"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

samedi 31 janvier 2009

Beyle, Beyle...


Entendu jeudi depuis mes fenêtres entrouvertes l’interminable bêlement des moutons en transhumance dans les rues de la ville. Pensé à La République, dans quoi Platon remarque, avec beaucoup d’indul-gence, que "l’opinion est quelque chose d’intermédiaire entre la connaissance et l’ignorance". Que prétendent donc comprendre ces revendicateurs impénitents, ou les sondés des maisons de retraite, à une crise dont les experts les plus avertis ne s’aventurent pas à prédire le dénouement ? Croyez-moi, j’ai payé pour savoir qu’ils n’ont pas plus d’entendement que les calicots qui portent leurs slogans stupides. Ils pourraient être dix ou cent fois plus nombreux que cela n’y changerait rien. Sincèrement, parlerait-on des masses populaires si le peuple n’était pas à la masse ? Les mots ne prétendent rien d’autre que ce qu’ils disent.


Me revient à cet affligeant spectacle ce qu’un ami m’a rapporté avoir vu, au fond d’une campagne d’Europe orientale : des paysans dansant rituellement dans la sécheresse de l’été pour faire venir la pluie, en aspergeant le sol d’eau à l’aide de rameaux. Nous y sommes. Au XXIe siècle ! C’est sans doute ce que les syndicats appellent la régression sociale. Le travail et l’argent doivent leur tomber du ciel parce que les bassins d’emploi sont à sec ! Soyons francs : le revers de la démocratie, c’est que l’ignorance y est trop souvent souveraine. Triste temps où la connaissance doit se grimer à son image pour gagner ses suffrages !


Indicible bonheur de mon âme, malgré tout, au spectacle de ce troupeau de laine ordinaire : cent mille têtes sans doute, disent les observateurs les plus raisonnables ! Mon score local de décembre 1995 est largement battu, il me faut en convenir, et j’accepte sans broncher qu’on me radie du livre local des records. Ridiculisé par le petit charlot de Carla au box-office du spectacle de rue, je jette l’éponge ! S’il continue à ne pas voir les manifestants, le Magyar aveugle pourrait bien, comme moi, quitter plus tôt que prévu le pavillon de la Lanterne, avec sa petite canne blanche. Tenons-nous prêt si les Français repentis nous rappellent ! Magnanime, nous renoncerons à notre retraite pour sauver le régime. Déjà Denise prépare les valises.


Visite de notre petite Marie-Agnès ce midi au dessert, "pressée" de nous présenter ses vœux avant les douze coups fatidiques de minuit. Elle sortait, nous dit-elle, d’une réunion socialiste, dans notre maison communale de l’autre côté de l’eau, où ma pie voleuse s’est paraît-il fait sacrer secrétaire de je ne sais quel conseil de ville. Quel culot ! Comme s’il y avait dans cette ville d’autre conseil que municipal ! Piquée au vif par l’annonce de mon retour au parlement en 2012, la voilà donc sur les starting-blocks pour la mairie en 2014. Grand bien lui fasse : à cette date, je serai moi-même depuis deux ans à six cent kilomètres au nord-est, et elle trouvera comme tous les maires, au mur de son bureau, mon portrait en pied sans talonnettes, qui aura remplacé celui du nain corseté.


Enigmatique, Marie-Agnès nous a confié, en filant sans finir son jésuite, avoir trouvé la "maire fantôme" très stendhalienne, refusant d’en dire davantage. J’ai vainement trituré La Chartreuse de Parme pour y trouver une contrepèterie. Partreuse de Charme ? Non, décidément. Gageons que, pour une fois, notre jeune amie l’aura peut-être trouvée un peu "beylante", comme ses brebis du 29 janvier. Denise n’y croit pas, pour qui elle était sans doute tout simplement vêtue de rouge et de noir. Chercher la symbolique de ces couleurs d’église. Et trouver qui a accordé à ma dame de pique l’utilisation de notre mairie annexe. Cet imbécile pourrait bien finir, croyez-moi, comme un vulgaire préfet manchot.

