"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

samedi 23 juin 2012

L'Autonomie ?



Il ne faudrait pas vieillir... Penser à consulter discrètement pour un contrôle auditif. En écoutant jeudi soir le Secrétaire général de l’Élysée égrener les noms et attributions des ministres, j’ai en effet cru comprendre que ma dame de pique récupérait l’automobile en sus des vieux, au lieu de la dépendance. « Pourquoi diable l’automobile, m’interrogeai-je à voix haute en retirant une pantoufle pour me gratter le pied ? Nos anciens ne sont-ils pas pour la plupart rangés des voitures dans des hospices ? Leur dernière caisse n’a au demeurant ni roues ni moteur et, si elle finit de plus en plus souvent en cendres, c’est en général dans un crématorium plutôt que sur le parking d’un EHPAD ! Les socialistes ont tort de confondre concession automobile et concession à perpétuité, ajoutai-je, tout comme pompes funèbres et pompes à essence, même si Leclerc offre généreusement les deux à nos anciens. »

Denise, réputée pour son ouïe digitale, me corrigea dans un haussement d’épaules : « Débouche-toi les oreilles : le type a dit "automne honni", pas "automobile" ! » Je louai la pertinence de la métaphore poétique, le troisième âge étant en effet cette saison fourbe qui, prétendant prolonger l’été, n’en est en réalité que le sournois déclin, prélude à l’hiver fatal et froid de la tombe ; bref, la fin des cerises quand on sucre les fraises… Élevant la voix, ma femme virtuelle détacha alors ses syllabes : « Au-tomne O-MIS ! », avant d’ajouter en soupirant : « Je finis par me demander si tu es dur d’oreille ou si tu manques d’entendement ! Je te rappelle à ce propos que les cotons tiges sont dans le deuxième tiroir à gauche du lavabo. » Omis ? Mais qui diable pourrait omettre l’automne sous nos latitudes tempérées ? Sauf à souffrir d’anosognosie, comme mon pauvre mentor qui, à la serveuse hurlant dans son Sonotone, commanda l’autre jour une pizza « trois saisons » !

Visiblement excédée, Denise finit par pianoter sur son iPhone, avant qu’un discret jingle du mien ne m’annonçât aussitôt son SMS. Je lus sur mon écran, sans autre commentaire : "AUTONOMIE!!!". « Bon Dieu, mais c’est bien sûr, m’exclamai-je, façon Bourrel ! C’est la dépendance retournée comme une chaussette ! » Qu’on ne se méprenne point : je ne relate pas cette anecdote domestique pour apitoyer le lecteur ou la lectrice sur l’érosion de mes sens avec l’âge, à quoi pourra remédier un appareillage dissimulé sous ma chevelure, mais pour rétablir une vérité bafouée. Comme on sait, les crétins de mon opposition municipale m’accusent de leur couper toujours le micro. Soyons francs : ils n’ont pas tort, à ce détail près que, incurable démocrate, mon intention n’est jamais de les faire taire ; ne les entendant pas, je crois tout simplement qu’ils en ont fini. Un vrai dialogue de sourd et de malentendus !

J’ai bien sûr conscience d’inquiéter par ces révélations les fidèles et les fidèles de mon blogue, à qui je me présente sans grimage – « usé, vieilli, fatigué », comme le dit un jour de mon maître le malheureux socialiste qui, il y a quinze ans déjà, m’avait remplacé à Matignon. Entre moi, je n'ai plus rien à perdre, sinon une mairie humide de province où je fais retraite un ou deux jours par semaine, avant qu’un fils félon ne m’en décharge dans deux ans ! C'est écrit mektoub, comme disent nos amis arabes –, il n’y a plus rien à faire... Tout le monde m’ignore ou presque, jusqu’à mon agaçante agasse qui ne m’a pas envoyé une seule lettre de Paris depuis son ascension au gouvernement, rendez-vous compte ! Croira-t-on que j’attends désormais sa missive, pris d’une envie folle de lui répondre ! Mais à quoi bon ?... L’autonomie, vraiment ? La belle affaire quand on est dépendant à la politique ! Pour me réconforter, un ami m’assure qu’il me reste au moins la tentation de Denise. Certes, mais n’est-il pas pour cela aussi déjà trop tard ? Non, je ne crois plus depuis longtemps aux utopies qui chantent... Avouons-le enfin : il est venu le temps des "adichats".

vendredi 15 juin 2012

Pipiltzintzintli ?



