"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

jeudi 27 novembre 2008

La forme


C’est insupportable ! C'est exaspérant ! Elle s’est encore collée dans mes pattes, si l’on veut bien me pardonner une trivialité dont ce blogue est peu coutumier ! J’étais tranquillement avant-hier en ma cathédrale du CAPC, prêchant mes fidèles du conseil de quartier, quand la dame du parti pris, que j’ignorais à mon accoutumée, a plongé comme une méchante grimace dans la soupe dont j’abreuvais mes brebis extasiées. Ayant suspendu son vol entre deux avions, mais pas celui du temps, ma pie pressée exigeait d'ouvrir son bec hic et nunc, avant de rebattre de l’aile vers la capitale. Avec l’amabilité que je réserve en toute circonstance à l’oiselle, je lui fis fermement remarquer qu’étant en communion particulière, nous n’avions que faire de son conseil général. Sans respect pour ma personne ni mon ministère municipal, elle n'en fit pas moins hargneusement valoir son droit de simple matrone du quartier à défendre la veuve et l’orphelin, sous des sifflets d'indignation.


Il ne lui suffit pas d’avoir dérobé mon siège : il lui faut aussi le faire, si l'on m'accorde cette façon de zeugme ! Pourquoi diable cette fixation sur ma pomme, pour employer son vocabulaire ? La harcelé-je personnellement ? Non, on ne tourmente pas l’unique objet de son ressentiment ; on l’ignore, on le nie, on le dénie ! Je ne veux pas la voir, bon sang de bois ! Elle n’existe pas ! Est-ce si compliqué à comprendre ? Vivement 2012 que je quitte cette ville ingrate et m’installe au Château, dont le perron jamais ne sera foulé par la péronnelle !


Si j’avais eu quelque chose à lui dire, en ce noir tombeau de l’art déchu, c’eût été paradoxalement mon soutien sans réserve à sa dame de cœur du Poitou, ce qui n’eût pas manqué de la surprendre. N’ayant en effet jamais admis moi-même que six cent soixante-dix voix pussent me défaire, je sais d’instinct que cent deux bulletins ne sauraient faire une reine des socialistes ! Croyez-moi : ici aussi il aurait fallu récoler et réclamer un troisième tour, pour me rétablir sans tarder dans mes droits inaliénables de législateur. Cela dit, je n’ignore pas le vœu secret de ma dame de pique pour finir son travail de conquête : qu’en 2014 notre ville aille de mâle en pie ! Soyons francs : je serai déjà parti, ayant au second tour de l'an 12 renvoyé la Jeanne du PS à ses chèvres.


A ce sujet, suis agacé que la presse ait semblé indifférente à une récente dépêche reprenant des propos par quoi, finement mais sans équivoque, je me mettais sur les rangs de la présidentielle. Le petit Hun quant à lui ne s’y est pas trompé, qui épluche la moindre feuille de chou cantonale. Il me l’a fait savoir avec la délicatesse qu’on lui connaît. Évoquant sa boulimie de réformes avec le journaliste qui m’interrogeait, j’avais en effet glissé du bout des lèvres, avec une moue innocente comme les affectionnait Mitterrand : "ça part un peu dans tous les sens". On sait que le nain agité les a tous en éveil, mais je l'aurai.


Elle a osé en parler sur son blogue ! Elle a osé ! Denise ne comprend pas que je m’abime à consulter ses billets grinçants, mais qu'y puis-je ? J’ai beau me jurer de ne plus cliquer sur son adresse, c’est plus fort que moi, il faut que j’y retourne ! Nisa se trompe pourtant, qui parle d’addiction. C’est en effet plutôt, je crois, la fascination du vide dans quoi cette détrousseuse sans vergogne m’a poussé. "Le vase donne une forme au vide" a écrit quelque part un peintre observateur*. Je ne saurais mieux dire : cette femme cruelle est le vase maudit sans quoi je ne puis retrouver ma forme.

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Georges Braque, Le Jour et la Nuit.

mardi 18 novembre 2008

Nuits de chine


Viens de recevoir les syndicats du tramway, qui craignent pour les salaires et la productivité si leur temps de travail est annualisé par Keolis. C’est leur problème. On m’a assez répété pendant la campagne municipale que le tramway n’est pas l’œuvre du maire : qu’ils aillent donc se plaindre au brouillon cub, s’il est remis d’un méchant tour de Reims qui le fait terriblement souffrir, me dit-on. Le problème, avec les syndicats, c’est qu’ils veulent toujours travailler moins pour gagner plus, comme dirait l’autre. Ce n’est pas de la sorte qu’on va juguler la crise, croyez-moi ! Soyons francs : nul n’ignorant désormais que cette ville classée compte deux fois plus de pauvres que la moyenne nationale, j’ai autre chose à faire que de m’occuper de travailleurs nantis qui roulent au chaud en tramway. Qu’ils s’estiment donc déjà heureux qu’on n’exige pas d’eux un titre de transport !

