samedi 23 juin 2012
L'Autonomie ?
Il
ne faudrait pas vieillir... Penser à consulter discrètement pour un
contrôle auditif. En écoutant jeudi soir le Secrétaire général de l’Élysée
égrener les noms et attributions des ministres, j’ai en effet cru comprendre
que ma dame de pique récupérait l’automobile en sus des vieux, au lieu de la
dépendance. « Pourquoi diable l’automobile, m’interrogeai-je à voix haute en
retirant une pantoufle pour me gratter le pied ? Nos anciens ne sont-ils
pas pour la plupart rangés des voitures dans des hospices ? Leur
dernière caisse n’a au demeurant ni roues ni moteur et, si elle finit de plus
en plus souvent en cendres, c’est en général dans un crématorium plutôt que sur
le parking d’un EHPAD ! Les socialistes ont tort de confondre concession
automobile et concession à perpétuité, ajoutai-je, tout comme pompes funèbres
et pompes à essence, même si Leclerc offre généreusement les deux à nos anciens. »
Denise,
réputée pour son ouïe digitale, me corrigea dans un haussement d’épaules :
« Débouche-toi les oreilles : le type a dit "automne honni", pas
"automobile" ! » Je louai la pertinence de la métaphore poétique, le
troisième âge étant en effet cette saison fourbe qui, prétendant prolonger
l’été, n’en est en réalité que le sournois déclin, prélude à l’hiver fatal et
froid de la tombe ; bref, la fin des cerises quand on sucre les fraises… Élevant la voix, ma femme virtuelle détacha alors ses syllabes :
« Au-tomne O-MIS ! », avant d’ajouter en soupirant :
« Je finis par me demander si tu es dur d’oreille ou si tu manques
d’entendement ! Je te rappelle à ce propos que les cotons tiges sont dans
le deuxième tiroir à gauche du lavabo. » Omis ? Mais qui diable
pourrait omettre l’automne sous nos latitudes tempérées ? Sauf à souffrir
d’anosognosie, comme mon pauvre mentor qui, à la serveuse hurlant dans son
Sonotone, commanda l’autre jour une pizza « trois saisons » !
Visiblement
excédée, Denise finit par pianoter sur son iPhone, avant qu’un discret jingle
du mien ne m’annonçât aussitôt son SMS. Je lus sur mon écran, sans autre
commentaire : "AUTONOMIE!!!". « Bon Dieu, mais c’est bien sûr,
m’exclamai-je, façon Bourrel ! C’est la dépendance retournée comme une
chaussette ! » Qu’on ne se méprenne point : je ne relate pas cette
anecdote domestique pour apitoyer le lecteur ou la lectrice sur l’érosion de
mes sens avec l’âge, à quoi pourra remédier un appareillage dissimulé sous ma
chevelure, mais pour rétablir une vérité bafouée. Comme on sait, les crétins de mon
opposition municipale m’accusent de leur couper toujours le micro. Soyons
francs : ils n’ont pas tort, à ce détail près que, incurable démocrate,
mon intention n’est jamais de les faire taire ; ne les entendant pas, je
crois tout simplement qu’ils en ont fini. Un vrai dialogue de sourd et de malentendus !
J’ai bien sûr conscience
d’inquiéter par ces révélations les fidèles et les fidèles de mon blogue, à qui
je me présente sans grimage – « usé, vieilli, fatigué », comme le dit
un jour de mon maître le malheureux socialiste qui, il y a quinze ans déjà, m’avait remplacé à Matignon. Entre moi, je n'ai plus rien à perdre, sinon une mairie humide de province où je fais retraite un ou deux jours par semaine, avant
qu’un fils félon ne m’en décharge dans deux ans ! C'est écrit – mektoub, comme disent nos amis arabes –, il n’y a plus rien à faire... Tout
le monde m’ignore ou presque, jusqu’à mon agaçante agasse qui ne m’a pas envoyé une seule
lettre de Paris depuis son ascension au gouvernement, rendez-vous compte ! Croira-t-on que j’attends désormais
sa missive, pris d’une envie folle de lui répondre ! Mais à quoi
bon ?... L’autonomie, vraiment ? La belle affaire quand on est dépendant à la
politique ! Pour me réconforter, un ami m’assure qu’il me reste au moins la tentation de Denise. Certes, mais n’est-il pas pour cela aussi déjà trop tard ? Non, je
ne crois plus depuis longtemps aux utopies qui chantent... Avouons-le enfin : il
est venu le temps des "adichats".
vendredi 15 juin 2012
Pipiltzintzintli ?
