"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

vendredi 27 avril 2012

Compatibilité de campagne



« Ton union avec Denise fut-elle un mariage d’humour ? » me demandait l’autre jour un ami. Question délicate dans  une langue qui, à l'oreille, ne distingue l’humour de l’amour que par une voyelle initiale, petite marque de naissance d’une troublante gémellité… Aime-t-on jamais du reste sans humer ? Les sentiments ont  leurs senteurs intimes, aussi mêlées que les essences d’un parfum délicat ; je me garderai d'essayer d’en dresser ici l’inventaire, de crainte d’en tuer à la fois le mystère envoûtant et la magie. Contentons-nous donc de dire que le goût affirmé de Denise pour l’humour n’a d’égal que le mien propre qui, sans fausse modestie, n’est pas étranger à la brillante carrière publique qui a fait de moi l’une des personnalités politiques le plus aimées des Françaises et des Français.

Où voulais-je en venir ?... Oui, à une réflexion de notre coquine ce matin dans la salle de bain, alors qu’au sortir de la douche, dans le plus simple appareil, je me frictionnais vigoureusement ce qu’il est convenu d’appeler le cuir chevelu. « Dommage que tu refuses de te laisser pousser quelques mèches pour cacher un peu ce Front de maire », me dit-elle d’un air faussement ingénu, avant de siffloter aussitôt Les gars de la Marine en s’affairant à son grimage. Fait mine de ne pas comprendre la fine allusion à l’extrême coup de barre à tribord du grand Rikiki, plus que jamais déterminé à faire la victoire buissonnière le 6 mai.

Soyons francs : j’assume cette orientation musclée, en rien incompatible avec ma totale adhésion au message social de l’Église, contrairement à ce que des esprits sournois tentent ici ou là d’insinuer pour me nuire. Le curé ami d’une paroisse éligienne de la ville me l’a du reste confirmé hier au téléphone à ma demande, s’il en était besoin. Oui, grâce au Ciel, on peut encore constater à voix haute qu’il y a trop d’étrangers dans ce pays sans être sur le champ suspecté de dyscalculie ! Ou, plus grave encore, accusé de renier son baptême en se souciant comme d'une guigne en hiver de l’amour de son prochain ! Ce fléau invasif n’est bien sûr pas spécifique à la France ; j’encourage nos concitoyennes et nos concitoyens à sortir un peu de ce qui reste de nos frontières : ils constateront comme moi qu’il y a de plus en plus d’étrangers partout dans le monde ! Ce n’est pas une fatalité si les vraies Françaises et les vrais Français veulent bien donner demain mandat au président Razibus de contenir, pour cinq ans encore, cet inquiétant grouillement planétaire.

A ce propos, il n’aura échappé à personne que Rikiki a dressé hier soir sur Antenne 2 le portrait-robot du futur Premier ministre que lui imposent son cœur et sa raison. Connaissant le job, pourquoi prétendrais-je ne m’être pas reconnu en « l’homme d’expérience » qu’il souhaite appeler à ses côtés pour diriger fermement le gouvernement de la République ? Bien sûr, j’apprécie qu’il tienne à entretenir un faux suspense jusqu’au scrutin : il est même allé l’autre jour jusqu’à feindre de me rappeler sèchement à l'ordre ! Pour quel crime abominable, me demanderez-vous l' œil malicieux ? Eh bien l’évocation sur Radio Luxembourg de l’avenir de mon grand mouvement populaire si, contre toute attente et pour notre malheur, nous nous retrouvions demain orphelins du plus extraordinaire président de la Ve République ! Inutile de préciser que nous étions convenus de ce scénario dramatique : comme prévu, les médias se sont précipités sur l’hameçon !

