"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

lundi 19 septembre 2011

Les enfoirés !


« Un cantinier qui se rase sur l'accotement, sa glace pendue à un cerisier, attend avec nervosité, la figure débordant de mousse, que nous ayons fini de faire trembler la route. » Propos de Giraudoux remontant sans doute de Normale Sup, curieusement demeuré gravé dans ma mémoire comme un plan fugitif de vieux film muet… Prince charmant, je le réveille me semble-t-il de son Retour d’Alsace, publié je crois au milieu de la Première Guerre mondiale… Pourquoi cette résurrection absconse ? A cause sans doute, encore une fois, de l’imposteure que je me suis fait une règle de ne jamais évoquer dans ce blogue, sinon à l'occasion sous quelque nom d’oiseau à quoi elle doit aujourd’hui une notoriété bien volatile.

Peut-être à ce propos, non sans ahurissement, des fidèles de mes billets auront-ils comme moi récemment découvert dans la presse que cette méchante femme – qui prétend sans rire à ma succession au parlement en 2012 ! – venait de s’autoproclamer cantinière du régiment des sans-emploi (ou plus précisément de leur progéniture encore sous les drapeaux de nos écoles), par le biais d’une proposition de loi circonstancielle au gouvernement. Sans prétendre à ce qu’on me prît pour un éminent giralducien, bien que moi aussi diplomate distingué, je puis affirmer que, toujours pendue à mes Cerises, cette cantinière finit par me raser grave à toujours se faire mousser, dans le vain espoir de me voir trembler sur ma route !

De quoi s’agit-il ? Rien moins que d’inscrire dans le code de l’éducation nationale le droit absolu de tous les enfants scolarisés à être accueillis sans discrimination dans les cantines municipales ! C’est-à-dire, assurément, le droit des parents inscrits à Pôle-Emploi de chercher un hypothétique travail, à l’heure précise où ils devraient se trouver à la maison pour décongeler une pizza au micro-ondes en attendant que leurs drôles rentrent de l’école ! Totalement insensé quand des statistiques têtues prouvent que la majorité ne retrouveront jamais de boulot, pour autant qu'ils en cherchent ! Qu’importe ! Après le journal de Jean-Pierre Pernaut, la sieste et le café du pauvre, ils seront frais et dispos pour aller papoter en jogging sur le trottoir de l’école, en attendant tranquillement la cloche de seize heures trente !

Il n’aura bien sûr échappé à personne que cette croisade médiatisée n’a pour seul objectif que de pointer des décisions locales douloureuses, que nous impose ici bien malgré nous l’exigüité de nos cantines communales, de sorte à me stigmatiser sous les traits d’un Thénardier de la restauration scolaire qui, sans vergogne, contraint des Cosette édentées au jeûne méridien et à la décalcification, sources bien connues de l’échec scolaire qui ravage les classes populaires de ce pays, aussi sûrement que la fainéantise rémunérée et l’alcoolisme ! Publiée en feuilleton dans la presse comme les romans populaires du XIXe siècle, cette prétendue littérature législative croit-elle nous détourner par des larmes faciles du devoir qu’a l’État de rembourser sa dette souveraine ? Au prétexte de nourrir aujourd’hui les enfants de pauvres aux frais de la princesse, aurait-t-on le droit de condamner leur descendance à un endettement propre à ruiner ses espérances et sa santé ?

Soyons francs : le moins qu’on puisse dire est que l’Union européenne ne facilite guère la tâche des maires confrontés à la pauvreté endémique de leurs populations ! Ainsi les enfants privés de cantine à midi, m’informe-t-on, ne pourront-ils peut-être plus bientôt tromper leur faim le soir à la maison, faute que leurs parents aient pu s’approvisionner à l’œil aux Restos du Cœur ou autres institutions caritatives. Austérité oblige, la menace des agences de notation impose en effet de baisser de près de 75% l’aide communautaire aux plus démunis pour que, échappant à l'assiette de l’impôt, ils puissent, même le ventre vide, avoir la fierté de contribuer au remboursement de la dette nationale.

Maire ou ministre, que puis-je à une situation aussi dramatique, au-delà du partage de la souffrance des Françaises et des Français les plus affamés de justice ? Distribuer gratuitement dans les cours d’école du pain sec aux enfants qu’on ne peut accepter dans les cantines ? Ce serait nourrir leur rancœur et celle de leurs parents, dangereusement attisées par des détracteurs impénitents qui jouent avec le feu, à l’instar de mon incendiaire dame de pique ! Le pain ne suffit pas : les chômeurs ont aussi besoin de jeux ! C’est pourquoi par un effort budgétaire exceptionnel – plus de quatre millions d’euros, soit un quart du budget de l’aide alimentaire rabotée alloué en 2012 par l’Europe à toute la France ! – notre ville s’enorgueillit d’offrir bientôt de nouveau à ses pauvres un grand événement culturel, pour leur permettre d’ingurgiter gratuitement de l’art international à défaut de recevoir à l’œil du cochon européen ! N’en déplaise à Notre-Dame de la Cantine qui, clin d’œil calendaire, sera cantonnée cette semaine-là aux cuisines... de la primaire !

