"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

dimanche 27 février 2011

OK d'accord !


Retour du Brésil, une ancienne ministre des Affaires étrangères me faisait remarquer l’autre jour que les mauvaises nouvelles tombent parfois en Rafale. Me suis abstenu de lui répondre que les bonnes aussi, tant à quelqu’un toujours malheur est bon comme l’enseigne le proverbe. Soyons francs : il n’est point déplaisant de voir la poisse s’accrocher à ses Basques quand on l’a traînée trop longtemps à ses semelles. Denise me souffle d’offrir « La pâtisserie pour les nuls » en cadeau de départ à notre amatrice de cornes de gazelle,  puisqu'elle est au bout du rouleau. Rentrée à la maison, m’assure-t-elle, elle aura tout loisir de s’essayer à la génoise, élément de base du diplomate et de l’ambassadeur, moins collants au dentier et plus fins au palais que les douceurs orientales.

A ce propos, je ne résiste pas au plaisir de rapporter un appel impromptu de Rikiki vendredi sur mon portable, dans cette langue magnifiquement vivante qui est la sienne : « Alain, y paraît que t’as fait r’viv’ les quais dans ta ville, hein, qu’y z’étaient complètement en ruine, c’est vrai ça ? Une merveille de rénovation  qu’elle me dit ma femme, même qu’elle a pensé en faire une chanson (Oh oui, ravale-moi encore la façade !). Si t’es sympa, tu me fais en vitesse trois devis pour le quai d’Orsay, qu’il est à l’abandon depuis des années dans un État pas possib’ ! Brice y fait expulser la vioque qui le squatte, je la fourre dans un taxi pour Tobrouk avec son jules, j’te donne le chantier et pis toi tu r'dores mon blouson pour 2012, d'accord ? T’es gentil, hein, tu m’donnes ta réponse tout d’suite pasque j’ai aussi l’accro de Boucher sur le coup ! A plus ! »

J’étais comblé bien sûr, mais ma joie le disputait à l’angoisse de me retrouver brutalement sans Défense, de surcroît au milieu du gué dans un scrutin cantonal déterminant pour l’avenir de notre Démocratie. Sentiment vite estompé cependant par l’appel du devoir : le salon de la rotonde ne se refuse pas, surtout quand il vous est offert par l’un des plus brillants présidents de l’histoire de la République, qui plus est à la manœuvre aux prestigieuses manettes du G8 et du G20 ! Jamais je ne me suis dérobé quand sont en jeu l’honneur et le rang de la France dans le monde ! Si telle est la volonté de Razibus, je suis donc disposé à cumuler les Affaires étrangères et la Défense, sans décharge municipale.

Je comprendrais en effet que nos forces armées prissent mal que je quitte l’hôtel de Brienne au bout de trois mois et demi, comme un vulgaire ministre de la IVe République en des temps où, me dit-on, il fallait être prêt à valser pour entrer au gouvernement… Deux fois moins longtemps à la Défense que mon prédécesseur au nom de stade en 57-58, c'est un peu volage, voire effet-maire, je l’admets humblement. Surtout quand on est célébré par l’état-major comme le plus grand ministre de la Défense du XXIe siècle, sinon de tous les temps ! N’est-ce pas Bismarck qui disait que « la diplomatie sans les armes, c’est la musique sans les instruments » ? Toute la presse me joue « Sambre et Meuse » : quel triomphe ! J'arrive au Quai en fanfare !

Quel bonheur et quelle émotion aussi, tout de même, de me retrouver lundi grand patron du « Département », comme on dit dans les chancelleries ! N’est-ce pas un superbe clin d’œil du destin à ma candidate au Conseil général ? Notre pie revêche doit piaffer de rage dans son nid à cette heure, forçant pour nous pondre un communiqué assassin, jacasserie sans lecteurs dans quoi elle prétendra que les affaires de la ville me sont, décidément, de plus en plus étrangères ! Furieux que l’histoire me repasse les plats avec autant de complaisance, je ne serais point étonné que déjà même son chien et elle me vissent Premier ministre ! De grâce, madame,  si vous faisiez un peu de bicyclette, vous sauriez que je ne suis pas dans ce gouvernement une rustine en quête de dissolution ! Non, dans cette partie de jeu de l’oie présidentielle, je préfère sauter la case Matignon pour atterrir directement sur celle de l’Elysée en 2012. En parachute, car j’ai bien sûr décidé de ne pas rendre mon paquetage !

