lever du soleil derrière les pins, puis sortir incognito de sa coquille, s’étaler sur la plage pour y cuire à feu doux au soleil, sous le regard indifférent de noirs surfeurs, en marche vers leur duel avec les rouleaux, sans armes ni témoins sur le pré bleu de l’océan. Liberté grande de l’anonymat paisible et délicieux, quasi nu sur le sable chaud, loin des autographes, des dédicaces et des paparazzis.


Ainsi cédé-je quelques jours, tous les ans, à la tentation d’Hossegor - petite madeleine salée de mon enfance landaise - où il me plaît de croire que je rencontrai peut-être jadis pour la première fois François Mitterrand, croisant intensément son regard sans en comprendre plus que lui la raison. Que je rencontrai aussi Anne, jeune Auvergnate de deux ans mon aînée, qui avait en 1961 plus de chances de s’éprendre de moi que d'un François d'âge paternel ; elle ignorait que nous serions un jour l’un et l’autre présidents de la République. Curieux destin ! M’eût-elle choisi plutôt que lui au début des sixties qu’elle ne fût pas veuve aujourd’hui du père de sa fille ; il serait encore temps pour elle de devenir première dame de France, plutôt que d'être condamnée à l’ombre sépulcrale de l’alcôve. La revois sous sa voilette noire, en janvier 1996… A propos, qu’est devenue Baltique ? Morte évidemment. Comme son maître, elle m''aimait bien. Me renseigner sur le lieu de sa sépulture, pour y déposer à l’occasion quelques roses rouges.


S’ils ont tous une vie de chien, les présidents ne sauraient prétendre à la mort anonyme de leurs chiennes. Ainsi de Rikiki le Grand, pour qui toutes les rédactions de France et de Navarre bouclaient fébrilement leur nécro, il y a huit jours à peine. Ai pris ici avec moi un nécessaire pour remonter directement à Paris, au cas où le premier cœur chancelant de France viendrait à lâcher. Conscience grave d’être le seul recours en cas de vacance estivale du pouvoir. Nonobstant les propos convenus des porte-parole de l’hôpital et du château, les Français ont bien compris que leur Achille a son talon dans la poitrine, ce qui gêne la course malgré la talonnette. Le 18 août – j’allais écrire le 18 juin ! –, que le pire soit alors arrivé ou non, je leur déclarerai solennellement qu’ils peuvent compter sur moi, à l’occasion de l’hommage littéraire que me rendront les Hossegorois et les Hossegoroises, en marge de leur grand salon du livre de juillet. En ces temps de cerises maigres, je n’ai pas le droit de laisser mes compatriotes dans l’angoisse du lendemain, alors même que Razibus, reclus dans une maison de convalescence méditerranéenne, se résout à écrire les première lignes de "Je ne ferai plus de jogging en été", testament à paraître à l’automne dans la collection Soleil de Plon.


Reine de la diversion, espionne par-dessus mon épaule bronzée caressant mon torse nu, Denise suggère d’autres rencontres possibles sur cette plage, en 1961. Elle évoque je ne sais quelle fille de préfet de deux ans ma cadette. Quelle idée saugrenue ! Comment croire qu’un garçon venant d’avoir seize ans à l’Assomption s’intéressât à une gamine de quatorze déjà fort "agassante" ! Elle m’a sans doute trouvé vif et séduisant, comme toutes les filles. Je l'ai toujours été. Si elle a voulu m’aborder, il n’est pas impossible que je l’aie renvoyée sèchement à son hula hoop et à ses scoubidous ! Comment pourrais-je me le rappeler, après tout ce temps ? L’océan efface les souvenirs comme les châteaux de sable, voyez-vous, mais pas les blessures que son sel brûlant continue de mordre.


Puisqu’il est question de la dame de pique, vu ce matin qu’elle avait ouvert ses volets. Me méfier du chien en passant par là. Je vous parie que, comme à la ville, elle va nous sortir sa table de camping et son parasol pour recevoir ses indigents sur la plage, qui peut-être ont planté sauvagement par là leur petite tente Quechua pour la suivre ! C’est qu’elle aime geindre et faire accroire que je la laisse sans abri estival pour ses bonnes œuvres cantonales. Soyons francs : ce n’est pas totalement faux, mais je dois bien la préparer à prendre ma place de SDF – Sans Députation des Français. C’est assurément la première chose qu’elle n’aura pas volée, croyez-moi ! Dire que, si elle avait su s’y prendre à Hossegor dans les années soixante, elle se préparerait à devenir bientôt la première dame de France ! "Nous l’avons échappé belle mon doudou", me murmure Denise en effleurant mon crâne de ses mains digitales.