"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

lundi 24 mai 2010

Pour une tolérance durable


C’est avec émotion et reconnaissance que je tiens à remercier ici les cent cinquante élus, conseillers spéciaux, parents, administrés et représentants des cultes qui m’ont entouré, soutenu et encouragé vendredi, lors de mon grand rassemblement municipal pour la tolérance. Qu’ils me pardonnent de n’avoir pu les saluer individuellement, en raison de leur grand nombre et d’un agenda très serré. Je sais pouvoir maintenant compter sur les fidèles lecteurs de ce blogue pour relayer ces supporteurs et, munis de leur bâton de pèlerin, porter à leur tour la bonne parole dans la ville et dans le monde. Le combat pour la tolérance est engagé : c’est tous ensemble que nous allons le gagner !  

Mais soyons clairs : qu’est-ce que tolérer ? On sait ici mon goût pour la mémoire des mots, et ma réputation de donneur de leçons, hérités l’un et l’autre de formations supérieures d’élite à l’enseignement des lettres et à la haute administration. Souffrez que, sans en abuser, je convoque l’étymologie pour éclairer ma démarche œcuménique, sous un angle dont je déplore qu’il ait échappé aux observateurs les plus avertis, dans la presse comme dans les blogues les plus malveillants. 

Par "tolerare", les Romains signifiaient "porter, supporter le poids d’un fardeau physique ou moral". C’est bien là le sens de "supporter avec souffrance" qui est passé fidèlement en ancien français. Cette souffrance originelle demeure pour moi intrinsèquement constitutive de la tolérance au XXIe siècle, nonobstant la patience qui s’y est substituée en langue moderne, à quoi ma nature est notoirement rétive. Tolérer, voyez-vous, c’est tout à la fois supporter, et souffrir en silence de supporter jusqu’à l’insupportable. 

Homme de tolérance fidèle au message fondamental du latin des moines, croit-on que je n’aie pas souffert dans ma chair et dans mon cœur de dévoluer certain lieu de culte désaffecté à des chrétiens factieux, excommuniés par le Saint-Père ? Oui, je les ai supportés, n’écoutant que mon devoir ! Cela ne signifie en rien que je les aie soutenus, quoi que prétendissent improprement les supporteurs sans vergogne d’une opposition municipale peu scrupuleuse de la langue, qu’elle a très acérée. Oui, ces traditionalistes, je les ai tolérés, tout simplement ! Comme je tolère une pie voleuse dans le siège du parlement historiquement dévolu au maire de cette ville, ni plus ni moins. Quelle est la différence ? Croit-on ma souffrance moins grande ? On n’exhibe pas ses blessures, on les supporte, on les endure. Et puis, n’ai-je pas eu raison avant tout le monde, puisqu’un nouveau pape a décidé de réintégrer nos Eligiennes et nos Eligiens dans le giron de son Eglise ? Tenant à en découdre, me dit-on, mon agaçante agasse s’est arraché une plume pour lui écrire benoîtement, et avoir ma peau au nom de la loi. Peine perdue, le Saint-Père m’a à la bonne, n’ignorant pas ma fidélité au message social de Rome ! 

A ce propos, soyons francs : je l’ai récemment rappelé, cette ville n’est pas exclusivement dévolue à l’opulente bourgeoisie du bouchon, comme on l’imagine trop facilement dans les favélas de Rio ou les bidonvilles de Jakarta. Derrière notre richesse de façades, la pauvreté s’immisce sournoisement dans des logements humides et insalubres, où vivent nos indigents sans emploi qui ont la chance d’avoir encore un semblant de toit. Bien sûr nous tolérons cette misère inéluctable, dans l’acception latine susmentionnée. Ne sous-estimons donc pas le lot de souffrances morales qu’elle inspire aux âmes sensibles des beaux quartiers, jusqu’au dégoût ! Parce que notre résistance a des limites, je lance aujourd'hui un cri d’alarme ! Plus nos indigents sont nombreux en deçà du seuil de pauvreté, plus nous sommes menacés de basculer nous-mêmes au-delà du seuil de tolérance. Que se passerait-il si nos digues venaient à rompre demain et que bientôt nous ne supportions plus cette misère durable ?  

Eh bien, j’ai acquis la certitude que la solution est là encore dans l’innovation ! C’est pourquoi j’ai décidé de créer dans cette ville la première maison de la tolérance durable, comme nous avons construit celle de l’écologie. Plusieurs espaces déclinant les tolérances utiles à une société moderne pourraient y être aménagés, y compris une salle de la tolérance zéro contre la délinquance des pauvres, justement chère au président Rikiki. Denise, que l’idée emballe, me suggère un petit espace dévolu à la tolérance de l’opposition municipale. Soyons clair : je n’en vois pas l’intérêt, cette opposition mesquine et effrontée étant intolérable. Il ne faudrait tout de même pas pousser le bouchon trop loin ! Ne suffit-il pas du reste que ces gens soient déjà tolérés dans la salle du conseil à l’hôtel de ville ? S'il y tient, autant que le public vienne les y voir à l'œil in situ, dans le silence de leur souffrance quand j’ai coupé le courant de leurs micros… Les pauvres, dites-vous ? Oui, précisément, comme EDF avec les pauvres !

samedi 15 mai 2010

Retraite éligienne


Je dois des excuses et quelques explications aux nombreux fidèles de ce blogue qui, depuis quelques jours, s’inquiètent d’un long silence à quoi je ne les ai pas accoutumés. Qu’on me permette de les rassurer, retour d’une retraite bien méritée en Normandie, dans un paisible petit village où le temps était suspendu, jusqu’au cadran de l’église dont les aiguilles, frigorifiées, semblaient refuser l’écoulement factice des heures, lui préférant l’éternité de Dieu, plus propice à l’ascension de l’âme et du corps.