lundi 21 février 2011

Alzheimaire


Hier, en déplaçant des livres, Denise a exhumé un vieux polar du Fleuve Noir : Votez Bérurier, en édition originale. Émotion de retrouver là, entre les doigts caressants de ma femme digitale, un San-Antonio vintage de mes années à Normale Sup… Entre les deux tours de la présidentielle de décembre 1965, je m’en souviens très bien, ce bouquin le disputait aux Mémoires du cardinal de Retz sur ma table de chevet, rue d'Ulm. Plaisir à en feuilleter quelques pages après déjeuner, comme il y a plus de quarante ans en douce dans un cours de grec ou de philologie médiévale… Soutien indéfectible et affectueux de Rikiki, je me dis que les Français ont peut-être après tout, à leur façon, voté Béru en 2007.

A ce propos, passé la soirée d’hier à préparer la visite du président Razibus demain dans notre ville, pour un bilan Alzheimer au CHU. Sait-on que cette terrible maladie neuro-dégénérative, à ce jour incurable, frappe plus de 800 000 personnes en France ?  L'équivalent de la population de notre métropole ! Elle touche hélas de surcroît toutes les couches de la société, sans distinction, et l’on ignore trop souvent que la classe politique elle-même paie un très lourd tribut à ce fléau national. C’est très grave, comme le pointe Frédéric Dard dont Les pensées de San-Antonio sont curieusement classées entre celles de Pascal et ma Tentation dans notre bibliothèque familiale. Comme en écho à la visite présidentielle, Denise y a trouvé ce matin ceci, qui ne manque pas de profondeur nonobstant une apparente légèreté : « Un politicien ne peut faire carrière sans mémoire, car il doit se souvenir de toutes les promesses qu’il lui faut oublier. » Entre nous, je doute fort que notre petit Tom garde plus qu’un autre le souvenir de ses absences… C'est que, comme San-Antonio, il nous sert lui aussi La Vérité en salade !

Plus sérieusement, combien voyons-nous hélas de maires, de députés, de ministres dans la force de l’âge, apparemment en possession de tous leurs moyens, ahuris et déboussolés qu’on leur mette un jour sous le nez des déclarations écrites ou enregistrées dont ils ont totalement perdu la mémoire, comme si elles avaient été proférées à leur insu, voire forgées par quelque imitateur à seule fin de leur nuire ! Comment leur faire comprendre sans les heurter qu’ils avaient bien publiquement juré, quelque temps auparavant, renoncer définitivement à la convoitise de telle charge ou de tel mandat ? Qu’ils avaient pris avec solennité tel engagement jamais honoré ? Ce serait cruellement les contraindre à regarder dans les yeux ce « mal qui répand la terreur », et vous fait oublier jusqu’à votre nom quand on commence à vous affubler du sien !

Pour me rassurer, un maire-adjoint officiant au CHU m’assure qu’une haine tenace résiste en général aux assauts de la maladie, quand bien même le patient oublie à qui il la voue. Ce n’est à mon sens qu’une piètre consolation, tant il me semble que, fussé-je atteint de ce terrible mal, je serais embarrassé d’un ressentiment cornélien dont l’unique objet eût fui ma mémoire à tire-d’aile. Si la vengeance est un plat qui n’a nul besoin d’être réchauffé au micro-ondes, encore le repas doit-il être pris à deux, et si possible en dehors de l’unité Alzheimer d’un hôpital ou d’un EHPAD ! Pourquoi pas, par exemple, à la loyale dans une urne de chef-lieu de canton ? En chiens de faïence, façon Bas les Pattes ou Mes hommages à la donzelle !

L’actualité du weekend me conduit cependant à m’interroger. Cette épouvantable maladie qui déleste l’être humain de sa connaissance, de ses savoirs et de ses compétences ne toucherait-elle pas aussi prématurément parfois des sujets encore très jeunes, athlètes en pleine forme physique et intellectuelle ? Ainsi de nos malheureux footballeurs qui, hier encore champions de France, se montrent chaque semaine bien incapables de mettre un ballon dans les filets, comme si leur pauvre cerveau avait été ramolli à l'instar de leurs mollets, voire déprogrammé ! Le capitaine de l'équipe parle d’une débâcle, et l'entraîneur d’un cauchemar, qui m’accuse en claironnant que « la Défense n’a rien fait » ! Voulait-il donc que je fisse sauter nos paras en plein match sur le stade de Lorient ?  Soyons francs : nos joueurs sont perdus, désorientés, à tel point que je me demande aujourd’hui s’il ne faudrait pas tout simplement oublier le grand stade… A ce propos, que le dircab me retrouve le mégalo qui a imaginé ce projet pharaonique : j’aurais deux mots à lui dire ! Mais que m'a-t-il pris d'écouter le président du Conseil général ? Celui-là aussi, croyez-moi, il a Du Mouron à se faire !