Me suis gardé d’évoquer, devant ces fainéants revendicatifs, l’idée géniale qui m’est venue à trente mille pieds d’altitude, retour du Canada. Dans la nuit qui assombrissait progressivement les nuages, mon esprit toujours vif a conçu dans un demi-sommeil un plan qui ne devrait pas contrarier notre archevêque. L'incontestable succès de l’ouverture dominicale des magasins est la preuve, s'il en est besoin, que mes administrés plébiscitent l’étalement des achats sur leur temps de repos, quoi qu’en pensent quelques pincés du culte. Hors, ils ne se reposent pas que le week-end, mais aussi la nuit, ce que personne ne semble remarquer ! On doit donc en toute logique autoriser l’activité marchande nocturne, à l’instar du commerce de la chair. Il faut que cette ville pionnière invente le commerce durable, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept !

Outre la rentabilisation des infrastructures commer-ciales, les profits et la croissance, le dévelop-pement de l’emploi et les heures supplémentaires, cette révolution moderne offrira aux insomniaques une alternative saine et intelligente aux somnifères, anxiolytiques et autres antidépresseurs, dont notre pays fait une consommation anormalement élevée. Roselyne est bonne fille, et pharmacienne dans le civil : si les apothicaires se plaignent, je me fais fort d’obtenir qu’elle les autorise à vendre nos châteaux, dont les vertus thérapeutiques n’ont plus à être démontrées. Keolis fera naturellement rouler ses tramways toute la nuit sans interruption, pour aspirer des plus lointaines banlieues les jeunes consommateurs, qui ne traîneront plus nuitamment leur misère existentielle sur des parkings à délinquance. Ceux à qui est interdite l’entrée des boîtes de nuit, pour cause de faciès ou de pauvreté, pourront aller dans les bibliothèques municipales, dont nous assurerons également l’ouverture en permanence par des bénévoles, pour assurer le brassage nocturne des populations au-delà des camionnettes « buissonnières ». Un peu de lecture ne fera pas de mal aux pauvres, je vous l'assure, et les illettrés seront au chaud !

Nisa, qui à vérifié dans sa Bible digitale, m’assure qu’il n’y est nulle part question de nuit du Seigneur. C’est donc que Dieu, qui a le souci de la procréation mais le sommeil lourd des travailleurs de force, laisse l’homme totalement maître de son temps nocturne. Fayaux, que j’imagine au demeurant insomniaque, ne trouvera rien à redire à cette œuvre municipale de salubrité publique, de surcroît respectueuse du Livre. Peut-être même la verra-t-on, à minuit passé dans le faisceau d’un réverbère, en quête de quelque infâme tisane, ou épuisant à bicyclette son forfait Orange, enveloppée d’un improbable châle.

Seule râlera comme à l’habitude ma pie de mauvais augure, par principe prétendument républicain. Cela dit, j'en fais le pari, si j’organise à une heure du matin une cérémonie de commémoration, on la verra à mes côtés en robe de Chambre.

jeudi 13 novembre 2008

Yahvé Allah et moi


Fin de mission à N.Y. où je représentais N.S. à une réunion de chefs d’Etat sur le dialogue interreligieux. Si le petit monsieur prétendait me mettre en apprentissage pendant deux jours, c'est raté : je connais le métier et l’on m’y reconnaît. Tout de même agréable de se retrouver à l'ONU parmi ses pairs, quand bien même on les domine intellectuellement, sans vouloir me vanter. Parmi eux, ai repensé avec tendresse à cette vieille dame, un peu sourde sans doute, heureuse de me croiser à l’aéroport, qui m’a gratifié avec assurance d’un affectueux : "Je vous adore, c’est vous notre futur président Groupama !" Si la restitution était approximative, l’intelligence m’a semblé vive et l’intuition réelle. Soyons francs : par la médiation de cette administrée peut-être, Yahvé et Allah m’ont, je crois, dans leur dialogue œcuménique, désigné clairement du doigt. Que leur volonté soit faite.


