"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

mercredi 30 mai 2012

Le Chat



Effleurant dès potron-minet sur l’oreiller le clavier tactile de son iPhone, ma douce et vigilante moitié digitale m’a signalé ce matin au réveil que Google me faisait, aujourd'hui, les honneurs de sa page d’accueil sur l’Internet. Lui ai répondu dans un bâillement n’en être point surpris, tous les regards de la planète étant désormais tournés vers moi, comme ils le furent jadis vers le Général. Le monde n’ignore pas en effet que, dans la tourmente qui menace de les balayer, les Françaises et les Français ont toujours en réserve un homme d’exception derrière qui retrouver un jour le chemin de leur grandeur, de leur prestige et de leur gloire. La météorite Razibus disparue au firmament de la présidentielle, le peuple de France et, à sa suite, l’Humanité tout entière, gardent les yeux rivés sur celui en qui ils ont reconnu l’étoile polaire, dans l’effrayante nuit d’un monde abandonné à ses démons sans boussole.

« Réveille-toi, me dit Denise, c’était une boutade ! Google célèbre ce 30 mai l’anniversaire de la naissance de Fabergé, au milieu du XIXe siècle. » Comprenne qui pourra… Bien que doté d’un solide sens de l’humour, il m’arrive assez souvent, je le confesse, de ne pas saisir les blagues des autres, ce qui m’empêche hélas la plupart du temps de les goûter. Quelle ressemblance ma femme peut-elle bien me trouver avec le joaillier du tsar de toutes les Russies, au-delà de la notoriété internationale ? C'est un mystère. Pour couper court à ses propos insensés, sans doute influencé moi-même par la source obsessionnelle d’inspiration de Fabergé, j’exprimai une soudaine envie d’œuf à la coque au petit-déjeuner, ce qui me fit curieusement traiter en retour de cannibale. Je ne demandai pas d’explications, me contentant de préciser : « avec des mouillettes, je te prie. » On dit que les vieux couples se comprennent souvent sans n’éprouver plus le besoin de se parler ; je me demande parfois s’ils ne choisissent pas plutôt le silence par crainte de se trop bien comprendre. Soyons francs : le Général est mort en faisant une réussite, pas en bavardant avec Yvonne, confinée sans doute à quelque tricot dans son coin.

A ce propos, il plaît à la presse d’évoquer parfois le vieux couple que je formerais avec ma pie voleuse, chargée depuis peu au gouvernement des personnes qui s’oublient, me dit-on, sans doute en reconnaissance d’une incontinence épistolaire peu ordinaire à mon égard. Comme je ne lui desserre pas les dents, l’ignorant royalement en toutes circonstances et en tous lieux, elle m’écrit sans relâche depuis cinq ans, imaginant qu'il me plairait un jour de lui répondre. Amusé, un ami me confesse que notre relation lui rappelle « Le Chat » de Granier-Deferre. Je serais Gabin, mutique, à qui Signoret, transparente, crie désespérément « miaou, miaou ! » pour qu’il lui parle, comme à son chat. Pour intéressante qu’elle soit, la comparaison a ses limites, puisque je n’ai guère de goût comme on sait pour les greffiers, et qu’on voit parfois ma dame de pique au bout d'une laisse tirée par un molosse. Penser tout de même à lire le roman éponyme de Simenon, où je pourrais bien glaner – qui sait ? quelques idées, de sorte à continuer d’agacer la jacassante agasse.

Retour de courses, Denise me souhaite à l’instant une bonne fête en déposant un paquet sur le coin de ma table de travail, en même temps qu' un baiser sur celui de ma bouche. Lui rappelle qu’on célèbre les Alain le 9 septembre, pas le pénultième de mai. « Ouvre, m’enjoint-elle en soupirant, au lieu de contester ! » L’emballage déchiré sans empressement, je découvre un célèbre parfum pour homme qui, j’en conviens, sied à merveille au présent billet. Tout comme, vînt-elle à me croiser, il envoûtera à n’en pas douter ma pie gouvernementale, trop heureuse de rebaptiser le bourreau muet qu'elle hante sa brute de Fabergé ! A défaut de fable, voilà bien une morale sans doute.