lundi 14 février 2011

Des boute-en-train


Je doute que, dans les instituts d’études politiques ou à l’ENA, on initie encore nos étudiants aux rudiments de l'hippologie, science pourtant indispensable à une parfaite connaissance de l’homme et de la femme politiques dans leur complexe globalité. Dans ma jeunesse, nos maîtres savaient en effet que les partis, comme les électeurs, doivent s’assurer de miser sur le bon cheval, de sorte à ne pas se retrouver, un beau matin au réveil, avec un tocard au parlement ou à l’Elysée. C'est qu'une élection n’est au fond qu’une course hippique à deux tours, où l’on fait son pari gagnant dans les urnes. A ce propos, je voudrais vous parler aujourd’hui de la saillie et des règles strictes qui la gouvernent, en politique comme dans nos prestigieux haras nationaux.

La saillie – à quoi ne répugnait pas le Général dans ses conférences de presse, mais c'est là une autre histoire – est soumise à un rituel immuable et rigoureux, dont croit hélas pouvoir s’affranchir de nos jours une classe politique composée de petits fonceurs, façon Razibus, trop pressés de tirer leur coup franc pour s’embarrasser d’arabesques et autres préliminaires inutiles. Si je n’ai pas personnellement, me semble-t-il, une réputation de joyeux drille qu'on s'arrache aux noces et aux banquets, ce billet dominical n’en est pas moins, comme on va voir, un vibrant plaidoyer pour l'urgente réhabilitation du boute-en-train en politique.

Soyons francs, le sujet est un peu délicat : je remercie donc les parents de bien vouloir pour une fois éloigner quelques instants leurs enfants de ce blogue. Une remarque liminaire, pour éviter par ailleurs tout malentendu : si en hippologie, comme on sait, le boute-en-train est aussi appelé « agaceur », je ne voudrais pas que mes fidèles crussent que je vais évoquer une énième fois ici telle agasse qui m’aurait prétendument soufflé un siège au parlement en 2007. Bien au contraire, mon propos est d'entretenir le lecteur du savant processus en cours par quoi, sans précipitation, je pourrai l’an prochain enfin « honorer » la République. Dans cette acception originelle, le boute-en-train est le cheval retenu, forcé à l'abstinence, dont on exploite l’abnégation dans les haras pour vérifier qu’une jument est bien en chaleur, avant de la présenter à un superbe étalon ayant mission de la saillir.

Quel rapport avec la politique, me demanderez-vous ? C’est bien simple : l’électorat est un corps vivant, noble, sensible et délicat que, telle une jument de race, on prépare à la chose par des préliminaires sous-traités au rabais, sans espoir de conclusion pour le prestataire de service. Comment ? Disons, au hasard, à la faveur d’un très modeste scrutin cantonal... Inapte à déclencher de véritables chaleurs, un second rôle sans talent ni notoriété y campe le boute-en-train chargé d’exciter par procuration l’appétit de l’électeur, en distribuant par exemple des images sensuelles et aguichantes du grand étalon, promu, vanté, mais non exposé directement à ce stade. Si l’opération réussit, le boute-en-train est aussitôt remisé aux écuries avec un seau d’avoine, cependant que le corps électoral excité s’abandonne frénétiquement au superbe étalon, dans un scrutin national torride où, enfin, la noble bête à pedigree engrossera la République de ses belles œuvres ! Comme on voit, ce n’est pas un coup d’épée dans l’eau ; le jeu en vaut vraiment la chandelle !