Je le répète donc ici, comme déjà je l’ai rappelé à la presse : quoi qu'on vous raconte, nul ne trouvera jamais entre le petit Hun et moi l’épaisseur d'une feuille de papier à cigarette ! Cette chère Denise, qui lit par-dessus mon épaule à son accoutumée, me conseille de préciser que rien ne garantit pour autant que nous fassions le 6 mai un tabac...

vendredi 20 avril 2012

Le plumeau


Jeudi, 12h30. Commencé ce matin à faire quelques cartons au Quai. Éternué en tirant d’une étagère une grosse chemise bleue marquée Libye : l’époussetage semble aussi efficace ici que le ménage que nous avons fait à Tripoli... Pensé en me mouchant à une maxime que je crois de Vialatte : « L’homme n’est que poussière, c’est dire l’importance du plumeau. » Depuis la crise, le plumeau se fait rare dans les ministères où l’homme-poussière craint surtout les grands coups de balai. Ainsi, dans à peine plus de quinze jours, les Françaises et les Français procéderont-ils à leur grand nettoyage quinquennal de printemps. Les augures sont formels : nous ne retrouverons dans les urnes du 6 mai que les cendres déjà froides de Rikiki. Comment l’amour que nourrissaient avec moi les Françaises et les Français pour ce grand séducteur a-t-il pu se consumer en un seul lustre ? Au-delà du mystère qui m’intrigue, c’est pour la France un bien terrible drame. A propos, qu'est devenu le plumeau de ma grand-mère avec quoi je me faisais dans les Landes un joli chapeau d’Indien ?

Jeudi, 23h30. Depuis Paris, Denise a dépêché en fin d’après-midi une amie sûre dans une banlieue populaire de la rive droite de notre agglomération provinciale. Pour son premier voyage en tramway de l’autre côté de l’eau, notre exploratrice téméraire avait pris soin d’acheter chez Emmaüs quelques frusques de camouflage, avant de s’aventurer sur ces terres hostiles et dangereuses, rendues incroyablement boueuses par un ciel incontinent. Quel était l’objet de sa périlleuse mission, me demanderez-vous ? Espionner pour nous un candidat à la présidentielle que nous nommons secrètement « L’ami mollette », non en raison d’un patronyme qui rappelle vaguement une façon de fromage mais parce qu’il est hélas l’homme-clé du scrutin. Quand elle a appelé Denise vers 21h00 pour lui faire son rapport, on eût dit que cette pauvre femme aveugle venait de rencontrer le Christ qui lui avait ouvert les yeux ! A l’entendre exulter, ce Jésus socialiste aurait écarté les bras pour chasser les nuages, faisant apparaître un soleil radieux qui, comme par miracle, ferma d’un coup tous les parapluies. J’y vois un très mauvais présage pour son adversaire qui, depuis cinq ans, n’offre avec constance que des pépins aux Françaises et aux Français !

Vendredi, 10h00. Mon Dieu tous ces sondages encore, aussi bloqués au second tour que mes résolutions sur la Syrie à l’ONU ! Et le spectacle pénible de ces enfants prodigues que nous avions recueillis et nourris à notre sein ! Les uns après les autres ils annoncent leur demande d’asile ou leur retour au bercail du socialisme… Faut-il attendre la défaite et l’humiliation ou, comme eux, sans vergogne, nous laisser porter vers bâbord par la vague qui menace de nous anéantir ? Devrai-je bientôt, pour sauver ma peau, annoncer solennellement mon soutien à une infâme pie voleuse aux législatives ? Me faudra-t-il avec ma reddition solliciter sa suppléance, dans le fol espoir qu’elle accède un jour au banc des ministres ? Soyons francs : même si je ne perdais pas mon siège à l’Assemblée en juin, une loi inique m’en priverait hélas dans deux ans quand je convoiterai un quatrième mandat municipal. A moins que – coup fatal, suprême injure ! – je ne fusse chassé de la mairie par notre brouillon cub, avec un doux sourire d’apôtre au nom de gare ! Ô Dieu, pussiez-vous m’épargner telle infortune ! Je vous implore de me donner encore une décennie, comme vous le fîtes au Général à mon âge pour qu’il sauvât la France ! Laissez-moi être enfin, à 67 ans, digne de sa grandeur, digne de son destin !

Vendredi, 13h00. On me rapporte au déjeuner que Razibus aurait fait ce matin son mea culpa sur Radio Luxembourg, penaud de n’avoir pas mis en 2007 « assez de solennité dans son action », faute de saisir « la dimension symbolique du rôle de président ». On dirait d’une confession d’enfant sur l’échafaud pour être absous de ses péchés, au moment de tendre son cou blanc à la lame ! A ce propos, nouvel appel de la fameuse copine de Denise à l’instant : elle évoque une lame de fond ! C’est décidé : elle offrira sa voix dès le premier tour au chasseur de nuages, qu’elle a revu cette nuit dans un rêve en grand chef indien à plumes, vainqueur d’un hargneux petit cowboy, étonnant sosie de Joe Dalton. Après avoir voté, faire absolument un saut dimanche à Hossegor pour essayer de retrouver, dans un placard ou au grenier, ce fichu plumeau de ma grand-mère que je m’attachais avec ma ceinture derrière le crâne