samedi 24 janvier 2009

The Tempest


Insomnie. Au milieu de la nuit, relu d’une traite "La Tempête" de Shakespeare, pour quoi je ressens une affinité - comment dire ? - élective. On sait le passé qui en est le prologue : Prospero a été dépouillé de son duché par son frère et le roi de Naples. Ayant vécu naguère semblable mésaventure, j’ai fait, à l’instar de ce duc milanais, de ma mairie une île. Aidé d’Ariel, esprit de l’air, je viens d’y déclencher une tempête surnaturelle, propre à couler le navire de mon usurpatrice dans notre port sélène. Le maître mot de ma vengeance sera l'illusion, le mensonge écrasant, sublimant peut-être, dans cette histoire, une insignifiante réalité.

Ariel, dans ce siècle, c’est bien sûr l’univers virtuel de l’Internet. Ainsi mes esprits malins, qu’on appelle aujourd'hui des trolleurs, ont-ils lancé voilà quelques jours une attaque en règle sur le blogue de ma pie voleuse, en l’accusant rien moins que de détournement de réserve parlementaire. Cela marche, la tempête fait rage ! Il faut dire que l’affaire est grave : la dame de pique a offert trente mille euros à la petite enfance d’une improbable bourgade de banlieue, hors ses murs, quand on sait le manque cruel de crèches dont souffrent, ici, ceux de mes administrés qui s’occupent à la reproduction de l’espèce ! Quel affront ! Quel crime abominable ! La lâdresse électronique jure de m’avoir écrit, et proposé la somme pour sauver le porche d’un vieil hôpital lépreux, nommé d’après le saint patron des marchands de poisson. Se moque-t-elle de moi ? Croit-elle vraiment qu’on puisse me faire la charité, fût-ce pour un hôpital ? Trente mille euros, il y a de quoi rire ! Voudrait-on franchement que je disse merci ?


Il importe bien davantage que les électeurs de la deuxième circonscription, enfin éclairés, finissent par suspecter quelque malversation de mon usurpatrice dans l’usage des fonds publics, et demandent sa mise en examen. Qu’ils exigent des juges rien moins qu'une peine d’inéligibilité assortie de prison avec sursis ! D’autres, pourtant dévoués corps et âme à la cité, n’ont-ils pas injustement payé pour une moindre peccadille ? Nous pilonnons donc allègrement, sans dentelle ni vergogne, pour que la rumeur enfle et résonne dans toutes les gazettes, tous les salons de coiffure, tous les dîners, toutes les maternités, toutes les maisons de retraite. L’accusée, acculée à la défense, finira bien par trébucher. Soyons francs : je me sens ragaillardi depuis que, plébiscité par mes pairs, je veille aux destinées départementales de mon parti. La responsabilité est considérable et, je l'avoue, j’ai plaisir à remettre les mains dans la vraie politique. "A very ancient and fish-like smell", comme il est joliment dit dans "La Tempête"... Je sens de nouveau en moi la jeunesse fougueuse de Rastignac, brûlant de quitter cette province ennuyeuse et de crier : "A nous deux, Paris !" Mon Dieu, quel délice ! N'est-ce pas aussi cela le message social de l'Eglise ?

Frappé, dans la première scène de "La Tempête", par un propos du maître d’équipage, occupé à sauver le navire : "None that I more love than myself". Ce sont pour moi paroles de roi. Seul le prince qui se soucie de soi-même est digne du pouvoir qu’il veut exercer sur les autres : qu’importe qu’il torde le cou à la vérité pour y parvenir, puisque tel n'est pas son choix mais son destin !