lundi 21 mai 2012

Tu quoque mi fili




En m’assoupissant au salon vendredi après-midi, un peu désœuvré, j’ignorais m’enfoncer dans un affreux songe prémonitoire. M’y est apparu celui qui pourrait être mon fils – qui l’est à sa manière –, dont l'air benoît m’évoque, comme on sait, l’apôtre au nom de gare aimé du Seigneur. De manière inhabituelle, son regard semblait me fuir dans l’ombre d’une capuche alors qu’un rayon oblique, descendu du Ciel, faisait luire dans sa dextre la lame ensanglantée d’un énorme poignard. Je crus d’abord à l’horreur d’un suicide mais, grâce au Ciel, la bure de son duffle-coat était immaculée ! Puisqu’il n’avait point attenté à ses jours, qui venait-il donc de suriner et à quelle fin ? La joie m’envahit d’un coup la poitrine à l’idée qu’il pût s’agir de mon agasse pour lui piquer son  portefeuille, mais je déchantai aussitôt en apercevant l’oiseau de malheur perché sur son épaule, un large sourire au bec.

Dans l’instant qui suivit, un hurlement terrorisa Denise, paisiblement occupée près de moi à son tricotage digital. Réveillé par mon cauchemar, horrifié, suant, soufflant, je continuais de me tâter le flanc avec angoisse, persuadé d’y trouver deux trous rouges au côté droit. Rimbaud, tombé à mes pieds, est un compagnon que je déconseille aux amateurs de siestes paisibles. Quand, encore troublé, je pris en début de soirée le préfet au téléphone, j’étais loin d’imaginer qu’il allait me replonger dans le songe intrigant qui continuait de me hanter, comme si notre proximité affective l’eût doué de télépathie. La voix blanche, il m’informa que ma dame de pique venait de changer in extremis de monture pour lancer l’assaut final de mon siège au Palais Bourbon. « Sa suppléante s’évinçant », me dit-il... « Non, pas lui ! » m'exclamai-je sans le laisser finir. « Mais non, attends, poursuivit-il ! Euh… enfin… si : sa suppléante se retirant, si tu préfères, elle a enfourché le premier destrier de la communauté urbaine pour rejoindre au galop la préfecture, avant l’heure fatidique du dépôt des candidatures. »

Abattu, je me laissai choir dans mon fauteuil, non sans avoir d’un coup de pied envoyé Rimbaud à l’autre bout du salon, ses pages voletant dans sa course telles les ailes d’un oiseau de mauvais augure ! Ainsi donc, mon cher et fidèle Brutus aurait décidé de m’envoyer finir ma saison politique en enfer, lieu de damnation où, enflammée, l’éternité dit-on ne connaît ni cerises ni hivers ! César aveuglé par l'amour paternel, jamais je n’aurais pensé que le fils impatient, par moi éveillé et formé à la res publica, pût un jour nourrir un projet parricide. Et mon inclination demeure aujourd’hui de n’y point croire, tant je ne puis imaginer qu’il envisage  d'utiliser mon siège parlementaire comme un tremplin, vers l’ultime conquête qui serait dans deux ans mon coup de grâce ! Incapable de me trahir, il est forcément l’instrument innocent de ma gazza ladra,  après qu'elle se fut immiscée par effraction au conseil des ministres, à seule fin d’y obtenir ma perte !

Denise m'ordonne de rester calme en feignant de n’avoir point flairé la manœuvre, et d’imaginer plutôt la parade, au lieu de geindre comme le vieillard que je pourrais rapidement devenir à mon âge, si je continue de ruminer des chimères, miné par l’humiliation, abruti par l’oisiveté, rongé par le ressentiment. Si je décline comme elle le craint, me confie-t-elle sans prendre de gants, sinon de crin, il est hors de question qu’elle renonce à son travail pour s’occuper de moi à la maison : grabataire, elle me « collera » dans un EHPAD où, pour jouir de sa victoire, suivie d’une meute de micros et de caméras, faussement affectueuse, ma ministre de tutelle viendra m’offrir des biscuits en me claquant la bise, une main hypocrite sur mon déambulateur. Enfin je serai sa personne âgée et ma mairie sa dépendance !

jeudi 17 mai 2012

Ô vieillesse ennemie !