C’est dans cette petite bourgade de Saint-Eloi-de-Fourques que nous avions loué incognito une chambre d’hôte, où nous devions demeurer paisiblement en lectures et en prières jusqu’au week-end ; Mamert, Pancrace et Servais nous en ont finalement chassés, dont le triste mai n’a pu faire fondre les saintes glaces. J’étais parti sans bonnet de laine et, en toute confidence, n’ai jamais supporté la flaccidité froide et humide de la bouillotte à l’aube, sous un édredon trop lourd. Cerise sur le gâteau : nous espérions une messe à la mi-semaine mais, impénétrable, l’église Saint-Eloy a zappé jeudi l’Ascension du Christ en langue vulgaire. Les bras ballants devant son porche, sous un gros if dont la généreuse ramure ne pouvait nous protéger de bourrasques sibériennes, il ne nous restait guère qu’à mettre les voiles. Ce qui fut fait, avec un crochet par Cabourg.

Espionne assidue de ce blogue, je ne doute pas que ma dame de pique s'amuse à persifler sur mes nouveaux déboires avec Eligius, comme le nomment affectueusement nos frères traditionnalistes. Balivernes ! J’ai en fait beaucoup d’affinités avec saint Eloi. Sait-on, par exemple, qu'il était orfèvre en matière de finances, à mon instar ? Il faut dire qu’il avait été à bonne école ; propriétaires de plusieurs domaines, ses parents avaient en effet, dit-on, des intérêts dans quelques mines d’or en Aquitaine. Ce n’était pas l’ENA, certes, mais peut-être à l’occasion une source naturelle de deniers occultes. 

Autre ressemblance avec moi, Eloi de Noyon n’était pas homme à s’embarrasser de circonlocutions, si l’on en croit Ouen de Rouen, son saint biographe. Ainsi ne craignait-il pas d’appeler la rigueur par son nom, qu’il revendiquait comme moi jusque dans ses bottes. Soyons francs : nous avons servi l’un et l’autre un roi fainéant, comme l’a rappelé un jour Rikiki sans excès de délicatesse. Eloi fut comme on sait nommé évêque de Noyon après avoir servi Dagobert. Un laïc ne pouvant devenir de nos jours le bon pasteur d’un diocèse, je crains hélas que mes pas ne me conduisent à la papauté républicaine, plutôt qu’à quelque évêché de province. Puisse saint Eloi m’y inspirer demain : ses recettes seront les bienvenues pour redresser les finances d’une  France surendettée où, devenus des euros, les écus ne valent plus tripette sur les marchés.

Puisque j’évoque incidemment le petit Hun, Denise me rapporte que quelques copines du triangle s’émouvraient du soutien enthousiaste que je lui ai récemment apporté, dans une innocente petite vidéo commémorant le troisième anniversaire de son avènement. Je l’y aurais exagérément encensé, en totale contradiction avec mes coups de boutoir à ses réformes de hussard en mars et avril derniers. C’est bien mal comprendre une situation délicate. Qu’on le veuille ou non, Razibus est le chef du parti d’union que j’ai naguère mis au monde et dont j’ai encore besoin. J’étais donc en service commandé, dans un exercice convenu, disons à la manière d’un ouvrier de combinat chimique pour l’anniversaire du conducator, à la belle époque du communisme. Je n’avais pas le choix. On ne gâche pas ce genre de fête, surtout pour s’exposer à de terribles représailles. Il faut savoir lire entre les lignes, voilà tout. Ainsi pourra-t-on vérifier que je n’ai jamais affirmé que Rikiki-de-droit avait réussi cette grosse tranche de quinquennat, mais dit à peu près, de mémoire : "Je crois qu’il a fait avancer les choses", et puis : "Je crois qu’il faut continuer comme ça".

Oui, je crois, non point au sens du credo chrétien mais du doute, de l’incertitude. Je n’affirme rien, tant je puis bien sûr me tromper. "Cuiusvis hominis est errare", comme nous l’a enseigné Cicéron, en des temps où chacun parlait encore latin en sixième et à la messe. Je reconnais facilement mes erreurs, on le sait, ce qui ne signifie pas que je retourne ma veste comme le bon saint Eloi la culotte de son roi. C’est que, de l’avis général, nous avons aujourd’hui sur le trône une majesté plutôt culottée, si vous voyez ce que je veux dire ! Quel autre recours que moi a la France pour éviter la déculottée en 2012 ? L’Europe et le monde comptent sur mon expérience et ma personne. Cela m’oblige, je ne me défilerai pas. Cette fraîche villégiature éligienne a décidément confirmé mon inaptitude à la retraite, sans pour autant me dégoûter de la pension (la table d'hôte était excellente). N'ayez pas peur : jamais je ne tournerai le dos à mes fidèles !