Suis allé cet après-midi me recueillir un instant sur le site des feues Twin Towers. En élevant mon regard vers leurs sommets disparus, ai vu dans un flash s’élever à leur place notre passerelle métallique dédoublée, telles deux tours Eiffel buissonnières. Une voix semble alors m’avoir murmuré, comme sortie dans un souffle des nuages : "Construis une tour Eiffel près de ton fleuve pour la jumeler à celle de Chagall et de Trenet." Je sais que le long fil rimbaldien tendu entre les deux me fera, de clocher en clocher, gagner la capitale ! » A ton chalumeau, Buisson, nous n’avons plus de temps à perdre mais une élection à gagner !


Barack Obama n’avait pas encore répondu à mon courrier quand j’ai quitté notre ex future capitale européenne de la culture pour le nouveau continent. Sans doute sa lettre enthousiaste m’attendra-t-elle à notre retour, mêlée à l’abondant courrier d’administrés reconnaissants que me délivre chaque jour un facteur résolument hostile. Chicago n’est pas si loin, mais Barack me pardonnera de ne pouvoir y faire un crochet, étant attendu dès demain dans mon cher et vieux Canada, pour y célébrer le 400e anniversaire de la fondation de Québec, et effacer les pas de Roussy. Serai fêté comme un enfant du pays dans les deux langues.


Quel besoin avait Denise, dans un hôtel copieusement étoilé de l'Upper East Side, à des milliers de kilomètres de la France, au-delà d'un océan, d’aller me dégoter sur Internet une photo de ma pie voleuse entre notre préfet et un général, à la cérémonie municipale du 11 novembre ! La péronnelle ne rate pas une commémoration, marquant un certain goût pour l’uniforme. Si le petit Hun suit les recommandations de la commission Kaspi, je me demande à quoi elle passera son temps. Le cliché la montre dans un tailleur bleu, pas très couverte pour la saison. A quelques pas mon légionnaire, raide comme la justice, que n'inspire pas son propre patronyme pour lui offrir la moitié de sa veste sénatoriale... C’est indigne, mais je le comprends.


Quoi qu'il advienne, on ne verra pas la dame de pique dans la ville à partir de demain. Non à cause d'une mauvaise bronchite, mais parce qu'elle va commémorer à Reims ce week-end le soixante-quinzième anniversaire des congrès socialistes. Le préfet et le général, me dit-on, ont décliné cette partie de chasse royale, qui s'annonce trop sportive. Tant pis pour les photos. La doctoresse s’en remettra, et eux pourront à l'occasion regarder au chaud, sur la chaîne parlementaire, la recette du broyé du Poitou.

dimanche 9 novembre 2008

Enfin Grouchy !


Visité à Berlin le site d’une éolienne de dernière génération. Haute de cent quatre-vingt mètres, elle produit de l’électricité pour quinze mille habitants. C'est incroyable ! Émerveillé, j’ai confié à Angela Merkel - amie de quinze ans avec qui j’ai des atomes crochus, sans danger de fission - que je pourrais reconsidérer cette histoire de redressement du pont Eiffel, prise à tort peut-être pour une mauvaise plaisanterie. Imaginez que, si notre soudeur Buisson acceptait qu’on donne à sa tour des ailes de moulin, nous pourrions fournir en électricité près de quarante mille de mes administrés, puisqu’elle ferait plus de deux fois la hauteur de celle de Berlin ! Joschka Fischer m’a soutenu, dont la pensée est toujours aussi pénétrante, arguant qu’on peut en effet se battre contre une tour, mais plus difficilement contre des moulins à vent. Angela a semblé d’accord, évoquant subtilement en illustration sa relation difficile avec notre petit président.


Au-delà de ces rencontres amicales, j’étais en fait fin octobre à Berlin pour m'exprimer comme expert, devant le Haut Conseil Culturel franco-allemand que préside un vieux compagnon, Jacques Toubon - "comme dans le cochon", plaisantions-nous dans notre jeunesse ! Il s’agissait de plancher sur la question suivante : "Une politique culturelle européenne est-elle souhaitable ?" J’ai passé outre la mise en garde de Denise, qui voyait dans cette invitation une façon de provocation envers le maire d’une ville honteusement privée, il y a peu, du titre de capitale européenne de la culture. Je ne pouvais en effet, au motif de cette blessure, ne pas saisir l’occasion de rappeler au monde que la culture est un puissant levier de développement économique et social, notamment grâce aux industries culturelles.


