"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

dimanche 15 mai 2011

Man oh man!

Samedi. Qui se souvient d’Alphonse Chérel, passé à la postérité dans l’anonymat le plus total, à la façon d’un soldat inconnu sans arc de triomphe ? De manière récurrente, les mœurs politiques comme l’actualité internationale donnent pourtant ces jours-ci l’impression que ce monsieur, injustement plongé dans l’oubli, était à sa manière une sorte de Nostradamus moderne. Un blanc bec qui fait bruyamment ses classes au conseil municipal ne me taillait-il pas il y a peu un costard, en m’attribuant sans preuve un revenu mensuel cumulé supérieur à trente mille euros ! Aujourd’hui, c’est un socialiste en CDD à Washington qu’on accuse de se faire lui-même tailler des costumes pour à peu près le même montant. Où va-t-on ? Croyez-moi, le scandale est bien moins dans l’argent qu’on gagne ou l’usage qu’on en fait que dans l’opulence des tailleurs sans vergogne qu’il engraisse !

Si vous évoquez la méthode Assimil devant ces gens-là, je ne doute pas qu’ils tordent le nez en  pensant que vous venez d’en lire discrètement le prix sur l’étiquette, ce qui ne se fait pas dans les grandes maisons comme l’enseigne Nadine de Rothschild. On ignore quelle était la fortune d’Alphonse Chérel et où il s’habillait, mais il est temps de dévoiler aux profanes qu’il a laissé à la langue française, si l’on peut dire, un bijou de phrase immortelle : « My tailor is rich ». C’était en 1929 dans L’anglais sans peine, preuve s’il en faut que les tailleurs ont toujours prospéré en période de crise, même en des temps où n’avait point encore été inventé le RSA pour se remplir les poches, les doigts de pied en éventail. Denise m’apprend que Ionesco voulut donner pour titre à l’une de ses pièces cette phrase quasi shakespearienne d’une grande profondeur, en hommage au discours de la méthode Chérel. Il l’appela finalement « La cantatrice chauve », surnom dont, paraît-il, on m’affuble affectueusement dans les couloirs de l’ONU depuis mon show à New York. Ce n’est pas bien méchant.

A ce propos, il n’est pas inutile de préciser que c’est à Port-au-Prince que j’écris ces lignes, où je viens de représenter la France à la cérémonie d’investiture du nouveau président haïtien ; ses concitoyens l’appellent « Tet Kale », ce qui signifie en créole « tête chauve ». A ma différence, je reconnais qu’il s’agit là d’un authentique chanteur populaire. Eu bien sûr ici une pensée émue pour notre ami Toussaint Louverture, dont j’irai à mon retour saluer la statue au bord du fleuve, dès que mon emploi du temps me permettra de passer quelques instants dans ma mairie. Passionnante discussion cet après-midi sur le Champ de Mars de Port-au-Prince avec des compatriotes de l’ONG « Entrepreneurs du Monde » ; ils m’ont donné sur le relogement des idées intelligentes, que je leur ai promis de développer moi-même dès que possible dans notre cité, sans attendre un hypothétique séisme pour me conformer à la loi SRU sur le logement social.

Heureux aussi de rencontrer au palais national mon vieil ami Bill, envoyé spécial de Ban Ki-moon dans ce pays. Toujours blagueur, il m’a taquiné sur ma candidature à la présidentielle. Je ne cacherai pas la fierté que j’ai ressentie lorsque, jovial à son habitude, il m’a tapé sur l’épaule pour me féliciter de ma remontée fulgurante dans un récent sondage dont il avait pris connaissance. Non seulement j’y talonne effectivement le socialiste FMIné mais j’y écrase les talonnettes de Razibus ! J’ai bien sûr balayé de la main l’incitation de Clinton à me présenter, lui rappelant ma loyauté totale au candidat naturel déjà en place à l’Elysée. Il a éclaté de rire : « Man oh man!, m’a-t-il répliqué, la République n’accouche pas toujours de ses présidents par les voies naturelles ! Vas-y, fonce ! » Troublé tout de même... Et s'il avait raison ?

Dimanche. Décalage horaire oblige, alors que ce qui précède a été écrit « hier » en Haïti, c’est dans l’avion du retour que j’apprends la mésaventure américaine du chouchou socialiste des sondages. Me dis que, quelle que soit la facture de son tailleur, on sait depuis Andersen que le roi est toujours nu quand il sort de la baignoire. Repense avec émotion à cette vidéo prémonitoire où il expliquait comment défroisser soi-même son costume dans une salle de bain d’hôtel. Je ne commenterai pas plus avant le fait divers qui va tourner en boucle aujourd’hui dans tous les médias, l’inculpé new-yorkais étant présumé innocent. M’aurait-il consulté, pourtant, que je lui aurais conseillé de se méfier comme de la peste des femmes de chambre. Soyons francs : j'ai appris à mes dépens il y a quatre ans que, d'une manière ou d'une autre, elles finissent toujours par vous piquer votre siège, que ce soit à l’Elysée ou au parlement !

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