samedi 10 septembre 2011

Pour moi la vie va commencer


Si j’en crois cette chère Denise, on m’accuserait d’avoir sciemment oublié d’aborder ici un sujet d’actualité, au prétexte qu’il me mettrait personnellement mal à l’aise. Je veux parler de l’anosognosie, récemment popularisée par les absences répétées d’un ancien président de la République, auteur de célèbres mémoires dont curieusement personne n’avait remarqué les trous. Pour couper court à ces accusations calomnieuses, je tiens à évoquer aujourd’hui dans le détail, sans tabou, ce trouble neuropsychologique à quoi la classe politique paie, sans en avoir toujours bien conscience, un très lourd tribut.

De quoi s’agit-il ? Frappé d’anosognosie, m’explique un vieil ami du CHU, l’individu perd toute conscience de son état, même grave ; il ignore être atteint d’une perte de capacité fonctionnelle, fût-il aveugle ou hémiplégique. S’il a perdu une jambe ou son siège à l’Assemblée nationale, on dit qu’il prétend continuer de marcher ou de siéger, dans le déni total de sa prothèse ou de la personne qui l’a battu aux législatives. Incapable de percevoir qu’il a perdu une fonction cognitive ou élective, il peut aussi être victime du syndrome de l’héminégligence gauche, caractéristique d’une affection qu’on ne saurait circonscrire à l’hémicycle.

Qu’est-ce qu’un sujet héminégligent, me demandera-t-on ? Eh bien, aussi incroyable que cela puisse paraître, c'est un individu qui ne fait plus attention aux parties gauches des objets de son environnement, voire de son propre corps. Ainsi peut-il ne chausser que son pied droit, ne manger que la partie droite de son assiette, heurter son côté gauche à l'embrasure des portes, ou bien encore être totalement sourd aux arguments de la gauche dans un hémicycle ou une salle de conseil municipal, etc. On reconnaît aussi l’anosognosique à l’annonce répétitive des décisions qu’il a prises. Il est par exemple capable de convoquer chaque semaine la presse pour lui déclarer à nouveau sa candidature à tel scrutin ou à tel autre, secret qu'il semble paradoxalement être le seul à ignorer. C’est donc bien injustement qu’on essaie trop souvent de le faire passer pour un radoteur un peu saoulant ou un obsessionnel assoiffé de revanche.

Soyons francs : souffrir à son insu de cette troublante affection n’offre cependant pas que des inconvénients dans la vie, notamment en politique. Si elle donne à l’électeur attentif une impression erronée de versatilité, l’amnésie rétrograde partielle inconsciente n’explique pas moins en effet que certains élus se contredisent en toute honnêteté, parfaitement ignorants de leur position antérieure. Dans les amphis, en science politique comme en médecine, on cite souvent à ce propos tel grand maire de province réputé osciller, avec une égale sincérité, entre le serment répété d’une ascèse municipale absolue et l’abandon récurrent à la tentation ministérielle. Contrairement pourtant aux apparences, l’anosognosique n’est jamais infidèle à sa parole : c’est toujours elle qui se dérobe et s'évanouit dans la nature !

Nonobstant l’intérêt de cette fascinante pathologie de l’absence, je m’en voudrais de clore le présent billet sans évoquer ce qui devait originellement en constituer le corps : la formidable standing ovation des jeunes pop’ à mon arrivée sur le campus de Marseille, il y a tout juste une semaine ! Nul n’ignore qu’ils m’ont accueilli à notre université d’été comme une véritable star, avec la ferveur de fans exaltés par un concert de Johnny ! Mon Dieu, quelle émotion ! Pour les remercier de leur admiration, folle envie de leur chanter en retour « Pour moi la vie va commencer » ou « Be bop a Lula » (le croirez-vous, certains m'ont assuré me tenir pour le Lula français !)… Benoîte impression d’être le Pape aux JMJ de Madrid ! Gloire à toi, jeunesse mature, lucide et enthousiaste qui honore dans la joie l’auteur-interprète du chant libyen de la Liberté ! Hosanna ! Oui, grâce à toi, jeunesse de France, fort de ta foi, de ta force et de ton soutien, j’ai enfin depuis dimanche l’absolue certitude de conserver mon siège au Parlement en juin 2012 !

vendredi 2 septembre 2011

Le rivage de Syrte


Sans doute le lecteur s’interrogera-t-il sur l’emprunt singulier à Julien Gracq du titre de ce billet de rentrée, au lendemain d’une amicale conférence internationale qui a consacré à Paris la victoire de la France révolutionnaire, levée depuis six mois contre l’étendard sanglant d’un vieux tyran obsolète. L’Histoire que je viens d’écrire en Libye pour le président de la République n’est-elle pas pourtant aussi « un roman de l’attente », ainsi qu’on l’a dit du Rivage dont l’auteur refusa jadis le prix Goncourt, comme je l’eusse du reste fait moi-même, fût-il venu à l’esprit du jury de goûter chez Drouant mes célébrissimes Cerises en hiver ?