En toute confidentialité, c’est d’une bien curieuse
expérience que je voudrais aujourd’hui entretenir les lectrices et les lecteurs
de ce blogue, dont certains, me dit-on, auraient été intrigués ou déroutés ces
derniers jours par mon humeur ou mes propos. Croira-t-on que cette aventure peu ordinaire a commencé
il y a des années par un banal bouturage après que, sur le bacon d’une copine à Montréal, Denise eut remarqué une plante qu'elle prit pour de la menthe ordinaire. Informée
que cette « menthe magique » pouvait se consommer en infusion, elle rentra
à la maison avec une bouture qu’elle mit aussitôt en pot. Ma femme ayant la
main verte autant que digitale, grandit bientôt chez nous une
« herbe de Marie » généreuse qui fit l’admiration des voisins, avant de prendre un jour avec nos bagages le chemin de Paris, où elle s'acclimata comme nous l'avions fait nous-mêmes dans son pays.
Laissée une nuit sur un rebord de fenêtre, notre empotée ne survécut pas hélas à
l’assaut brutal de l’hiver en février dernier. Comme on va voir, mon regret témoigne
moins d’un quelconque intérêt pour les plantes – à quoi je suis en général
aussi indifférent qu’à mes prétendus semblables – que des conséquences imprévisibles d'une disparition a priori sans importance. Au moment de livrer la défunte à notre vide-ordures, Denise eut en effet l’idée d’en faire sécher les feuilles meurtries sur un vieux Figaro, une bonne décoction pouvant se révéler salutaire si l’hiver
s’installait durablement sur la capitale. La météo confirmant une extrême
rigueur, « salvia divinorum » – la sauge des devins – fut
oubliée dans un pot à confiture remisé sur une étagère de la cuisine, au
bénéfice de vins chauds et autres grogs, plus alléchants sinon plus efficaces.
C’est là que je redécouvris en début de semaine
l’herbe de ma bergère, par un petit matin triste où j’eus souvenance des tilleuls sucrés de ma grand-mère landaise, miraculeux pour dissiper les
angoisses récurrentes d’un enfant surdoué que désolait la médiocrité mesquine de ses
congénères. Le pot n’étant qu’à moitié plein ou presque des feuilles desséchées, je
l’emplis d’eau bouillante pour les laisser infuser pendant que je commençais de
lire la presse. Après l'avoir filtrée, je consommai ensuite à petites gorgées ma
potion à maire, accompagnée de notre quotidien régional en guise de tartine. Il y était question
de mon candidat-méthadone de la deuxième circonscription (un jeune homme aimable qui
ne manque pas de crans) fustigeant l’horreur de la légalisation du cannabis,
dans l’hypothèse funeste d’une réélection de ma dame de pique à l’Assemblée
nationale.
Ledit journal me tomba bientôt des mains : rien d'inhabituel depuis qu’il a pris ostensiblement le parti des usurpateurs. Ce
n’était pas cette fois cependant à cause du dégoût ou de la colère, mais curieusement comme sous l'effet d’un
puissant psychotrope. « J’hallucine ! », m’exclamais-je intérieurement,
avalé par des images qui, aussi mouvantes que des sables anthropophages, me
rappelaient sans plaisir le temps de mes vingt ans dans les années soixante. La nausée fut
à son comble quand je pris conscience – si l’on peut dire ! - d’être encerclé
par un couple constrictor aux contours déformés et incertains, improbable construction psychédélique multipliée à l’infini par un kaléidoscope sonore. L’un des deux
visages était celui de mon agasse, on l'aura deviné, et l’autre le minois du traître bouclé, pacsé juste avant le gong pour perpétrer son incroyable forfait législatif !
Soyons francs : je me
trouvais dans un « bad trip », ce que confirma un syndrome post-hallucinatoire persistant, sur les ondes comme dans les meetings si
j’en crois les commentateurs, dont les moins bien intentionnés n’hésitent pas à
parler de phobies, d’état confusionnel, de bouffées délirantes, que sais-je encore !
Bref, il est grand temps que cette éprouvante séquence politique se termine. N'en ignorant pas l'issue, j’ai
pris soin de garder dans leur bocal, conservé au frigo, les feuilles encore
humides de ma tisane, pour les proposer à ma doublure dimanche soir après sa dérouillée. D’ici là, qui me dira le sens de ce mot imprononçable qui me
martèle la cervelle depuis mon bien curieux voyage, tel le chant d'une pie, insupportable : pipiltzintzintli ?!
vendredi 8 juin 2012
Prométhée
Insomnie.