Grande tristesse pour cette ville blessée, humiliée, déclassée, méprisée, reléguée. Hier encore dirigée par le plus éminent ministre de la République, elle se retrouve aujourd'hui ravalée au rang de cité ordinaire, ignorée d’un gouvernement d'opposition après que, grâce à moi, elle eut repris goût à une première place qui lui revient de droit. Une ville qu’on prétend rayer de la carte, osons le dire, puisque l’on est allé jusqu’à s’assurer que le titre prestigieux qui m’échoyait – ministre d’Etat – disparût du générique gouvernemental pour mieux nier demain qu’il eût jamais existé, ou bien m’en grimer au contraire pour railler ma désuétude. Comme s’il ne suffisait pas à la déchéance municipale que j’eusse, non sans élégance, renoncé la semaine dernière au fauteuil parlementaire inhérent à ma charge.

« Eh bien, ma chère et vieille cité, comme eût dit le Général, nous voici donc ensemble, encore une fois, face à une lourde épreuve » : nous sommes déministrés ! Cruelle situation, indigne de mon rang comme de ton histoire, y compris aux heures les plus sombres de l’Occupation. Denise toussote, qui m’assure avoir aperçu à l’instant ma pie voleuse sur la première chaîne, radieuse en bout de table au conseil des ministres. Quel ridicule ! Je n’ignore pas sa propension à prendre toujours ma place mais, de grâce, compare-t-on un ancien Premier ministre, ministre d’Etat régalien, à une petite déléguée dont le maroquin agace la narine avec sa forte odeur d’hospice ! Soyons francs : on voit bien là à quelles dérives peut conduire le dogme paritaire, dans un gouvernement qui clame faire de la jeunesse son cheval de bataille ! Ces dames vont y faire leur petite cuisine avec la dépendance...

Reçu à l’instant sur mon iPhone une façon de photo de mariage, sur quoi un ami qui me veut forcément du bien me propose de chercher « notre demoiselle d’honneur ». Ne la fréquentant point, je serais bien incapable de la reconnaître dans la rue, a fortiori sur un minuscule écran de téléphone. Un indice : elle est, paraît-il, au dernier rang. La belle affaire ! Je figurais moi-même il n’y a guère au premier, à côté d'un vrai président : cherchez la différence... M’observant avec malice, Denise m’assure que, l’œil fixé sur mon téléphone, je lui évoque un animal qui remuerait la queue. Lui jure n’éprouver, à la nouvelle de cette fausse promotion, plus de joie que le pauvre chien de la péronnelle qui sait faire la différence, lui, entre un os véritable et une imitation de portefeuille. « Je pensais plutôt à un félin, précise-t-elle, dont l’appendice caudale trahit l’énervement par son agitation… » Balivernes ! Je suis une statue de marbre qu'on n'a jamais vue montrer en public le moindre agacement.

Quoi qu'il en soit, qu’on ne compte pas sur le maire que je suis pour céder à je ne sais quelle obligation protocolaire face à cette sous-ministre, nonobstant son goût très prononcé pour l’étiquette ! J’ai mieux à faire, croyez-moi, que de lui filer le train dans les maisons de vieux de la ville en lui donnant du « madame la ministre » ! A la réflexion, ce n’est pas le moindre des paradoxes que, en m’empoisonnant jour et nuit, cette infernale agasse mette chez moi en péril le « bien vieillir » dont elle prétend par ailleurs faire son fonds de commerce jusqu’au sein du gouvernement ! Infernale, disais-je : c'est le mot juste. Me revient soudain à l’esprit le propos d’un collègue du gouvernement que nous nommons affectueusement Zadig révolté entre nous – nommions, devrais-je dire, il va falloir m’y faire… Il s’agissait à l'en croire, j’ai oublié pourquoi, d’une brève citation de Maxime de La Rochefoucauld (sic !) : « L’enfer des femmes, c’est la vieillesse. » Puisse le plus grand de nos moralistes avoir raison ! Par la grâce d’un président diablement paritaire, je tiendrais peut-être alors enfin ma vengeance…

jeudi 10 mai 2012

Mon succès damné



Je n'ignore pas que ceux de mes lecteurs et celles de mes lectrices qui savent lire entre les lignes l’avaient senti au fil des derniers billets de ce blogue, sans qu’il fût besoin d’attendre je ne sais quelle exégèse du scrutin présidentiel. J’en avais du reste moi-même depuis longtemps le pressentiment, sans pouvoir l’exprimer crument de crainte de désespérer celles et ceux qui, partout dans le pays et au-delà de nos frontières, eussent aussitôt sombré dans un profond désespoir à la seule pensée que mes mains pussent lâcher un jour proche les rênes du pouvoir… C’est donc du fond du cœur que je remercie la majorité des Françaises et des Français qui, par leur vote, m’ont enfin donné dimanche l’occasion tant attendue d’une révélation salutaire et libératrice : un maire digne de ce nom se doit avant tout à sa ville. Quoi qu’il lui en coûte, quoi qu’il en coûte à la France.