La tente de cette Histoire, c’est bien sûr celle qu’un bédouin despotique avait exigé de planter en 2007 dans le parc de l’hôtel de Marigny, en plein Paris, à deux pas de l’Elysée. Là même où le grand Razibus a présenté hier notre nouvelle Lybie aux représentants émerveillés de soixante pays, pour exorciser le lieu et le quinquennat du fantôme insaisissable de l’ignoble déchu du rikikisme. Telle une anguille dans la mer des Sargasses, on dit l'obstiné tyran retranché aujourd'hui à Syrte, sa malheureuse ville natale, qui toujours résiste à des forces rebelles grâce à nous maîtresses du pays. La fin du roman de l’attente, c’est donc désormais la longue semaine dans quoi se prolonge officiellement l’ultimatum lancé à Syrte pour sa reddition pacifique, s’il le faut par les armes.

Dans un curieux rêve la nuit dernière, en pyjama de camouflage, j’observais depuis une barque immobile le rivage lointain de cette ville endormie, qu’éclairaient à peine quelques lueurs vacillantes et silencieuses. Alors que le jour se levait, me parvint affaiblie une voix de muezzin – celle de Gracq, emphatique, comme sortie d’un haut-parleur : « Le rassurant de l’équilibre, entendis-je dans un grésillement nasillard, c’est que rien ne bouge. Le vrai de l’équilibre, c’est qu’il suffit d’un souffle pour faire tout bouger »*. Aussitôt secoué par Denise qui craignait un malaise, inquiète de m’entendre souffler comme une baleine dans mon sommeil ! « As-tu passé ta nuit avec Katia ? », me demanda-t-elle au petit déjeuner en me tendant le journal avec malice. Katia ? La maîtresse qui convainquit Alexandre II, pour son malheur, d’octroyer une nouvelle constitution à la Russie ? Ah ! sublime Danielle Darrieux dans le film de Tourneur ! Non, une nouvelle houle cyclonique sur les Antilles ! Autant en emporte le vent de l'Histoire...

A ce propos, je n'oublie pas que le long roman de l'attente, c’est aussi en ce moment celui des tribus du désert socialiste pour le choix d'un candidat à la présidentielle, dans un processus original dont je ne saurais trop conseiller au Conseil National de Transition libyen de s'inspirer, pour en prendre de la graine. Soyons francs : si, au sortir de l’ENA, j’avais choisi de m’engager à gauche plutôt qu'aux côtés du Général, comme m’y prédisposait sans doute déjà une profonde adhésion au message social de l’Église, il me plaît d’imaginer que je caracolerais aujourd’hui allègrement en tête de la primaire socialiste, loin devant les tocards et les tocardes qui prétendent me détrôner au travers de l’actuel président de la République. Qui sait du reste si, dans leurs rangs, je n’eusse pas moi-même battu le géant, l’énorme Rikiki en 2007 ? A défaut, au moins aurais-je été leur candidat naturel sur la deuxième circonscription, sans avoir à subir l’humiliation d’une dermatologue cynophile qui, non contente de me donner des boutons, rêve par-dessus le marché que je lui passe de la pommade !

Au lieu de quoi j’ai passé ma vie à attendre, à ramer, à espérer toujours dans mes voiles le moindre souffle de l’Histoire – celui-là même que j’offre aux Libyens sur un plateau, sans qu’il ait jamais daigné me pousser moi-même jusqu'au point culminant du pouvoir ! Ô mirages ! Faute d'alizés, j’ai raté le dernier virage vers l'ultime rivage : l’Elysée ! Qu’on me fasse au moins justice en dehors d’un prétoire : en des temps où l’on se souciait peu de vérifier les fadettes, j’ai payé sans broncher des factures qui n’étaient pas toujours les miennes. Sans un gémissement, je me suis laissé mettre en croix, dans un fol espoir de résurrection ! Alors, rassuré d'être dans le vrai, où trouver aujourd'hui mieux qu’en Libye la force d’attendre encore, de prétendre, de croire, de faire croire que je sais « pour quoi désormais le décor est planté » ?**
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*Marino à Aldo, Le Rivage des Syrtes.
**« …et je savais pour quoi désormais le décor était planté. », phrase finale du Rivage des Syrtes.