En toute confidentialité, c’est d’une bien curieuse expérience que je voudrais aujourd’hui entretenir les lectrices et les lecteurs de ce blogue, dont certains, me dit-on, auraient été intrigués ou déroutés ces derniers jours par mon humeur ou mes propos. Croira-t-on que cette aventure peu ordinaire a commencé il y a des années par un banal bouturage après que, sur le bacon d’une copine à Montréal, Denise eut remarqué une plante qu'elle prit pour de la menthe ordinaire. Informée que cette « menthe magique » pouvait se consommer en infusion, elle rentra à la maison avec une bouture qu’elle mit aussitôt en pot. Ma femme ayant la main verte autant que digitale, grandit bientôt chez nous une « herbe de Marie » généreuse qui fit l’admiration des voisins, avant de prendre un jour avec nos bagages le chemin de Paris, où elle s'acclimata comme nous l'avions fait nous-mêmes dans son pays.

Laissée une nuit sur un rebord de fenêtre, notre empotée ne survécut pas hélas à l’assaut brutal de l’hiver en février dernier. Comme on va voir, mon regret témoigne moins d’un quelconque intérêt pour les plantes – à quoi je suis en général aussi indifférent qu’à mes prétendus semblables – que des conséquences imprévisibles d'une disparition a priori sans importance. Au moment de livrer la défunte à notre vide-ordures, Denise eut en effet l’idée d’en faire sécher les feuilles meurtries sur un vieux Figaro, une bonne décoction pouvant se révéler salutaire si l’hiver s’installait durablement sur la capitale. La météo confirmant une extrême rigueur, « salvia divinorum » –  la sauge des devins – fut oubliée dans un pot à confiture remisé sur une étagère de la cuisine, au bénéfice de vins chauds et autres grogs, plus alléchants sinon plus efficaces.

C’est là que je redécouvris en début de semaine l’herbe de ma bergère, par un petit matin triste où j’eus souvenance des tilleuls sucrés de ma grand-mère landaise, miraculeux pour dissiper les angoisses récurrentes d’un enfant surdoué que désolait la médiocrité mesquine de ses congénères. Le pot n’étant qu’à moitié plein ou presque des feuilles desséchées, je l’emplis d’eau bouillante pour les laisser infuser pendant que je commençais de lire la presse. Après l'avoir filtrée, je consommai ensuite à petites gorgées ma potion à maire, accompagnée de notre quotidien régional en guise de tartine. Il y était question de mon candidat-méthadone de la deuxième circonscription (un jeune homme aimable qui ne manque pas de crans) fustigeant l’horreur de la légalisation du cannabis, dans l’hypothèse funeste d’une réélection de ma dame de pique à l’Assemblée nationale.

Ledit journal me tomba bientôt des mains : rien d'inhabituel depuis qu’il a pris ostensiblement le parti des usurpateurs. Ce n’était pas cette fois cependant à cause du dégoût ou de la colère, mais curieusement comme sous l'effet d’un puissant psychotrope. « J’hallucine ! », m’exclamais-je intérieurement, avalé par des images qui, aussi mouvantes que des sables anthropophages, me rappelaient sans plaisir le temps de mes vingt ans dans les années soixante. La nausée fut à son comble quand je pris conscience – si l’on peut dire ! - d’être encerclé par un couple constrictor aux contours déformés et incertains, improbable construction psychédélique multipliée à l’infini par un kaléidoscope sonore. L’un des deux visages était celui de mon agasse, on l'aura deviné, et l’autre le minois du traître bouclé, pacsé juste avant le gong pour perpétrer son incroyable forfait législatif !

