"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

vendredi 8 juin 2012

Prométhée


 Insomnie. Communié une bonne partie de la nuit avec l’ami Cioran dans ses Syllogismes de l’amertume, qui toujours sont un baume apaisant sur mes blessures. Émerveillé dans ces pages par le foisonnement de maximes dignes d’être gravées un jour dans le marbre de mon tombeau. Celle-ci par exemple dans quoi je me reflète, tel Narcisse penché sur son miroir d’eau : « Qui n’a connu l’humiliation ignore ce que c’est qu’arriver au dernier stade de soi-même. » Ce souriant Roumain à plume n’ignorait pas, quant à lui, que le stade ultime de la vie vers quoi court chacun d’entre nous est le plus souvent un stade de trop. Blessé, relégué sur un banc de touche, je vais y assister ces deux dimanches à un match dont le résultat est connu d’avance, dans quoi mon numéro sera porté par un remplaçant inconnu dont la seule mission soyons francs ! est de perdre à ma place.

Petit déjeuner sans appétit ; pas touché à mes chouquettes. Tout m’a été donné, tout ou presque m’a été repris. Ne me restera-t-il que cette mairie, cellule austère où vivre reclus comme un moine, loin des plaisirs de la capitale ? Et pour combien de temps encore ? Essuyé une tache de café sur le papier bible de mon Cioran, puis lu ceci au travers, comme dans le marc de ma tasse : « Paris, point le plus éloigné du Paradis, n’en demeure pas moins le seul endroit où il fasse bon désespérer. » Quelle acuité ! Non – Orsay, Conti en sont la preuve –, tous les espoirs ne sont pas perdus à qui désespère sur les quais de Seine ! Même s’y faire affubler du sobriquet d’Hugues capé est au moins, déjà, la reconnaissance qu’on a l’étoffe d’un roi, qu’on peut retrouver un trône, peut-être une présidence... Mais désespérer ici, mon Dieu, loin des projecteurs !...

Croyez-moi, une ville de province n’est pas un paradis, tout au plus un purgatoire où se languir, dans la crainte paradoxale de s’en faire expulser aussi facilement que d’un hébergement d’urgence, pour se retrouver dans l’enfer de la rue, sans même un chien pour vous aimer. Naïf, vous pensez que la ville croît en population parce qu’elle croit en vous, jusqu’au jour où vous découvrez stupéfait son culte exclusif au dieu Hélios. Leur planche de surf sous le bras, tous ces nouveaux électeurs et toutes ces nouvelles électrices sont tellement persuadés d’avoir trouvé ici l’Eden qu’ils y prennent mon agasse pour un oiseau de paradis ! Les imbéciles ! Cette dame de pique n’est qu’une créature du diable chargée au gouvernement des vieux jours, ou si l’on préfère des jours plus vieux : de là à imaginer qu’elle puisse faire chez nous la pluie et le beau temps, laissez-moi rire ! Je crains en vérité que ceux sur qui elle exerce son indigente tutelle n’aient hélas à ouvrir que leurs pépins de santé, s'il souhaitent se protéger des intempéries de la vieillesse !

Déjeuné avec un fat, puis retrouvé Cioran, toujours offert sur un coin du bureau, près de ma tasse vide. J’aime la douceur de ce papier qui me rappelle celui des cigarettes, dont je jurais il y a peu qu’on ne le glisserait pas entre Rikiki et moi (je le jurerais encore, au point d’avoir conservé le portrait du président trop tôt disparu dans mon bureau de maire, alors qu’il a été retiré des autres salles de l’hôtel de ville). Je ressens aussi à palper ces pages le plaisir de l’enfant qui tournait il y a soixante ans les feuilles de son missel, le jour de sa petite communion, après la première visite de Jésus dans son cœur. Sorti mes lunettes pour poser mon crayon à l’aveugle sur une pensée : « ÉVOLUTION : Prométhée, de nos jours, serait un député de l’opposition. » Quelle vérité dans l’ironie sèche et implacable de quelques mots cruels ! Eh bien, s’il la faut, la voilà la vraie raison de mon renoncement à l’Assemblée nationale ! Voleur rebelle du feu sacré qu'il m'incombe de transmettre aux hommes et aux femmes de France et du monde, au nom de quoi irais-je étouffer pendant cinq ans mon tison dans ce qu’il faut bien appeler le crétinisme de l’opposition ? Refusant les chaînes des dieux socialistes, Prométhée doit aux Françaises et aux Français de demeurer leur seul et vrai Titan !

2 commentaires:

Simon a dit…

Prométhée, rien que ça ? Fais gaffe Youpi, tu vas te faire bouffer le foie par Fillon et Copé !

Pierre a dit…

@ Simon

Je crois que notre ami Youpi a les foies !