Reposant ma vieille calculette sur la table de chevet, lundi matin avant l'aube, je n’eus aucun mal à me convaincre – Jason depuis longtemps privé de sa toison – qu’il n’est plus grand bonheur que de retourner « plein d’usage et raison, / Vivre entre ses parents le reste de son âge ». Mes administrées et mes administrés savent bien qu’ils sont depuis toujours ma seule et vraie famille. Certes, une pléiade de mauvais esprits ne manqueront pas de pointer que je convoque fort à propos Joachim du Balai… Ignorez comme moi, je vous prie, leur vain persiflage ; répondez-leur que ma décision était prise avant même que je ne découvrisse une mienne prouesse qui pourrait me valoir les honneurs du Guinness des records en 2013 : je suis le maire de la ville de droite de plus de 100 000 habitants ayant voté le plus à gauche au scrutin présidentiel ! Plus de 57 % de nos suffrages au Corrézien, rendez-vous compte ! Près de 60 % dans ma circonscription législative !

Soyons francs : on n’atteint pas par pur hasard un score aussi remarquable ! Le message à peine voilé des électrices et des électeurs, ce n’est pas que cette ville est maladroite – je veux dire  mal à droite mais qu’elle ne s’y sent bien qu’avec un maire à plein temps. J’ai donc immédiatement tiré les conséquences de ce touchant message : enfin libéré par la présidentielle de mes obligations nationales et internationales, il serait indigne que je fisse aussitôt le siège de mon oiseau de malheur à l’Assemblée ! A mon âge, croyez-moi, on a vraiment mieux à faire pour sa ville que député d’opposition, surtout si l’on répugne à donner dans deux ans les clés de la mairie à des crétins, qu’ils fussent de son propre camp ou de celui des socialistes. Voilà donc pourquoi je m'abstiendrai d'infliger à cette agaçante agasse la plumée qu’elle mérite, que je lui eusse pourtant servie de bon cœur, on le sait, dès le premier tour. Ne croyez pas ceux qui insinueront que j’abandonne le combat par lâcheté, quand jamais – je dis bien jamais ! – je n’ai montré en cinq ans la moindre velléité de reprendre le fauteuil du maire au parlement.

Ma décision prise et assumée, mon âme en paix, il ne me restait qu’à dénicher, pour me suppléer, un candidat si possible incapable de battre ma teigneuse dame de pique, sauf à accepter d’être moi-même la risée de mes détracteurs à l’issue du scrutin législatif. Je ne suis pas peu fier d’avoir dégoté l’oiseau rare : apparatchik départemental étranger à la ville, il porte en outre un prénom qui, par les temps qui courent, n’évoque – comment dire ? – ni la hauteur ni la victoire. Je pense qu’il manque aussi à ce riquiqui du crû l’ébauche de calvitie qui, à son âge, distingue déjà le vrai politique du représentant de commerce ordinaire. Avec son esprit de contradiction, Denise m’objecte évidemment que mon ersatz pourrait bien cependant séduire certains nostalgiques des temps anciens, à qui sa chevelure rappellera mon prédécesseur au nom de stade. Laissez-moi rire ! Je sais surtout que, mauvaise Margarine, ce succédané comptera le 17 juin pour du beurre !

vendredi 4 mai 2012

Le génie du crétinisme



Est-ce pur hasard si, en quête d’un exemplaire de mes Cerises pour une dédicace, je me suis retrouvé ce matin avec entre les mains les Mémoires d’Outre-tombe ? Ouvert à l’aveugle,  François-René me lança aussitôt à la figure cette maxime tant soit peu provocatrice : « En général, on parvient aux affaires par ce qu’on a de médiocre et l’on y reste par ce qu’on a de supérieur. »  Du haut de son œuvre, ce lointain prédécesseur au Quai était assurément à cent lieues d’imaginer qu’un steak, certes grillé, assurerait sa postérité plus durablement que son œuvre littéraire ou sa diplomatie. Si la politique est bien en effet parfois affaire de cuisine, je ne pense pas pour autant qu’il traverse jamais l’esprit de mes biographes des siècles à venir d’inscrire une telle citation en exergue de leurs ouvrages. A n’en pas douter, ils retiendront au contraire que j’ai toujours mis une exceptionnelle supériorité avérée dès le plus jeune âge au service de l’Etat, tenant par ailleurs en mépris la médiocrité de l’écrasante majorité de mes congénères et de mes congénères.

