"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

samedi 23 juin 2012

L'Autonomie ?



Il ne faudrait pas vieillir... Penser à consulter discrètement pour un contrôle auditif. En écoutant jeudi soir le Secrétaire général de l’Élysée égrener les noms et attributions des ministres, j’ai en effet cru comprendre que ma dame de pique récupérait l’automobile en sus des vieux, au lieu de la dépendance. « Pourquoi diable l’automobile, m’interrogeai-je à voix haute en retirant une pantoufle pour me gratter le pied ? Nos anciens ne sont-ils pas pour la plupart rangés des voitures dans des hospices ? Leur dernière caisse n’a au demeurant ni roues ni moteur et, si elle finit de plus en plus souvent en cendres, c’est en général dans un crématorium plutôt que sur le parking d’un EHPAD ! Les socialistes ont tort de confondre concession automobile et concession à perpétuité, ajoutai-je, tout comme pompes funèbres et pompes à essence, même si Leclerc offre généreusement les deux à nos anciens. »

Denise, réputée pour son ouïe digitale, me corrigea dans un haussement d’épaules : « Débouche-toi les oreilles : le type a dit "automne honni", pas "automobile" ! » Je louai la pertinence de la métaphore poétique, le troisième âge étant en effet cette saison fourbe qui, prétendant prolonger l’été, n’en est en réalité que le sournois déclin, prélude à l’hiver fatal et froid de la tombe ; bref, la fin des cerises quand on sucre les fraises… Élevant la voix, ma femme virtuelle détacha alors ses syllabes : « Au-tomne O-MIS ! », avant d’ajouter en soupirant : « Je finis par me demander si tu es dur d’oreille ou si tu manques d’entendement ! Je te rappelle à ce propos que les cotons tiges sont dans le deuxième tiroir à gauche du lavabo. » Omis ? Mais qui diable pourrait omettre l’automne sous nos latitudes tempérées ? Sauf à souffrir d’anosognosie, comme mon pauvre mentor qui, à la serveuse hurlant dans son Sonotone, commanda l’autre jour une pizza « trois saisons » !

Visiblement excédée, Denise finit par pianoter sur son iPhone, avant qu’un discret jingle du mien ne m’annonçât aussitôt son SMS. Je lus sur mon écran, sans autre commentaire : "AUTONOMIE!!!". « Bon Dieu, mais c’est bien sûr, m’exclamai-je, façon Bourrel ! C’est la dépendance retournée comme une chaussette ! » Qu’on ne se méprenne point : je ne relate pas cette anecdote domestique pour apitoyer le lecteur ou la lectrice sur l’érosion de mes sens avec l’âge, à quoi pourra remédier un appareillage dissimulé sous ma chevelure, mais pour rétablir une vérité bafouée. Comme on sait, les crétins de mon opposition municipale m’accusent de leur couper toujours le micro. Soyons francs : ils n’ont pas tort, à ce détail près que, incurable démocrate, mon intention n’est jamais de les faire taire ; ne les entendant pas, je crois tout simplement qu’ils en ont fini. Un vrai dialogue de sourd et de malentendus !

J’ai bien sûr conscience d’inquiéter par ces révélations les fidèles et les fidèles de mon blogue, à qui je me présente sans grimage – « usé, vieilli, fatigué », comme le dit un jour de mon maître le malheureux socialiste qui, il y a quinze ans déjà, m’avait remplacé à Matignon. Entre moi, je n'ai plus rien à perdre, sinon une mairie humide de province où je fais retraite un ou deux jours par semaine, avant qu’un fils félon ne m’en décharge dans deux ans ! C'est écrit mektoub, comme disent nos amis arabes –, il n’y a plus rien à faire... Tout le monde m’ignore ou presque, jusqu’à mon agaçante agasse qui ne m’a pas envoyé une seule lettre de Paris depuis son ascension au gouvernement, rendez-vous compte ! Croira-t-on que j’attends désormais sa missive, pris d’une envie folle de lui répondre ! Mais à quoi bon ?... L’autonomie, vraiment ? La belle affaire quand on est dépendant à la politique ! Pour me réconforter, un ami m’assure qu’il me reste au moins la tentation de Denise. Certes, mais n’est-il pas pour cela aussi déjà trop tard ? Non, je ne crois plus depuis longtemps aux utopies qui chantent... Avouons-le enfin : il est venu le temps des "adichats".

vendredi 15 juin 2012

Pipiltzintzintli ?



