"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

jeudi 12 août 2010

Pensées pour moi-même

        Denise a ricané l’autre jour en me voyant glisser, dans la pochette de ma valise, les "Pensées pour moi-même" de Marc-Aurèle. Non point en raison d’un titre qui peut sembler plagier celui de ce modeste blogue, mais parce que c’est le texte original, "Ta eis eauton", que je voulais reprendre dans la douce torpeur de l’été, comme d’autres une vieille bande dessinée de leur enfance. Je dois à la vérité de dire que le grec ancien et moi nous sommes un peu perdus de vue ces dernières décennies et, ma foi, c’est à la librairie-papeterie d’Hossegor que je dois d’avoir pu pénétrer finalement les pensées de l’empereur philosophe, avec une édition de poche en langue française.  
        Heureuse époque au passage que l’Antiquité romaine, où l’on se payait le luxe de mettre sur le trône impérial un philosophe ! Je doute que parviennent au monde de la fin du quatrième millénaire – hélas ! – les fortes pensées de Razibus, même chantées par son épouse modèle à la guitare. Qui sait ? Tout se brouille ou s’évanouit au fil du temps ; peut-être les exégètes de notre petite histoire antique imagineront-ils que Françoise Hardy s’était fait souffler par Marianne les paroles de son "Voyou Voyou" dédié au président. A moins que ce ne fût par Flaubert, forgeur originel de la voyoucratie à peu près à la même époque, en 1865. 
        Mais, à mille lieues de la rumeur médiatique, dans la retraite torpide de mes pins et assuré d’un beau maroquin, je m’égare. Revenons à ce cher et pur Marcus Aurelius, parce qu’il me vaut bien. Nul n’ignore son célèbre adage sur "la perfection du caractère (qui) consiste à passer chaque journée comme si c’était la dernière,…" Qu’il me permette d’ajouter personnellement "ou la première", tant il me reste à faire pour la France et le monde, au sortir de la jeunesse et d’un interminable tunnel. Le maître poursuit pour sa part de la sorte : "…à éviter l’agitation, la torpeur et l’hypocrisie". Si l’on veut mais, soyons francs, c’est pour ne pas me mêler à l’agitation que je chéris la torpeur de l’été dont nul ne saurait m’extraire, fût-ce aux forceps !
        Qu’on ne compte pas en effet sur moi pour dire ici,  comme mon jumeau d'emprunt, un seul mot de travers sur Rikiki, dont je loue quotidiennement l’action sur nos retraites en attendant mon ministère. Quant à l’hypocrisie, mon Dieu, on peut s’il le faut lui trouver des noms plus respectables, sans qu'elle en soit moins nécessaire à la vie de nos sociétés policées, croyez-moi. Ne me parlez donc pas d’échéances ou de nationalité ! Ne prétendez pas, je vous prie, que tous les chemins de 2012 mènent aux Roms. Est-ce clair ? Vraiment, je n’y suis pour personne ! Please, do not disturb ! Que la concierge reste dans la confusion intellectuelle de sa loge, je suis moi dans l’escalier ! 
        Ma Faustine – je veux dire Denise – aime à me rassurer, qui me chipe chaque jour Marc-Aurèle pendant ma sieste, après la vaisselle et quelques rangs de tricot. Ses morceaux choisis m’agacent parfois, mais que ne pardonné-je pas à cette sainte femme digitale ! Elle reconnaît en moi, affirme-t-elle, un disciple rigoureux de l’imperator stoïque dans le miroir de tel ou tel morceau choisi. Au hasard : "Avant que tu ne parles, on doit pouvoir lire sur ton visage ce que tu vas dire." Je proteste vivement, arguant d’une pudeur quasi pathologique ? Elle évoque l’agacement que je suis incapable de celer face à des contradicteurs. Ignore-t-elle donc au prix de quel effort je me retiens de faire taire ces impertinents, quand je n’ai pas hélas le moyen de leur couper le sifflet ? 
        Et puis cette perfidie, dont je vois bien qui elle désigne : "Habitue-toi à ce que tu repousses." Non, pas ça ! c’est au-dessus de mes forces, Nisa ! Je refuse de m’habituer jamais à cette usurpatrice qui me colle aux basques jusque sur mon lieu de villégiature familiale ! Comment lui pardonnerais-je d’avoir, par son crime abominable, différé le moment où, tel Marc-Aurèle, il m’appartenait de sauver l’empire, la planète tout entière, des assauts à quoi ils étaient exposés ! Mais l’Histoire oubliera cette misérable femme ; elle retournera à ses clystères, à son plumeau, et puis à la poussière.
        De moi, les manuels scolaires retiendront la rigueur morale et la pratique sévère de la vertu, récompensées par les Françaises et les Français de leur trône suprême. Heureux engourdissement du mois d’août ! Nous fêterons dans trois jours mon anniversaire, et aussi celui de Napoléon, excusez du peu ! "Pourvou qué ça douré !", me taquine Denise, à la manière de Maria Letizia.

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