Soyons francs : je me trouvais dans un « bad trip », ce que confirma un syndrome post-hallucinatoire persistant, sur les ondes comme dans les meetings si j’en crois les commentateurs, dont les moins bien intentionnés n’hésitent pas à parler de phobies, d’état confusionnel, de bouffées délirantes, que sais-je encore ! Bref, il est grand temps que cette éprouvante séquence politique se termine. N'en ignorant pas l'issue, j’ai pris soin de garder dans leur bocal, conservé au frigo, les feuilles encore humides de ma tisane, pour les proposer à ma doublure dimanche soir après sa dérouillée. D’ici là, qui me dira le sens de ce mot imprononçable qui me martèle la cervelle depuis mon bien curieux voyage, tel le chant d'une pie, insupportable : pipiltzintzintli ?!

vendredi 8 juin 2012

Prométhée


 Insomnie. Communié une bonne partie de la nuit avec l’ami Cioran dans ses Syllogismes de l’amertume, qui toujours sont un baume apaisant sur mes blessures. Émerveillé dans ces pages par le foisonnement de maximes dignes d’être gravées un jour dans le marbre de mon tombeau. Celle-ci par exemple dans quoi je me reflète, tel Narcisse penché sur son miroir d’eau : « Qui n’a connu l’humiliation ignore ce que c’est qu’arriver au dernier stade de soi-même. » Ce souriant Roumain à plume n’ignorait pas, quant à lui, que le stade ultime de la vie vers quoi court chacun d’entre nous est le plus souvent un stade de trop. Blessé, relégué sur un banc de touche, je vais y assister ces deux dimanches à un match dont le résultat est connu d’avance, dans quoi mon numéro sera porté par un remplaçant inconnu dont la seule mission soyons francs ! est de perdre à ma place.

Petit déjeuner sans appétit ; pas touché à mes chouquettes. Tout m’a été donné, tout ou presque m’a été repris. Ne me restera-t-il que cette mairie, cellule austère où vivre reclus comme un moine, loin des plaisirs de la capitale ? Et pour combien de temps encore ? Essuyé une tache de café sur le papier bible de mon Cioran, puis lu ceci au travers, comme dans le marc de ma tasse : « Paris, point le plus éloigné du Paradis, n’en demeure pas moins le seul endroit où il fasse bon désespérer. » Quelle acuité ! Non – Orsay, Conti en sont la preuve –, tous les espoirs ne sont pas perdus à qui désespère sur les quais de Seine ! Même s’y faire affubler du sobriquet d’Hugues capé est au moins, déjà, la reconnaissance qu’on a l’étoffe d’un roi, qu’on peut retrouver un trône, peut-être une présidence... Mais désespérer ici, mon Dieu, loin des projecteurs !...

Croyez-moi, une ville de province n’est pas un paradis, tout au plus un purgatoire où se languir, dans la crainte paradoxale de s’en faire expulser aussi facilement que d’un hébergement d’urgence, pour se retrouver dans l’enfer de la rue, sans même un chien pour vous aimer. Naïf, vous pensez que la ville croît en population parce qu’elle croit en vous, jusqu’au jour où vous découvrez stupéfait son culte exclusif au dieu Hélios. Leur planche de surf sous le bras, tous ces nouveaux électeurs et toutes ces nouvelles électrices sont tellement persuadés d’avoir trouvé ici l’Eden qu’ils y prennent mon agasse pour un oiseau de paradis ! Les imbéciles ! Cette dame de pique n’est qu’une créature du diable chargée au gouvernement des vieux jours, ou si l’on préfère des jours plus vieux : de là à imaginer qu’elle puisse faire chez nous la pluie et le beau temps, laissez-moi rire ! Je crains en vérité que ceux sur qui elle exerce son indigente tutelle n’aient hélas à ouvrir que leurs pépins de santé, s'il souhaitent se protéger des intempéries de la vieillesse !

Déjeuné avec un fat, puis retrouvé Cioran, toujours offert sur un coin du bureau, près de ma tasse vide. J’aime la douceur de ce papier qui me rappelle celui des cigarettes, dont je jurais il y a peu qu’on ne le glisserait pas entre Rikiki et moi (je le jurerais encore, au point d’avoir conservé le portrait du président trop tôt disparu dans mon bureau de maire, alors qu’il a été retiré des autres salles de l’hôtel de ville). Je ressens aussi à palper ces pages le plaisir de l’enfant qui tournait il y a soixante ans les feuilles de son missel, le jour de sa petite communion, après la première visite de Jésus dans son cœur. Sorti mes lunettes pour poser mon crayon à l’aveugle sur une pensée : « ÉVOLUTION : Prométhée, de nos jours, serait un député de l’opposition. » Quelle vérité dans l’ironie sèche et implacable de quelques mots cruels ! Eh bien, s’il la faut, la voilà la vraie raison de mon renoncement à l’Assemblée nationale ! Voleur rebelle du feu sacré qu'il m'incombe de transmettre aux hommes et aux femmes de France et du monde, au nom de quoi irais-je étouffer pendant cinq ans mon tison dans ce qu’il faut bien appeler le crétinisme de l’opposition ? Refusant les chaînes des dieux socialistes, Prométhée doit aux Françaises et aux Français de demeurer leur seul et vrai Titan !

