"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

mercredi 28 mars 2012

Le songe


Soyons francs, ne feignons pas d’ignorer des vers de jeunesse qui ont fait le buzz de la semaine dans les médias ! Publiés il y a plus d'un demi-siècle dans une revue lycéenne du chef-lieu des Landes, je dois avouer qu’ils m’étaient sortis de l’esprit. Denise, à qui j’ai fait cette confidence, me jure que mon esprit est bien plutôt sorti d'eux ; que, telle Vénus émergeant nue de l'onde, je ruisselle encore aujourd’hui tout entier de ces frais alexandrins d'adolescent, d’où sourdait déjà une faim insatiable de démocratie, de dialogue et de concertation, dans un élan d’altruisme très rare à cet âge !

Ému à l’idée que cet enfant poète fût mon père à sa manière… Fidèle et obstiné, sait-il que je poursuis sa quête, dans le sillon qu’il m’a tracé pour l’amour de son prochain ? Touché aussi de retrouver l'humour de ma maturité chez ce garçon pubère, dans un titre empreint de l’autodérision qu’on salue partout comme ma marque de fabrique : Variations égoïstes. Un clin d’œil de génie, déjà, pour chanter l’empathie !

Les accros de ce blogue ne s’étonneront pas que la joie intense et délicieuse de ces retrouvailles m’ait poursuivi jusqu’au plus profond de mon lit. Il faut dire aussi que je relis chaque soir les pièces de l’ami Racine et que, déambulant l’autre jour dans la ville, je suis tombé par hasard, dans une improbable vitrine, sur un portrait  gigantesque de mon agaçante agasse, en campagne pour me ravir mon siège au parlement. Le choc fut intense ! Bref, je m’enfonçai au coucher dans un songe étrange et effrayant. A voix haute, je ne saurais le nier puisque Denise m’a enregistré sur son iPhone :

"C’était pendant l’aigreur d’un très profond ennui.
Mon amère péronnelle devant moi s’est vautrée,
Comme au jour de ma mort honteusement enjouée.
Mes malheurs n’avaient point rabattu son caquet ;
Même elle avait encor cette verve éraillée
Dont elle eut soin de feindre d’orner son ramage,
Pour oser l’indécent, l’irréparable outrage.
« Tremble, m’a-t-elle dit, homme indigne de moi.
Le cruel Dieu des urnes l’emporte encor sur toi.
Je te plains de périr dans ses mains redoutables,
Alain. » En achevant ces mots épouvantables,
Son ombre vers mon siège a paru se baisser ;
Et moi je lui tendais les mains pour l’étrangler.
Mais je n’ai plus trouvé qu’un horrible mélange
De plumes noires et blanches dérobées à quelque ange,
Une pie jacassant en des termes affreux
Que des chiens ricanants se répétaient entre eux."

Dois-je croire en cette funeste prémonition législative ? Ma dame de pique s'apprête-t-elle à me faire mordre encore la poussière ? Peut me chaut en vérité, tant je suis fier de savoir encore tourner des alexandrins, jusque dans mon sommeil ! Si cet oiseau de malheur s’incruste à l’Assemblée nationale, je sais maintenant pouvoir toujours agiter mon Grelot et m’installer, moi, sous la Coupole. Ressuscitons Pierre Odalot, que diable ! Rendons-le Immortel ! – On est sérieux quand on a soixante-sept ans / Et qu’on marche en habit vert sur la promenade !

jeudi 22 mars 2012

La faille ?


Si je me tais comme il sied depuis plusieurs jours, l’actualité m’impose en ce jeudi d’aborder gravement, sans détour, le problème des failles à quoi m’a récemment sensibilisé un ami géochimiste de renommée internationale, au demeurant éminent spécialiste des éléphantidés préhistoriques laineux. Je n’ignore en effet plus rien de la tectonique des plaques, depuis un passionnant déjeuner à Villepinte avec ce formidable et délicat pédagogue, soutien sans faille de Rikiki à la présidentielle depuis plus de cinq ans.

Grâce à ce savant hors pair, j’ai ainsi découvert à ma grande stupéfaction que, telle l’action politique, l’activité sismique  est concentrée le long de failles, qui sont en quelque sorte de dangereuses zones de rupture dans la roche comme dans le tissu social. Les frottements qu’elles subissent génèrent une quantité inimaginable d’énergie, dont la libération brutale provoque des tremblements de terre d’une magnitude et d’une intensité qui, pour imprédictibles qu’elles soient, n’échappent jamais à la vigilance de nos services de renseignement et autres sismographes.

Il est bien entendu du devoir d’un ministre d’Etat de s’interroger sérieusement sur le risque que représentent de tels phénomènes pour la vie des Françaises et des Français. C’est pourquoi j’ai demandé ce matin sur une radio amie que, en cas d’éventuelles failles dans la géologie de l’Hexagone, en Midi-Pyrénées ou en Alsace – je cite ces deux régions au hasard –, toute clarté fût faite pour informer dûment nos concitoyennes et nos concitoyens des dangers qu’ils pourraient encourir. Je m’empresse d’ajouter qu’il n’y a aucune raison de penser, à l’heure où j’écris ces lignes, que nous eussions d’une manière ou d’une autre sous nos pieds la moindre faille.