Allons, Prospero ! Les jours rallongent, le pont se lève, l’Amérique a un président et
le Hun ne fait ni une ni deux. Crois-moi, la météo est excellente et nous irons loin. Depuis la nuit dernière, pour tout dire, je me sens étrangement porté par le vent de l’Histoire !

samedi 17 janvier 2009

A décharge de revanche


Toute grande capitale européenne a besoin d’une tête de pont à l’assemblée nationale, chacun en convient. Qui peut sérieusement contester à son maire d’être et d’avoir cette tête-là ? C’est la sienne, voyez-vous, nonobstant le vote d’une poignée d’électeurs irresponsables, qui ont envoyé le mauvais cheval au palais Bourbon. On m’objecte souvent que, n’eût cette rosse à la robe pie volé ma place, je m’apprêtais moi-même, tel Caligula, à y installer mon âne. Voulait-on que je présentasse une chèvre au lieu d’un légionnaire ? Et croit-on que cela m’amuse de sauter déjà comme un cabri pour les législatives de 2012, quand il n’est pas un neurone, une fibre en moi qui ne nie, ne réfute, n’abolisse l’élection de 2007 !


Pensant faire un bon mot, une cancérologue potache dévoyée en politique, du reste sans influence ni notoriété, me traite sur son blogue de "déclarateur précoce". Franchement, déclare-t-on jamais trop tôt sa flamme à ceux qu’on aime ? Croyez-moi, c’est la dame qui crache un peu vite son venin. Peut-être par ma déclaration, sans le vouloir, l’ai-je acculée au mur, où elle sent mon pouvoir de la rendre à plein temps à ses tumeurs. Vaine frayeur, madame, tant ma vocation et mon destin de premier en toutes choses me font penser que, seule, la première circonscription est finalement digne de mon rang, plutôt que la deuxième, insécure, où même le politique d’exception s’expose inutilement à un destin de Poulidor !


Résolu à sacrifier en 2012 mon Tintin à la mantis religiosa des socialistes, je prépare doucement sa voisine au coitus interruptus législatif, au cas où, par un mauvais coup du destin, le parachute doré du nain Zohro ne se mettrait pas en torche comme prévu avant la présidentielle. Prudence n’est pas renoncement : Denise a raison qui me pousse à garder deux fers au feu, pour échapper à ceux d’une cité qui n’est pas à ma pointure. Je manque cruellement à la nation, sans qu’elle en ait encore pris pleinement conscience : quoi qu’il advienne, je sais que 2012 sera pour moi une année d’élection et d’élargissement. Je ne me déroberai pas.


Tête de pont, disais-je ! Le sort s’acharne contre nous pour le franchissement du fleuve, un vague commissaire du gouvernement se prenant maintenant pour un super juge de l’UNESCO ! Sous quelle étoile suis-je donc né pour retrouver toujours une justice au travers de ma route ? Tous nos transports urbains sont-ils coupables ? M’interroge très sincèrement sur le droit d'administrés procéduriers à entraver sans arrêt les décisions de leurs élus, qui attaque le fondement de la démocratie représentative sur quoi est bâtie la République. Que ne laisse-t-on ses édiles construire un pont levant à la majorité qui les a élus ? Que les mécontents ne peuvent-ils, à l'instar des satisfaits, attendre tranquillement 2014 pour nous remercier dans les urnes ? Au moins auraient-ils un pont sur quoi danser d’une rive à l’autre avec des calicots pendant la campagne. Soyons francs : je crains que nous ne soyons pas près de voir dans cette affaire le bout du tunnel.


Déclarateur précoce ! L'usurpatrice manque de retenue tout de même... De nombreuses militantes du parti que j’ai mis au monde adressent, de toute la France, des messages de sympathie et de solidarité à Nisa sur son blogue. L’une d’entre elles lui propose une tisane de sa grand-mère, pour m’aider à trouver le développement durable du plaisir. Hygrophila spinosa, Mucuna pruriens, Argyeia speciosa, Tribulus terrestris, que sais-je encore… Je suspecte cette "mamaphrodite" d'être elle-même l'aïeule, sous le pseudo d'une adjointe municipale chargée de la santé et des séniors. Lui ferai avaler son latin de messe avec sa décoction !

