
Ariel, dans ce siècle, c’est bien sûr l’univers virtuel de l’Internet. Ainsi mes esprits malins, qu’on appelle aujourd'hui des trolleurs, ont-ils lancé voilà quelques jours une attaque en règle sur le blogue de ma pie voleuse, en l’accusant rien moins que de détournement de réserve parlementaire. Cela marche, la tempête fait rage ! Il faut dire que l’affaire est grave : la dame de pique a offert trente mille euros à la petite enfance d’une improbable bourgade de banlieue, hors ses murs, quand on sait le manque cruel de crèches dont souffrent, ici, ceux de mes administrés qui s’occupent à la reproduction de l’espèce ! Quel affront ! Quel crime abominable ! La lâdresse électronique jure de m’avoir écrit, et proposé la somme pour sauver le porche d’un vieil hôpital lépreux, nommé d’après le saint patron des marchands de poisson. Se moque-t-elle de moi ? Croit-elle vraiment qu’on puisse me faire la charité, fût-ce pour un hôpital ? Trente mille euros, il y a de quoi rire ! Voudrait-on franchement que je disse merci ?
Il importe bien davantage que les électeurs de la deuxième circonscription, enfin éclairés, finissent par suspecter quelque malversation de mon usurpatrice dans l’usage des fonds publics, et demandent sa mise en examen. Qu’ils exigent des juges rien moins qu'une peine d’inéligibilité assortie de prison avec sursis ! D’autres, pourtant dévoués corps et âme à la cité, n’ont-ils pas injustement payé pour une moindre peccadille ? Nous pilonnons donc allègrement, sans dentelle ni vergogne, pour que la rumeur enfle et résonne dans toutes les gazettes, tous les salons de coiffure, tous les dîners, toutes les maternités, toutes les maisons de retraite. L’accusée, acculée à la défense, finira bien par trébucher. Soyons francs : je me sens ragaillardi depuis que, plébiscité par mes pairs, je veille aux destinées départementales de mon parti. La responsabilité est considérable et, je l'avoue, j’ai plaisir à remettre les mains dans la vraie politique. "A very ancient and fish-like smell", comme il est joliment dit dans "La Tempête"... Je sens de nouveau en moi la jeunesse fougueuse de Rastignac, brûlant de quitter cette province ennuyeuse et de crier : "A nous deux, Paris !" Mon Dieu, quel délice ! N'est-ce pas aussi cela le message social de l'Eglise ?
Frappé, dans la première scène de "La Tempête", par un propos du maître d’équipage, occupé à sauver le navire : "None that I more love than myself". Ce sont pour moi paroles de roi. Seul le prince qui se soucie de soi-même est digne du pouvoir qu’il veut exercer sur les autres : qu’importe qu’il torde le cou à la vérité pour y parvenir, puisque tel n'est pas son choix mais son destin !
Allons, Prospero ! Les jours rallongent, le pont se lève, l’Amérique a un président et le Hun ne fait ni une ni deux. Crois-moi, la météo est excellente et nous irons loin. Depuis la nuit dernière, pour tout dire, je me sens étrangement porté par le vent de l’Histoire !
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