Soyons francs : j’exclus même personnellement – j’y insiste – l’existence de quelque faille que ce soit sur notre territoire métropolitain. Si l’on venait donc à supputer autour de vous, chers fidèles et chères fidèles de ce blogue, la possibilité d’une telle incongruité géologique dans ou à nos frontières, je vous demande de répondre à chaque fois que je ne prends absolument pas à mon compte une telle affirmation, pour que cela soit bien clair dans l’esprit de l'ensemble de nos compatriotes et de nos compatriotes. Ainsi qu'accessoirement dans la tête du président Razibus.

Cela dit, je comprendrais bien évidemment, il va sans dire, qu’on pût se poser, en son âme et conscience, la question de savoir s’il y a ou non une faille. Mais comme j’ignore moi-même s’il y en a une et, dans l’improbable affirmative, de quelle nature elle pourrait être, il n’est sans doute pas inutile, toute réflexion faite, que nous fissions en temps utile la clarté là-dessus. Je ne saurais donc qu'encourager le lecteur et la lectrice à me relayer en haut lieu, si possible sans ostentation sur ma position personnelle dont j’informerai le président Rikiki à ma convenance, dans les termes diplomatiques seyant à nos charges respectives.

Voilà, mes chers amis, mes chères amies, l’éclairage que je tenais à vous apporter sur les failles à quoi nous sommes exposés ou, tout aussi bien, pourrions parfaitement ne pas l’être. Cette lumière est indispensable à la compréhension des scrutins à venir, de leurs enjeux et, craignons-le, de leur verdict. L'aimable mammouthologue que je saluais en ouverture de ce billet m’assure en effet que les failles sont responsables de la majorité des tremblements de terre. Eh bien, je vous le dis : nous périrons tous sous les décombres si nous ne comprenons pas à temps, corollairement, qu’elles sont aussi responsables des tremblements de terre de la majorité !

mardi 13 mars 2012

Le Sacre du printemps


Je ne saurais dire pourquoi j’ai depuis ce matin dans les oreilles l’ouverture du Sacre du Printemps de Stravinsky. Est-ce l’effet du soleil qui, à travers la porte-fenêtre de la rotonde, me masse le cuir chevelu de ses doigts espiègles, ou bien le souvenir de Denise, pressée de voleter ce matin vers quelque copine rencardée dans un grand magasin du boulevard Haussmann ? Non,  plutôt l’air de la campagne que celui de la ville ! Une campagne vallonnée où les courbes parfois se croisent magiquement pour vous élever vers l'espérance et la lumière... A la réflexion, le président Rikiki n’est-il pas en l’an 12 de ce siècle, à cent ans de distance, ce que fut Stravinsky avec son Sacre en l’an 13 du précédent ? Je veux dire un passeur visionnaire, par qui la nation et le monde peuvent enfin accoucher d’eux-mêmes dans une contemporanéité assumée et triomphante !

Je ne doute pas une seconde que les siècles à venir retiendront que, en imposant son rythme saccadé à une harmonie par trop convenue, Razibus a inventé la politique contemporaine, au sens où on le dit aujourd’hui de la musique et de la danse, grâce à Stravinsky et à Diaghilev. Bien sûr les amateurs de danse caciques du parti socialiste n’y comprennent rien ! Incapables de faire leurs les idées révolutionnaires de notre héraut national, ils ricanent, ils huent, ils insultent, ils raillent, ils déraillent, ils pérorent, ils expectorent, ils dénoncent, ils blasphèment, ils vitupèrent ! Mais le peuple de France ne s’y trompe pas, qui s’est éveillé dimanche à Villepinte, subjugué par la chorégraphie du président Nijinski que déjà il plébiscite dans les sondages, avant de le sacrer roi le 6 mai ! Rien n’arrêtera plus cette foule en marche, résolue à renverser l’opposition qui l’oppresse depuis cinq ans en soutenant contre elle les chômeurs, les étrangers, la viande halal, les enseignants, la fraude des pauvres, les impôts, que sais-je encore !

En début d’après-midi, appel sur mon iPhone d’un ami gaspésien. Au milieu de son petit-déjeuner, il venait d’entendre à la radio la nouvelle du sacre de Razibus annoncé par l'Ifop. Il me lança, moqueur : « Vous savez pas vous aut’ que le sacre c't'un sport québecois des quat’ saisons, façon Vivaldi, pas rien que du printemps ! » Sans me laisser parler, il ajouta, affectueux : « Maudit niaiseux, te v’là d’jà r’parti pour un lustre avec ton tabernak ! » J’arguai de ma détermination à ne pas vendre la peau de l’ours, puis sifflai malicieusement quelques notes du Sacre, qui le firent éclater de son grand rire franc : « N’oublie pas, mon torrieux qu’ton musicien là, il a aussi composé un Feu d’artifice dans sa jeunesse ! C’t’un peu çâ vos sondages. Ton p’tit nain là, moé je l’vois ben crisser son camp tout d’même au joli mai ; sûr qu’y vâ décâlicer ! » Je prétextai une audience de notre ambassadeur en Syrie pour le rendre à ses crêpes au sirop d’érable.