mercredi 30 mai 2012

Le Chat



Effleurant dès potron-minet sur l’oreiller le clavier tactile de son iPhone, ma douce et vigilante moitié digitale m’a signalé ce matin au réveil que Google me faisait, aujourd'hui, les honneurs de sa page d’accueil sur l’Internet. Lui ai répondu dans un bâillement n’en être point surpris, tous les regards de la planète étant désormais tournés vers moi, comme ils le furent jadis vers le Général. Le monde n’ignore pas en effet que, dans la tourmente qui menace de les balayer, les Françaises et les Français ont toujours en réserve un homme d’exception derrière qui retrouver un jour le chemin de leur grandeur, de leur prestige et de leur gloire. La météorite Razibus disparue au firmament de la présidentielle, le peuple de France et, à sa suite, l’Humanité tout entière, gardent les yeux rivés sur celui en qui ils ont reconnu l’étoile polaire, dans l’effrayante nuit d’un monde abandonné à ses démons sans boussole.

« Réveille-toi, me dit Denise, c’était une boutade ! Google célèbre ce 30 mai l’anniversaire de la naissance de Fabergé, au milieu du XIXe siècle. » Comprenne qui pourra… Bien que doté d’un solide sens de l’humour, il m’arrive assez souvent, je le confesse, de ne pas saisir les blagues des autres, ce qui m’empêche hélas la plupart du temps de les goûter. Quelle ressemblance ma femme peut-elle bien me trouver avec le joaillier du tsar de toutes les Russies, au-delà de la notoriété internationale ? C'est un mystère. Pour couper court à ses propos insensés, sans doute influencé moi-même par la source obsessionnelle d’inspiration de Fabergé, j’exprimai une soudaine envie d’œuf à la coque au petit-déjeuner, ce qui me fit curieusement traiter en retour de cannibale. Je ne demandai pas d’explications, me contentant de préciser : « avec des mouillettes, je te prie. » On dit que les vieux couples se comprennent souvent sans n’éprouver plus le besoin de se parler ; je me demande parfois s’ils ne choisissent pas plutôt le silence par crainte de se trop bien comprendre. Soyons francs : le Général est mort en faisant une réussite, pas en bavardant avec Yvonne, confinée sans doute à quelque tricot dans son coin.

A ce propos, il plaît à la presse d’évoquer parfois le vieux couple que je formerais avec ma pie voleuse, chargée depuis peu au gouvernement des personnes qui s’oublient, me dit-on, sans doute en reconnaissance d’une incontinence épistolaire peu ordinaire à mon égard. Comme je ne lui desserre pas les dents, l’ignorant royalement en toutes circonstances et en tous lieux, elle m’écrit sans relâche depuis cinq ans, imaginant qu'il me plairait un jour de lui répondre. Amusé, un ami me confesse que notre relation lui rappelle « Le Chat » de Granier-Deferre. Je serais Gabin, mutique, à qui Signoret, transparente, crie désespérément « miaou, miaou ! » pour qu’il lui parle, comme à son chat. Pour intéressante qu’elle soit, la comparaison a ses limites, puisque je n’ai guère de goût comme on sait pour les greffiers, et qu’on voit parfois ma dame de pique au bout d'une laisse tirée par un molosse. Penser tout de même à lire le roman éponyme de Simenon, où je pourrais bien glaner – qui sait ? quelques idées, de sorte à continuer d’agacer la jacassante agasse.