samedi 10 janvier 2009

Tintin durable


Ai fait remarquer hier à Martin que le monde s’apprêtait à fêter aujourd’hui les quatre-vingts ans de Tintin. Je parle là du haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, pas de mon fidèle Milou qui a fait tintin à l’assemblée nationale et au sénat. Le jeune reporter octogénaire étant né comme son chien en 1929, l’année du krach de Wall Street, il est bien naturel de le célébrer en plein crash financier, comme on dit aujourd’hui. Hirsch, qui ne manque pas d’humour, est convenu que la chose tombait bien ici et maintenant, un sur quatre de mes administrés faisant tous les jours tintin, faute de dépasser le seuil de pauvreté. Ai promis à ce capitaine de misère de m'en remettre à sa loi ad hoc. Pour le reste, si cela lui fait plaisir, Fayaux pourra toujours demander au CCAS d’envoyer en mai, aux frais du contribuable, un car de nécessiteux au festival Tintin de Namur. Tenez, ils pourront même pousser jusqu’au nouveau musée Magritte* où, pour les réconforter, on leur montrera un portrait d’enfant affamé, au-dessous de quoi le maître aura écrit en lettres anglaises : « Ceci n’est pas la faim du monde ».


Message de Janet** ce matin, affectueuse mais affligée de ne pas avoir reçu de mien courriel, alors que j’ai écrit au maire d’Ashdod, en Israël, pour lui dire mon soutien. Eût-elle lu le billet de mon blogue jusqu’au bout, cette amie attentionnée, maire de Ramallah, aurait compris que j’appelais de mes voeux que se lève un jour prochain, dans chaque camp, un homme ou une femme capable de prendre le risque de la paix. Enrageant de penser que, durablement ici en réserve de la République, je pourrais, Israélien ou Palestinien, être aujourd’hui cet homme d’exception né pour un rendez-vous avec l’Histoire ! Soyons francs : on est fondé à s’interroger parfois sur le dessein secret de Dieu, qui n’avance que des nains et des fous sur l’échiquier du monde. Si l'on attend de moi des noms, qu'on observe plutôt ses dirigeants sous la toise.


Denise m’a convaincu de passer cette année aux vœux digitaux durables : ceux de mes administrés qui n’ont pas d’accès à l’Internet pourront toujours aller en profiter dans un cybercafé, pour le prix d’une consommation. Cela faisait un peu artisanal, je le concède, mais au moins est-ce moi qui parle dans ce sympathique et fraternel clip vidéo, ce qui me semble plus chaleureux qu’une griffe. Exaltant de me retrouver face à l'œil noir d'une caméra pour l’exercice, debout comme le Pinocchio de Carla, solennel, légèrement emprunté. Il ne manquait que la Marseillaise, mais les Français en auront senti les vibrations comme moi. Il faudra tout de même dire deux mots au cadreur, qui s’est fendu d’un zoom arrière saccadé quand j’ai parlé de politique de proximité. Sans doute un transfuge de France 3. Ne lui ferai pas de pub, croyez-moi.


Quelques pages de mon cher Cioran ce midi au café, pour me sortir un peu de la noirceur de cet hiver politique. Dans son Livre des Leurres, il me ramène curieusement au propos de notre haut commissaire d’ouverture. "J’aime les têtes couronnées qui ont souffert de l’obsession de la mort, écrit-il. La peur née dans le confort, l’angoisse accrue par le pouvoir, et les obsessions alimentées par l’opulence confèrent à la méditation sur la mort une élégance tourmentée et une torture somptueuse. La Pauvreté et la Mort ressemblent à deux fleurs dans un bouquet fané, de sorte que les pauvres meurent comme les riches respirent." C’est assez bien senti, à chacun son calvaire. Penser, pour la fin de l'année, à offrir ce précieux ouvrage aux convives de notre joyeux Noël des démunis. Bon pour leur édification, convient Denise, son achat en nombre indemnisera par anticipation notre pauvre dame de libraire, au cas où son ignoble faucheur serait scandaleusement élargi avant les fêtes.

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*Place Royale à Bruxelles, ouverture le 9 juin 2009 ;

*Janet Mikhail.