mercredi 11 avril 2012

Pécuchet


Qu’on me pardonne : tantôt quinze jours que je n’ai pris la plume pour cet entre-moi si cher à mes fidèles. Non point qu’elle se fût desséchée, mais par répugnance à la tremper dans le sang d’encre de la déveine. Soyons francs : même les plus complaisants des sondages nous jouent obstinément deux mauvais tours. De quelque manière qu’on les interroge, les Françaises et les Français nous sifflent un curieux Chant du Départ : la défaite en chantant nous ouvre la barrière ! Dans vingt-cinq jours ils nous auront donné congé comme à des domestiques, avant de sauter joyeux dans le précipice ! Sans compter les mauvais augures qui, jusque dans mon camp, me garantissent l’humiliation suprême si je persiste à défier mon usurpatrice sur la circonscription perdue du maire. Je n'aurai bientôt plus pour tout hôtel que celui de la ville. « Pour deux ans, me dit avec diplomatie Denise, ça ne mérite pas un énième déménagement ! »

Pourquoi ce soudain pessimisme, me demandent des amis que ma nature enjouée d’ordinaire rassérène ? Je ne sais… Peut-être l’effet de la correspondance de Flaubert, dans quoi je m’abîme depuis plusieurs jours avec délectation, à moins que cette immersion volontaire ne fût à l’inverse consécutive à mon mal-être. Ne consulte-t-on pas ce maître en littérature comme on prend rendez-vous chez le radiologue ? Celui-ci déshabille votre squelette et celui-là votre âme, chacun en noir et blanc. Qu’on se rassure néanmoins : Madame Bovary, ce n’est pas moi ! Me devant à la France qui n’est pas un roman, je ne saurais plonger la main dans l’arsenic pour mettre un terme à ma vie politique ! Quoi qu’il m’en coûte, je dois à mon pays de survivre à l’injuste déroute du grand Razibus, pour demain tendre la main aux brebis chues dans le gouffre noir et profond du socialisme.

Mais Flaubert, quelle correspondance tout de même ! Que du beau monde ! Evoqué ce matin à ce propos la mère de La Petite Fadette à la fin du conseil des ministres. Rikiki agacé m’a aussitôt coupé la parole : « Toi, viens pas me gonfler avec c’t’histoire à la con ! La DCRI a fait son boulot, point barre ! » Ah ! Cette splendide bibliothèque devant quoi il plastronne dans toutes les mairies de France mais qu’il va laisser vierge ! Ces précieuses reliures caressées naguère comme des femmes avec François Mitterrand, qui jamais ne seront miennes… A quoi bon parler au président sortant de cette lettre de Gustave à Louise Colet, sa maîtresse, à la date prémonitoire du 22 avril. C’était en 1853, il y a plus de cent-cinquante ans. On y lit ceci, sans un grain de poussière : « Il n’y a de défaites que celles que l’on a tout seul, devant sa glace, dans sa conscience. » Quelle vérité ! Quelle profondeur !

Un mauvais esprit me susurre que le petit Hun fera voiler tous les miroirs du palais le 6 mai pour n’y croiser point le visage de sa défaite. Je ne le crois pas. En se brossant les dents le soir, ce parfait innocent ne trouvera dans sa glace que le reflet d'imbéciles de son entourage, seuls responsables pour lui de son échec. Je crains de n'être pas moi-même en mauvaise place dans cet aréopage. Avouerai-je que, jamais sûr de moi, constamment torturé par le doute, loin de lui en vouloir, j’envie parfois au petit prince cette morgue, ce culot, cette suffisance, ce goût du mensonge qui m’auront tant manqué pour atteindre à la magistrature suprême. Et je sais ne devoir m’en prendre qu’à moi-même si, injustement privée de mon avènement, la France n'a accouché en 2007 que d’un Pécuchet sans le savoir ! A plus d’un titre, le pauvre bougre pouvait-il clore son quinquennat ailleurs que chez Bouvard ? C'est chose faite. Comme disait feu Giscard, nul n'échappe à son destin.