A ce propos, c’est bien à tort qu’on me fait aujourd’hui procès d'avoir traité les membres de l’opposition municipale de crétins. Outre que je ne vois pas en quoi cette marque d’affection peut constituer une injure diffamatoire, je me garde bien d’en assurer l’exclusivité aux élus socialistes de la ville. Je tiens en effet dans le même respect, il va sans dire, les membres de ma majorité, à cette différence près que ceux-là sont des crétins respectueux, discrets, soucieux de ne pas entraver mon génie dans sa course. Au demeurant, nos socialistes effarouchés n'ont pas plus de notions d’étymologie que de démocratie, sans quoi il n'ignoreraient pas que le bon crétin n’est qu’une variante alpine du bon chrétien, par moi utilisée avec la douce compassion de ses origines. A l’heure où, un bulletin de vote à la main, les mahométans s’apprêtent à faire la loi dans ce pays, il est grand temps que les vraies Françaises et les vrais Français se croisent, comme le fit saint Louis, plutôt que de renier leur crétinisme !

Crétin ! Soyons francs : c’est un mot autrement plus fort, ramassé en trois lettres, que m’a inspiré hier soir la trahison d’un vieux compagnon de route à la sauce béarnaise, bien nommé gascon pour la rime sinon pour la raison. A tu et à toi avec la Vierge troglodyte qui depuis son apparition lui montre le chemin, ce grand crétin de souche a complètement désemparé ses brebis dispersées dans mon troupeau municipal. Affolées, elles semblent condamnées au grand écart, entre leur dévouement à ma cause locale et leur dévotion à l'ombrageux pasteur qui, contre toute attente, vient de s’offrir sans pudeur au tombeur annoncé du rikikisme... Passé la colère, comment du reste cacher mon propre embarras dans cette affaire ? Ayant besoin du soutien de ce converti, je me dois d’apporter le mien propre à son entreprise, selon les principes de la chevalerie comme au nom de notre communion en Jésus Christ. J’hésite pourtant à envoyer avant minuit à l’AFP la dépêche annonçant mon ralliement au Corrézien… Oh ! Non point par égard envers Razibus, dont déjà j’ai fait comme tous les miens mon deuil, mais à cause de l’impossible, la cornélienne décision à quoi me condamnerait, à sa suite, le franchissement illégal de la frontière !

Vous ne voyez pas ? Moi non plus à vrai dire... Renoncer à déloger ma dame de pique de l’Assemblée nationale, passerait encore, quels qu'en fussent mon dépit et ma douleur... Mais apporter mon soutien militant à son odieuse candidature, non, c’est au-dessus de mes forces, fût-ce pour sauver de l’éclatement ma majorité municipale ! Non, vraiment, je ne me résoudrai jamais à tel abandon : il me faut avant ma mort faire mordre à l'ennemie la poussière, j'en ai fait devant Dieu le serment ! Denise, bien entendu, n’est pas de cet avis, qui me rappelle mon pouvoir de séduction, ma situation de personnalité de droite préférée des Français, la promesse de Rikiki pour Matignon. Mon ralliement opéré dans la nouvelle majorité présidentielle, m'assure-t-elle, l’hôte socialiste de l’Elysée aurait-il d’autre choix que de me confier la direction du gouvernement de la France ?... Quoi ?! Pardon ?! Pour me retrouver au conseil des ministres face à ma pie voleuse, sous-secrétaire d’Etat à l’ornithologie ?! Non merci, jamais ça, sur la tête de ma mère ! Plutôt passer l'agasse au gril le 17 juin comme j'en rêve nuit et jour depuis cinq ans, façon chateaubriand. Et la servir enfin à ses électeurs avec une bonne béarnaise, évidemment !