Retour de courses, Denise me souhaite à l’instant une bonne fête en déposant un paquet sur le coin de ma table de travail, en même temps qu' un baiser sur celui de ma bouche. Lui rappelle qu’on célèbre les Alain le 9 septembre, pas le pénultième de mai. « Ouvre, m’enjoint-elle en soupirant, au lieu de contester ! » L’emballage déchiré sans empressement, je découvre un célèbre parfum pour homme qui, j’en conviens, sied à merveille au présent billet. Tout comme, vînt-elle à me croiser, il envoûtera à n’en pas douter ma pie gouvernementale, trop heureuse de rebaptiser le bourreau muet qu'elle hante sa brute de Fabergé ! A défaut de fable, voilà bien une morale sans doute.

lundi 21 mai 2012

Tu quoque mi fili




En m’assoupissant au salon vendredi après-midi, un peu désœuvré, j’ignorais m’enfoncer dans un affreux songe prémonitoire. M’y est apparu celui qui pourrait être mon fils – qui l’est à sa manière –, dont l'air benoît m’évoque, comme on sait, l’apôtre au nom de gare aimé du Seigneur. De manière inhabituelle, son regard semblait me fuir dans l’ombre d’une capuche alors qu’un rayon oblique, descendu du Ciel, faisait luire dans sa dextre la lame ensanglantée d’un énorme poignard. Je crus d’abord à l’horreur d’un suicide mais, grâce au Ciel, la bure de son duffle-coat était immaculée ! Puisqu’il n’avait point attenté à ses jours, qui venait-il donc de suriner et à quelle fin ? La joie m’envahit d’un coup la poitrine à l’idée qu’il pût s’agir de mon agasse pour lui piquer son  portefeuille, mais je déchantai aussitôt en apercevant l’oiseau de malheur perché sur son épaule, un large sourire au bec.

Dans l’instant qui suivit, un hurlement terrorisa Denise, paisiblement occupée près de moi à son tricotage digital. Réveillé par mon cauchemar, horrifié, suant, soufflant, je continuais de me tâter le flanc avec angoisse, persuadé d’y trouver deux trous rouges au côté droit. Rimbaud, tombé à mes pieds, est un compagnon que je déconseille aux amateurs de siestes paisibles. Quand, encore troublé, je pris en début de soirée le préfet au téléphone, j’étais loin d’imaginer qu’il allait me replonger dans le songe intrigant qui continuait de me hanter, comme si notre proximité affective l’eût doué de télépathie. La voix blanche, il m’informa que ma dame de pique venait de changer in extremis de monture pour lancer l’assaut final de mon siège au Palais Bourbon. « Sa suppléante s’évinçant », me dit-il... « Non, pas lui ! » m'exclamai-je sans le laisser finir. « Mais non, attends, poursuivit-il ! Euh… enfin… si : sa suppléante se retirant, si tu préfères, elle a enfourché le premier destrier de la communauté urbaine pour rejoindre au galop la préfecture, avant l’heure fatidique du dépôt des candidatures. »

Abattu, je me laissai choir dans mon fauteuil, non sans avoir d’un coup de pied envoyé Rimbaud à l’autre bout du salon, ses pages voletant dans sa course telles les ailes d’un oiseau de mauvais augure ! Ainsi donc, mon cher et fidèle Brutus aurait décidé de m’envoyer finir ma saison politique en enfer, lieu de damnation où, enflammée, l’éternité dit-on ne connaît ni cerises ni hivers ! César aveuglé par l'amour paternel, jamais je n’aurais pensé que le fils impatient, par moi éveillé et formé à la res publica, pût un jour nourrir un projet parricide. Et mon inclination demeure aujourd’hui de n’y point croire, tant je ne puis imaginer qu’il envisage  d'utiliser mon siège parlementaire comme un tremplin, vers l’ultime conquête qui serait dans deux ans mon coup de grâce ! Incapable de me trahir, il est forcément l’instrument innocent de ma gazza ladra,  après qu'elle se fut immiscée par effraction au conseil des ministres, à seule fin d’y obtenir ma perte !

Denise m'ordonne de rester calme en feignant de n’avoir point flairé la manœuvre, et d’imaginer plutôt la parade, au lieu de geindre comme le vieillard que je pourrais rapidement devenir à mon âge, si je continue de ruminer des chimères, miné par l’humiliation, abruti par l’oisiveté, rongé par le ressentiment. Si je décline comme elle le craint, me confie-t-elle sans prendre de gants, sinon de crin, il est hors de question qu’elle renonce à son travail pour s’occuper de moi à la maison : grabataire, elle me « collera » dans un EHPAD où, pour jouir de sa victoire, suivie d’une meute de micros et de caméras, faussement affectueuse, ma ministre de tutelle viendra m’offrir des biscuits en me claquant la bise, une main hypocrite sur mon déambulateur. Enfin je serai sa personne âgée et ma mairie sa dépendance !

jeudi 17 mai 2012

Ô vieillesse ennemie !