J’ai donc de nouveau évoqué la filière culturelle viti-vinicole, les châteaux de nos vignes devant naturellement dialoguer avec les vins d’Outre-Rhin, mais avec aussi d’autres boissons allemandes servies à la pression. A la faveur de leurs échanges, les jeunes de nos collèges, de nos lycées et de nos universités sont à ce sujet les meilleurs vecteurs de brassage et de rayonnement culturels, pour preuve le fructueux jumelage de notre ville avec Munich. Il est enivrant à leur âge de découvrir sur place, par tâtonnements successifs, qu’on ne marie pas un vin rouge à une choucroute ou une bière à un magret. C’est une belle illustration de la méthode expérimentale de Claude Bernard, qui vaut bien quelques juvéniles gueules de bois : "on n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans !"


Quant au champagne, on le sabrera semble-t-il très bientôt à Reims, pour fêter la victoire d’une femme, à défaut d’avoir pu user efficacement de sa rapière pour la décapiter. Qu’il le veuille ou non, le parti socialiste s'apprête à m’offrir un cadeau royal pour ma présidentielle. Soyons francs : je sais parler aux femmes en politique et on m’a vu à l’œuvre, au siècle dernier, avec quelques péronnelles de mon gouvernement. La Perrette de Poitiers prépare ses aiguilles de couture pour terrasser la petite éolienne vaudou de l’Elysée ? Grand bien lui fasse ! Elle rêve d'écraser Blücher mais devra affronter Grouchy : j’offrirai aux frères ennemis de Joséphine leur victoire de Waterloo.

jeudi 6 novembre 2008

Yes, week-end !


Homme d’ouverture pourtant au-delà d’un nom apéritif, notre cardinal m’a appelé hier soir, depuis Lourdes, pour me conjurer de fermer les magasins le dimanche, sur instruction expresse de Monseigneur Vingt-Trois, président de la conférence des évêques de France, sans doute alerté par la pieuse Faillaux. J’apprécie l’homme, mais il m’agace. Pourquoi les prêtres seraient-ils seuls autorisés à travailler le jour du Seigneur ? J’ai rappelé au bon prélat que le salut des créatures de Dieu passe aussi par le beurre qu’elles peuvent mettre dans leurs épinards, qui ne tombe pas du ciel en mottes.


Parlant d’épinards, lui ai soufflé une question pour sa conférence : pourquoi la sainte communion ne permet-elle au fidèle de ne consommer que le corps du Christ et non point aussi son sang, comme il l’a enseigné aux apôtres pour leurs mises en cène? Je m’explique : qu’on propose nos meilleurs châteaux à mes administrés pour l’eucharistie dominicale, en sus de l’hostie consacrée, et je m’engage à les envoyer en masse à l’église plutôt qu’au quai des marques ! Des étals pourraient ainsi, après la sainte dégustation, être installés sur le parvis des églises, pour proposer à bon prix des bouteilles de vin béni aux fidèles allégés de leurs péchés. Le cardinal ne m’a rien promis, je l’avoue, se contentant de remarquer que Dieu, pour me punir, pourrait bien faire travailler aussi nos vins tous les jours de la semaine, week-end compris, et les transformer finalement en piquette. Allons, Dieu est amour, non vengeance, et je sais qu’il veut comme moi que nos châteaux se vendent aussi bien que l’eau de Lourdes!


S’il me rappelle, penser à demander à notre épiscope ce qu’il pense de la retraite à soixante-dix ans. Certes, le Christ a quitté son travail terrestre à moitié moins, mais il est toujours à la tâche auprès du Père, comme beaucoup de vieux prêtres qu’on ne se bat pas pour remplacer au portillon des presbytères. Peut-être l’archevêque me rappel-lera-t-il que j’ai moi-même naguère fait valoir mes droits à pension civile bien avant soixante ans, profitant in extremis d’une loi trop prodigue que nous allions supprimer, mais c’était pour faire don de ma personne à la cité, au pays et au monde. On sait que Dieu, qui a clairement opté pour le repos dominical, sans le moindre commandement sur la retraite, m’a bien fait payer depuis, avec le secours d’une justice aucunement céleste, d’avoir rendu si tôt mon tablier de fonctionnaire. Soyons francs et disons-le sans détour à nos anciens : à partir d’un certain âge, on se remet statistiquement mieux d’un accident du travail que d’un accident vasculaire cérébral. Travailler plus longtemps permet donc de désengorger non seulement les maisons de retraite, mais aussi les urgences des hôpitaux. C’est bon pour les comptes de l’État et de la sécurité sociale.