Fine connaisseuse, Denise me fait remarquer que c’est un peu, sur un autre mode, ce que les socialistes appellent une primaire. Si l’on veut, mais à cette différence près que l’électorat socialiste est confronté au déferlement fougueux et brouillon d’un troupeau de boute-en-train tous résolus à la saillie, dans quoi la meilleure des juments ne saurait retrouver son étalon ! Alors elle tape du sabot, elle rue, elle s’énerve ; c’est le signe flagrant, nous enseignaient jadis nos maîtres, qu'elle n’est pas du tout prête, à l'instar de l'électeur. On la comprend : grâce à Dieu, tous ces ânes excités ont déjà en brayant gaspillé leur semence !

lundi 7 février 2011

Blues

« Sur la laine du bruit quelque objet de silence, mais si vaste.
Il y va de l’amour, de son mouvement vers les vitrines attentives.
Qui s’arrête et contemple ? Ici la pensée organise l’exposition des oripeaux, et le charme s’éternise.
Là, des chats géants grattent la terre, l’acier du silence et la croyance sans objet. »*

« Le sel noir » d'Édouard Glissant encore à fleur de peau, tel le sable chaud d’une plage de Martinique, Denise et moi  pleurons ce matin Andrée Chedid, partie trop vite rejoindre au Paradis le chantre des Antilles. Pourquoi la mort ne boude-t-elle pas les poètes, tel l’hiver les cerises ? Angoisse, malaise, panique : je ne me sens pas très bien. Ces vers m’intriguent qui me résistent comme une grille de mots croisés. Faut-il à tout prix les saisir ou bien les laisser filer  entre ses doigts comme des alizés ? Vaine interrogation... Je crains hélas, cher maître, que vos « vitrines attentives » ne figurent le magasin bleu d’un mouvement qui ne déclenche plus guère d'amour ou de liesse populaire… « Qui s’arrête et contemple ? », demandez-vous pudiquement. Peut-être quelques chiens dans la nuit, levant à peine la patte au bout d’une laisse trop pressée de rentrer à la maison.

Si j’en crois Denise, « l’exposition des oripeaux » renverrait aux belles écharpes bleues de la campagne… Pourquoi pas, mais qui dira jamais la pensée qui les organise ?  La pensée ? Un esprit de revanche, tout au plus, mais ne confondons pas ici esprit et pensée quand il s'agit d'évoquer le vide ! Et puis, qu'est un charme qui s’éternise dans une vitrine sinon un charme qui ne se vend pas ? Il passe au soleil du temps dès avant les soldes et la braderie. C'est que, comme le bleu des foulards, le charme est périssable : indigo, il retournera à la poussière dans les urnes.

Poussière ? Figurant faute de mieux le chat géant du poète, ma pie voleuse gratte de sa patte la terre de son grand parc, telle une poule de basse-cour, pour en faire un grand jardin partagé : Saint-Martin partageant son manteau comme nous n’avons point su partager nos écharpes (elles ne sont pas de soie mais d’entre-soi, soit dit en passant). Est-ce donc cela le socialisme ? Soyons francs : ma dame de pique est impossible mais, comme l’écrit Andrée Chedid, « L’impossible est le seul adversaire digne de l’homme. »** Oui, continuer de se battre est la seule façon de repousser le mot « fin », fût-ce dans une pauvre cantonale, comme dirait ma meilleure ennemie cancérologue. Non, aucune croyance n’est sans objet, cher Edouard Glissant, pour peu qu’elle aide à vivre ou à survivre. Il faut croire en la victoire, même la plus improbable, comme en Dieu !

Evoqué en fin de semaine la possibilité de donner à notre grand pont levant le nom du poète martiniquais disparu. Les responsables de la voirie m’opposent stupidement l’incongruité sémantique d’un pont Glissant pour l’usager (piéton, cycliste ou automobiliste). Pour éviter tout malentendu ou dérapage, on me suggère de me rabattre sur la patinoire. Bonjour la poésie !

Le père de l’antillanité sera inhumé après-demain au Diamant, sous le soleil créole de son île natale. Regret de ne pouvoir m’y rendre au nom de la France et du président très Rikiki (24% dans les sondages : monsieur Thiers prend son quart !). A ce propos, s'assurer que la petite dame du Quai d’Orsay n’a pas profité du dernier vol du poète pour fuir à l'œil dans la Caraïbe le harcèlement des médias... Et accessoirement y faire passer ses bleus au soleil :

« Beauté beauté le monde est là et c’est ton corps bleui. »***
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*  Edouard Glissant, Villes, in Le sel noir
** Andrée Chedid, Néfertiti et le rêve d'Akhenaton
*** Edouard Glissant, Plaies, in Le sel noir