Grande tristesse pour cette ville blessée, humiliée, déclassée, méprisée, reléguée. Hier encore dirigée par le plus éminent ministre de la République, elle se retrouve aujourd'hui ravalée au rang de cité ordinaire, ignorée d’un gouvernement d'opposition après que, grâce à moi, elle eut repris goût à une première place qui lui revient de droit. Une ville qu’on prétend rayer de la carte, osons le dire, puisque l’on est allé jusqu’à s’assurer que le titre prestigieux qui m’échoyait – ministre d’Etat – disparût du générique gouvernemental pour mieux nier demain qu’il eût jamais existé, ou bien m’en grimer au contraire pour railler ma désuétude. Comme s’il ne suffisait pas à la déchéance municipale que j’eusse, non sans élégance, renoncé la semaine dernière au fauteuil parlementaire inhérent à ma charge.

« Eh bien, ma chère et vieille cité, comme eût dit le Général, nous voici donc ensemble, encore une fois, face à une lourde épreuve » : nous sommes déministrés ! Cruelle situation, indigne de mon rang comme de ton histoire, y compris aux heures les plus sombres de l’Occupation. Denise toussote, qui m’assure avoir aperçu à l’instant ma pie voleuse sur la première chaîne, radieuse en bout de table au conseil des ministres. Quel ridicule ! Je n’ignore pas sa propension à prendre toujours ma place mais, de grâce, compare-t-on un ancien Premier ministre, ministre d’Etat régalien, à une petite déléguée dont le maroquin agace la narine avec sa forte odeur d’hospice ! Soyons francs : on voit bien là à quelles dérives peut conduire le dogme paritaire, dans un gouvernement qui clame faire de la jeunesse son cheval de bataille ! Ces dames vont y faire leur petite cuisine avec la dépendance...

Reçu à l’instant sur mon iPhone une façon de photo de mariage, sur quoi un ami qui me veut forcément du bien me propose de chercher « notre demoiselle d’honneur ». Ne la fréquentant point, je serais bien incapable de la reconnaître dans la rue, a fortiori sur un minuscule écran de téléphone. Un indice : elle est, paraît-il, au dernier rang. La belle affaire ! Je figurais moi-même il n’y a guère au premier, à côté d'un vrai président : cherchez la différence... M’observant avec malice, Denise m’assure que, l’œil fixé sur mon téléphone, je lui évoque un animal qui remuerait la queue. Lui jure n’éprouver, à la nouvelle de cette fausse promotion, plus de joie que le pauvre chien de la péronnelle qui sait faire la différence, lui, entre un os véritable et une imitation de portefeuille. « Je pensais plutôt à un félin, précise-t-elle, dont l’appendice caudale trahit l’énervement par son agitation… » Balivernes ! Je suis une statue de marbre qu'on n'a jamais vue montrer en public le moindre agacement.

Quoi qu'il en soit, qu’on ne compte pas sur le maire que je suis pour céder à je ne sais quelle obligation protocolaire face à cette sous-ministre, nonobstant son goût très prononcé pour l’étiquette ! J’ai mieux à faire, croyez-moi, que de lui filer le train dans les maisons de vieux de la ville en lui donnant du « madame la ministre » ! A la réflexion, ce n’est pas le moindre des paradoxes que, en m’empoisonnant jour et nuit, cette infernale agasse mette chez moi en péril le « bien vieillir » dont elle prétend par ailleurs faire son fonds de commerce jusqu’au sein du gouvernement ! Infernale, disais-je : c'est le mot juste. Me revient soudain à l’esprit le propos d’un collègue du gouvernement que nous nommons affectueusement Zadig révolté entre nous – nommions, devrais-je dire, il va falloir m’y faire… Il s’agissait à l'en croire, j’ai oublié pourquoi, d’une brève citation de Maxime de La Rochefoucauld (sic !) : « L’enfer des femmes, c’est la vieillesse. » Puisse le plus grand de nos moralistes avoir raison ! Par la grâce d’un président diablement paritaire, je tiendrais peut-être alors enfin ma vengeance…