Après un week-end de fête et de joie couronné par le concert de Rikiki dans le 9-3 puis son show sur TF1, j'avoue que cet appel de la Belle Province a semé le désarroi dans mon esprit. Et si, malgré sa percée, Razibus n’était pas après tout le bon cheval pour la course à l’Elysée, mais la proverbiale haridelle qui jamais n'a fait le printemps ? Dois-je remiser ma joie, me résigner au pire comme la semaine dernière ? Reprendre mes bottes et le parti à la hussarde ? Ou plutôt me concentrer sur ma restauration au Palais Bourbon ? Oui, il est grand temps d’annoncer enfin ma candidature à la presse ! A ce propos, on me dit que ma pie voleuse aurait inauguré hier soir dans ma bonne ville sa permanence électorale, aussi dédiée paraît-il à l’arrogant challenger du président - son mentor comme un arracheur de dents ! Seigneur, la France et notre deuxième circonscription méritent-elles que cette piteuse engeance ait pignon sur rue, et s’exhibe impunément dans une vitrine comme dans un lupanar de Hollande ! Se pourrait-il vraiment que l’un et l’autre ils gagnassent ? Non, non, non ! Fasse le Ciel que ce couple infernal ne me condamne pas définitivement, dans un hôtel de ville de province, au sacre du plein-temps !

lundi 5 mars 2012

Mes foires aux plaisirs


Comme le boire et le manger, le plaisir fait partie de ces migrants ayant réussi à passer clandestinement la frontière qui, réputée hermétique, sépare dans notre belle langue le pays des verbes de celui des noms communs. Contrairement aux deux autres cependant, qui demeurent le cul entre deux chaises, plaisir s’est si bien intégré qu’il a réussi à faire oublier ses origines « étrangères » et sa transgression. A tel point qu’on peut l’exhiber aujourd’hui en toute impunité sans risquer de le faire verbaliser par la police. Ajoutons qu’il est même plébiscité dans les assiettes de nos cantines scolaires, sans inquiéter le moins du monde la fourchette de mon vigilant collègue de l’Intérieur.

On aura bien sûr compris que je veux évoquer ici les deux foires aux plaisirs que j’ai eu la joie d’inaugurer samedi, dans ma bonne ville où le président Razibus m’a chaleureusement accueilli avec mes ciseaux et mon ruban. La première dans une odeur de friture et de barbe à papa, entre un stand de tir à la carabine et un autre d’où s’échappaient de curieux cris d’épouvante. La seconde au palais des expositions où, devant une foule en liesse agitant des calicots, j’étais chargé de bénir notre bien-aimé Razibus en rase campagne, assisté de jeunes pop dont les chants liturgiques s’élevaient avec mes vapeurs d’encens vers notre chère idole.

Alors que je somnolais hier soir sur le canapé devant l’irritant invité de l’émission C Politique, ces deux immenses plaisirs se sont délicieusement mêlés dans la confusion d’un rêve semi-éveillé. Écartelé sur la grande roue de la fête foraine, j’entendais Razibus exiger dans les haut-parleurs, d’une voix péremptoire et nasillarde, une loi interdisant d’interrompre le supplice des condamnés avant qu’on n’ait brisé deux-tiers de leurs membres. Enthousiasmé par sa proposition, je lui criai que les trois-quarts seraient plus logiques encore, l’homme non civilisé étant après tout un animal à quatre pattes comme les autres. Il ne me répondit pas ; déchaîné avec quelques CRS, il était déjà occupé à renverser un stand de sandwichs au jambon de Bayonne, en hurlant « L’ETA, c’est moi ! ». Un « A table ! » non négociable de Denise mit sèchement fin à ce doux désordre onirique.

Soyons francs : plaisir m’est aussi l’amical bizutage que nos frères européens infligent en ce moment au malheureux candidat socialiste à la présidentielle ! Si toutefois l’opération de Rikiki ne foire pas comme tant d’autres… Fin connaisseur de l’âme humaine, je n’ignore pas en effet qu’Angela saurait faire Allemande honorable si, en dépit des sondages, le saigneur des plus riches travailleurs de ce pays venait à décrocher la timbale élyséenne – Dieu, les Françaises et les Français nous en préservent ! Ressaisissons-nous que diable ! Pourquoi offririons-nous à un fat falot le plaisir suprême de la magistrature ! Entre nous, ce qu’il m’inspire – contre quoi toute ma vie est un combat ! –, tient dans le titre d’un beau roman de William Thackeray : La foire aux vanités ! Je refuse que, moi parti, la France du Général soit condamnée à n’être plus demain dans le concert des nations qu’un Roman sans héros !