Communié une bonne partie de la nuit avec l’ami Cioran dans ses Syllogismes de
l’amertume, qui toujours sont un baume apaisant sur mes blessures. Émerveillé
dans ces pages par le foisonnement de maximes dignes d’être gravées un jour
dans le marbre de mon tombeau. Celle-ci
par exemple dans quoi je me reflète, tel Narcisse penché sur son miroir d’eau :
« Qui n’a connu l’humiliation ignore ce que c’est qu’arriver au dernier
stade de soi-même. » Ce souriant Roumain à plume n’ignorait pas, quant à lui, que
le stade ultime de la vie vers quoi court chacun d’entre nous est le plus
souvent un stade de trop. Blessé, relégué sur un banc de touche, je vais y
assister ces deux dimanches à un match dont le résultat est connu d’avance,
dans quoi mon numéro sera porté par un remplaçant inconnu dont la seule mission –
soyons francs ! – est de perdre à ma place.
Petit
déjeuner sans appétit ; pas touché à mes chouquettes. Tout m’a été donné,
tout ou presque m’a été repris. Ne me restera-t-il que cette mairie, cellule austère
où vivre reclus comme un moine, loin des plaisirs de la capitale ? Et pour
combien de temps encore ? Essuyé une tache de café sur le papier bible de
mon Cioran, puis lu ceci au travers, comme dans le marc de ma tasse : « Paris, point
le plus éloigné du Paradis, n’en demeure pas moins le seul endroit où il fasse
bon désespérer. » Quelle acuité ! Non – Orsay, Conti en sont la
preuve –, tous les espoirs ne sont pas perdus à qui désespère sur les quais
de Seine ! Même s’y faire affubler du sobriquet d’Hugues capé est au moins,
déjà, la reconnaissance qu’on a l’étoffe d’un roi, qu’on peut retrouver un
trône, peut-être une présidence... Mais désespérer ici, mon Dieu, loin des projecteurs !...
Croyez-moi,
une ville de province n’est pas un paradis, tout au plus un purgatoire où se
languir, dans la crainte paradoxale de s’en faire expulser aussi facilement que
d’un hébergement d’urgence, pour se retrouver dans l’enfer de la rue, sans même
un chien pour vous aimer. Naïf, vous pensez que la ville croît en population
parce qu’elle croit en vous, jusqu’au jour où vous découvrez stupéfait son
culte exclusif au dieu Hélios. Leur planche de surf sous le bras, tous ces
nouveaux électeurs et toutes ces nouvelles électrices sont tellement persuadés
d’avoir trouvé ici l’Eden qu’ils y prennent mon agasse pour un oiseau de paradis ! Les imbéciles ! Cette dame de pique n’est qu’une créature
du diable chargée au gouvernement des vieux jours, ou si l’on préfère des
jours plus vieux : de là à imaginer qu’elle puisse faire chez nous la
pluie et le beau temps, laissez-moi rire ! Je crains en vérité que ceux
sur qui elle exerce son indigente tutelle n’aient hélas à ouvrir que leurs pépins de
santé, s'il souhaitent se protéger des intempéries de la vieillesse !
Déjeuné avec un fat, puis retrouvé
Cioran, toujours offert sur un coin du bureau, près de ma tasse vide. J’aime
la douceur de ce papier qui me rappelle celui des cigarettes, dont je jurais il
y a peu qu’on ne le glisserait pas entre Rikiki et moi (je le jurerais
encore, au point d’avoir conservé le portrait du président trop tôt disparu dans mon bureau
de maire, alors qu’il a été retiré des autres salles de l’hôtel de ville). Je
ressens aussi à palper ces pages le plaisir de l’enfant qui tournait il y a
soixante ans les feuilles de son missel, le jour de sa petite communion, après la première visite de Jésus dans son cœur. Sorti
mes lunettes pour poser mon crayon à l’aveugle sur une pensée : « ÉVOLUTION :
Prométhée, de nos jours, serait un député de l’opposition. » Quelle vérité
dans l’ironie sèche et implacable de quelques mots cruels ! Eh bien, s’il la faut,
la voilà la vraie raison de mon renoncement à l’Assemblée nationale !
Voleur rebelle du feu sacré qu'il m'incombe de transmettre aux hommes et aux femmes de France
et du monde, au nom de quoi irais-je étouffer pendant cinq ans mon tison dans ce
qu’il faut bien appeler le crétinisme de l’opposition ? Refusant les chaînes des dieux socialistes, Prométhée doit aux
Françaises et aux Français de demeurer leur seul et vrai Titan !
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