jeudi 10 mai 2012

Mon succès damné



Je n'ignore pas que ceux de mes lecteurs et celles de mes lectrices qui savent lire entre les lignes l’avaient senti au fil des derniers billets de ce blogue, sans qu’il fût besoin d’attendre je ne sais quelle exégèse du scrutin présidentiel. J’en avais du reste moi-même depuis longtemps le pressentiment, sans pouvoir l’exprimer crument de crainte de désespérer celles et ceux qui, partout dans le pays et au-delà de nos frontières, eussent aussitôt sombré dans un profond désespoir à la seule pensée que mes mains pussent lâcher un jour proche les rênes du pouvoir… C’est donc du fond du cœur que je remercie la majorité des Françaises et des Français qui, par leur vote, m’ont enfin donné dimanche l’occasion tant attendue d’une révélation salutaire et libératrice : un maire digne de ce nom se doit avant tout à sa ville. Quoi qu’il lui en coûte, quoi qu’il en coûte à la France.

Reposant ma vieille calculette sur la table de chevet, lundi matin avant l'aube, je n’eus aucun mal à me convaincre – Jason depuis longtemps privé de sa toison – qu’il n’est plus grand bonheur que de retourner « plein d’usage et raison, / Vivre entre ses parents le reste de son âge ». Mes administrées et mes administrés savent bien qu’ils sont depuis toujours ma seule et vraie famille. Certes, une pléiade de mauvais esprits ne manqueront pas de pointer que je convoque fort à propos Joachim du Balai… Ignorez comme moi, je vous prie, leur vain persiflage ; répondez-leur que ma décision était prise avant même que je ne découvrisse une mienne prouesse qui pourrait me valoir les honneurs du Guinness des records en 2013 : je suis le maire de la ville de droite de plus de 100 000 habitants ayant voté le plus à gauche au scrutin présidentiel ! Plus de 57 % de nos suffrages au Corrézien, rendez-vous compte ! Près de 60 % dans ma circonscription législative !

Soyons francs : on n’atteint pas par pur hasard un score aussi remarquable ! Le message à peine voilé des électrices et des électeurs, ce n’est pas que cette ville est maladroite – je veux dire  mal à droite mais qu’elle ne s’y sent bien qu’avec un maire à plein temps. J’ai donc immédiatement tiré les conséquences de ce touchant message : enfin libéré par la présidentielle de mes obligations nationales et internationales, il serait indigne que je fisse aussitôt le siège de mon oiseau de malheur à l’Assemblée ! A mon âge, croyez-moi, on a vraiment mieux à faire pour sa ville que député d’opposition, surtout si l’on répugne à donner dans deux ans les clés de la mairie à des crétins, qu’ils fussent de son propre camp ou de celui des socialistes. Voilà donc pourquoi je m'abstiendrai d'infliger à cette agaçante agasse la plumée qu’elle mérite, que je lui eusse pourtant servie de bon cœur, on le sait, dès le premier tour. Ne croyez pas ceux qui insinueront que j’abandonne le combat par lâcheté, quand jamais – je dis bien jamais ! – je n’ai montré en cinq ans la moindre velléité de reprendre le fauteuil du maire au parlement.

Ma décision prise et assumée, mon âme en paix, il ne me restait qu’à dénicher, pour me suppléer, un candidat si possible incapable de battre ma teigneuse dame de pique, sauf à accepter d’être moi-même la risée de mes détracteurs à l’issue du scrutin législatif. Je ne suis pas peu fier d’avoir dégoté l’oiseau rare : apparatchik départemental étranger à la ville, il porte en outre un prénom qui, par les temps qui courent, n’évoque – comment dire ? – ni la hauteur ni la victoire. Je pense qu’il manque aussi à ce riquiqui du crû l’ébauche de calvitie qui, à son âge, distingue déjà le vrai politique du représentant de commerce ordinaire. Avec son esprit de contradiction, Denise m’objecte évidemment que mon ersatz pourrait bien cependant séduire certains nostalgiques des temps anciens, à qui sa chevelure rappellera mon prédécesseur au nom de stade. Laissez-moi rire ! Je sais surtout que, mauvaise Margarine, ce succédané comptera le 17 juin pour du beurre !