"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

lundi 21 mars 2011

Front de maire


Toujours m’émerveilleront les associations que peut opérer le cerveau humain à la vitesse fulgurante des liens hypertextes dans l’univers digital ! Ainsi d’un flacon d’Ajax aperçu il y a un instant près d’une cuvette de WC – rencontre triviale qui n’a rien en soi d’incongru en un tel lieu, me direz-vous. Certes, mais absorbé comme on l’imagine par des considérations géostratégiques dans la position du penseur de Rodin, je me suis retrouvé d’un coup au cœur d’une autre guerre, celle de Troie, me récitant mentalement des vers de Sophocle dans sa tragédie éponyme du détergent sanitaire. De nouveau penché sur ma table de travail, tel l’Empereur en campagne, grande difficulté à me sortir de l’esprit un vers envahissant d’Ajax : « Qui a le droit avec soi peut aller le front haut ».

S’il s’agit d’une énigme à quoi me soumettraient les dieux, reconnaissons qu’elle est aisément décryptable ! N’est-ce point grâce à ma brillante intervention aux Nations Unies, en effet, qu’une coalition internationale déterminée a aujourd’hui toute légitimité pour libérer la Libye du joug d'un dictateur sanguinaire ? J’en conviens en toute humilité : oui, j'ai le droit dans mes bottes  ! Depuis hier, la France a aussi le Front haut ! Rendons-lui en justice, c’est clairement à Rikiki que nous devons cette formidable réussite au premier tour des cantonales ! Je lui répète depuis des mois que le Front est son talon d’Achille,  et voilà que le Front le talonne à la talonnette au-delà des sondages ! Eh bien, quand nous sommes dans certains cantons littéralement balayés par un tsunami, lui continue d’écouter dans un grand ravissement la météo Marine ! A-t-il jamais entendu parler d'Ajax ou d'Achille ?

Maigre consolation dans ma pauvre ville : nous y avons le Front bas, si l’on peut dire, grâce à une abstention généreuse, mais aussi la queue entre les jambes dans le deuxième canton, pour emprunter à la langue cynophile. Il serait vain en effet, soyons francs, de prétendre ici que mon caniche ait le moral au beau fixe, en ce début de printemps dont le soleil ne suffit point à réchauffer nos os usés de campagne. Aperçu ainsi ce matin sur Internet la photo d’une veillée funèbre de vitrine à l’issue du scrutin. Il ne semble pas à première vue que Charles Trenet y chantait « Y a d’la joie ». Des amis inquiets m’assurent même avoir entendu ma candidate hurler à la  mort sous la pleine lune au milieu de la nuit ; tout vêtu de noir comme un jeune pope, son ex-futur remplaçant venait de prendre congé par un baiser… sur le front. Funeste présage ! L’impressionnante armada que nous avions déployée n’aura donc hélas pas suffi à assurer notre victoire ! Cette semaine d’entre-deux tours ne sera qu'un long chemin de croix où, suçant le vinaigre sous les épines, nous devrons feindre encore l’espoir d’une impossible résurrection.

Aussi, pendant ce temps, mon agaçante agasse volettera-t-elle joyeusement dans des cages d’escalier pour s'assurer d'y faire son nid, appelant tous les ascenseurs par leur petit nom, sonnant à chaque porte,  jacassant, cajolant, enjôlant, enfumant jusqu’à ce que dimanche soir, quand elle aura bien chanté dans les urnes, Jacques Prévert, à pas de loup, vienne lui arracher une plume pour écrire son nom à côté du mot victoire, dans un coin du tableau. M’en veux d’avoir bêtement refusé de lui fourguer ma salle des fêtes, par jalousie bien sûr plus que par scrupule, mais aussi, on s’en souviendra, par crainte d’une homonymie de fort mauvais augure. Ne vend-on pas après tout sur les marchés des salades et des actifs pourris ?... Bêtise ou ironie du calendrier, nous clôturerons dimanche dans la ville la semaine digitale ! Précisément le jour où, enfin, ma gazza ladra ne me contestera plus cette sale défaite dont elle rêvait pourtant de faire… une agora numérique ! « Oh à pie day ! »

1 commentaire:

Opticien a dit…

Monsieur,

Je reconnais en vous un grand homme ! Mon métier m'a en effet appris que c'est assis sur leur lunette que les grands hommes prennent leurs plus grandes décisions. C'est en politique une monture qui en vaut bien d'autres pour se mettre en selles...