Ai tenté de téléphoner à Barack Obama ce midi, pour le féliciter. On a refusé de me le passer, en me gratifiant d’un désobligeant "Never heard of you, man !". Ces démocrates métissés sont trop jeunes pour savoir que j’ai occupé naguère le quai d’Orsay et Matignon. Ignorent-ils seulement moins que Bush ce que sont l’un et l’autre ? Faute de mieux, me suis replié sur un petit compliment postal "prioritaire", accompagné d’une photo dédicacée de moi sur un âne, pour gage de ma proximité quotidienne avec le sympathique symbole du nouveau parti présidentiel. J’y rappelle à Obama que nos sorts seront liés en 2012, année du renouvellement de son bail à la Maison Blanche et de la signature du mien à l’Elysée. Par la grâce d’une loi de progrès, je ne serai pas plus que lui menacé à cette date , en pleine jeunesse, du couperet humiliant de la retraite obligatoire.

dimanche 2 novembre 2008

Soglitude des pauvres


Jour des morts, et temps de chien à noyer, plus que le chagrin des vivants, les chrysanthèmes qu'ils ont abandonnés hier dans des cimetières presque marins. Je pense à nos pauvres, chiens battus et mouillés de la vie, dont le nombre a crû sans que nous ne puissions le croire. C’est qu’on ne les voit guère, et il aura fallu une enquête pour me faire admettre qu’un quart de mes administrés vivent sous le seuil de la pauvreté. Christine Lagarde m’a rassuré, à qui j’ai confié mon inquiétude. Elle me conseille de communiquer sur l’écrasante majorité des habitants - 75% ! - qui sont au-dessus de ce seuil fatidique. Ce n’est pas faux, et je retiens aussi sa suggestion de parler de plan "chaleur retrouvée" plutôt que de plan "grand froid". Cette femme intelligente a raison, voyez-vous : il est inutile d’effrayer les pauvres avec des formules humiliantes et définitives, qui souvent ne font pas sens pour eux.


Ainsi du seuil de pauvreté. Quels pauvres, je le demande, sont en mesure de comprendre le sens d’une expression aussi absconse ? Même si la plupart sont au chômage, combien se lèvent le matin pour aller battre la semelle devant l’ANPE ? Cette semelle qui les renverrait pourtant au latin "solum", d’où nous est venu le seuil, par l’italien "soglio". J’en entends déjà me rétorquer méchamment que cela leur ferait une belle jambe, quand la misère leur colle aux semelles comme une gomme mâchée. Certes, mais mon propos est d’en venir à Tanja Barazon, docteure en philosophie de la Sorbonne, actuellement à la recherche de contributeurs prêts à méditer sur le concept de seuil, pour une revue scientifique* de l’université Laval de Québec, dans une livraison qui s’intitulera "Soglitude", en écho à "soglio" et à la solitude humaine. J’encourage vivement les visiteurs de ce blogue se trouvant au-dessous du seuil de pauvreté à contacter cette universitaire, pour lui exposer les joies et les peines de leur soglitude personnelle. Soyons francs: ils découvriront au passage que l’activité intellectuelle est aussi un moyen de se réchauffer, en préservant sa santé mentale, aussi essentielle à la santé physique, croyez-moi, que cinq fruits et légumes par jour.


Soglitude… Je ne sais pourquoi ce néologisme sympathique me renvoie à Royal de Luxe, cette brillante troupe nantaise qui vient de se produire à la base sous-marine avec "Le cauchemar de Toni Travolta", une comédie musicale drolatique et burlesque. Il reste encore deux représentations, lundi et mardi : l’occasion pour nos pauvres, s’ils acceptent de faire un peu la queue sous la pluie, de se remplir à l’œil le boyau de la rigolade !


P.S. Notre chère Marie-Agnès qui, attirée par Denise, vient de relire ces lignes, m’assure avec enthousiasme, et non sans humour, que le parti socialiste sera bientôt repris par Royal de Luxe, alors que le maire de Nantes roule pour celui de Paris. C’est à n’y rien comprendre, mais qu’importe, quand le premier socialiste de France est de toute façon déjà à l’Elysée…

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* Conserveries Mémorielles, revue interdisciplinaire de la chaire de recherche du Canada en histoire comparée de la mémoire :
http://www.celat.ulaval.ca/histoire.memoire/appelpage3.htm