En toute confidentialité, c’est d’une bien curieuse expérience que je voudrais aujourd’hui entretenir les lectrices et les lecteurs de ce blogue, dont certains, me dit-on, auraient été intrigués ou déroutés ces derniers jours par mon humeur ou mes propos. Croira-t-on que cette aventure peu ordinaire a commencé il y a des années par un banal bouturage après que, sur le bacon d’une copine à Montréal, Denise eut remarqué une plante qu'elle prit pour de la menthe ordinaire. Informée que cette « menthe magique » pouvait se consommer en infusion, elle rentra à la maison avec une bouture qu’elle mit aussitôt en pot. Ma femme ayant la main verte autant que digitale, grandit bientôt chez nous une « herbe de Marie » généreuse qui fit l’admiration des voisins, avant de prendre un jour avec nos bagages le chemin de Paris, où elle s'acclimata comme nous l'avions fait nous-mêmes dans son pays.

Laissée une nuit sur un rebord de fenêtre, notre empotée ne survécut pas hélas à l’assaut brutal de l’hiver en février dernier. Comme on va voir, mon regret témoigne moins d’un quelconque intérêt pour les plantes – à quoi je suis en général aussi indifférent qu’à mes prétendus semblables – que des conséquences imprévisibles d'une disparition a priori sans importance. Au moment de livrer la défunte à notre vide-ordures, Denise eut en effet l’idée d’en faire sécher les feuilles meurtries sur un vieux Figaro, une bonne décoction pouvant se révéler salutaire si l’hiver s’installait durablement sur la capitale. La météo confirmant une extrême rigueur, « salvia divinorum » –  la sauge des devins – fut oubliée dans un pot à confiture remisé sur une étagère de la cuisine, au bénéfice de vins chauds et autres grogs, plus alléchants sinon plus efficaces.

C’est là que je redécouvris en début de semaine l’herbe de ma bergère, par un petit matin triste où j’eus souvenance des tilleuls sucrés de ma grand-mère landaise, miraculeux pour dissiper les angoisses récurrentes d’un enfant surdoué que désolait la médiocrité mesquine de ses congénères. Le pot n’étant qu’à moitié plein ou presque des feuilles desséchées, je l’emplis d’eau bouillante pour les laisser infuser pendant que je commençais de lire la presse. Après l'avoir filtrée, je consommai ensuite à petites gorgées ma potion à maire, accompagnée de notre quotidien régional en guise de tartine. Il y était question de mon candidat-méthadone de la deuxième circonscription (un jeune homme aimable qui ne manque pas de crans) fustigeant l’horreur de la légalisation du cannabis, dans l’hypothèse funeste d’une réélection de ma dame de pique à l’Assemblée nationale.

Ledit journal me tomba bientôt des mains : rien d'inhabituel depuis qu’il a pris ostensiblement le parti des usurpateurs. Ce n’était pas cette fois cependant à cause du dégoût ou de la colère, mais curieusement comme sous l'effet d’un puissant psychotrope. « J’hallucine ! », m’exclamais-je intérieurement, avalé par des images qui, aussi mouvantes que des sables anthropophages, me rappelaient sans plaisir le temps de mes vingt ans dans les années soixante. La nausée fut à son comble quand je pris conscience – si l’on peut dire ! - d’être encerclé par un couple constrictor aux contours déformés et incertains, improbable construction psychédélique multipliée à l’infini par un kaléidoscope sonore. L’un des deux visages était celui de mon agasse, on l'aura deviné, et l’autre le minois du traître bouclé, pacsé juste avant le gong pour perpétrer son incroyable forfait législatif !

Soyons francs : je me trouvais dans un « bad trip », ce que confirma un syndrome post-hallucinatoire persistant, sur les ondes comme dans les meetings si j’en crois les commentateurs, dont les moins bien intentionnés n’hésitent pas à parler de phobies, d’état confusionnel, de bouffées délirantes, que sais-je encore ! Bref, il est grand temps que cette éprouvante séquence politique se termine. N'en ignorant pas l'issue, j’ai pris soin de garder dans leur bocal, conservé au frigo, les feuilles encore humides de ma tisane, pour les proposer à ma doublure dimanche soir après sa dérouillée. D’ici là, qui me dira le sens de ce mot imprononçable qui me martèle la cervelle depuis mon bien curieux voyage, tel le chant d'une pie, insupportable : pipiltzintzintli ?!

vendredi 8 juin 2012

Prométhée


 Insomnie. Communié une bonne partie de la nuit avec l’ami Cioran dans ses Syllogismes de l’amertume, qui toujours sont un baume apaisant sur mes blessures. Émerveillé dans ces pages par le foisonnement de maximes dignes d’être gravées un jour dans le marbre de mon tombeau. Celle-ci par exemple dans quoi je me reflète, tel Narcisse penché sur son miroir d’eau : « Qui n’a connu l’humiliation ignore ce que c’est qu’arriver au dernier stade de soi-même. » Ce souriant Roumain à plume n’ignorait pas, quant à lui, que le stade ultime de la vie vers quoi court chacun d’entre nous est le plus souvent un stade de trop. Blessé, relégué sur un banc de touche, je vais y assister ces deux dimanches à un match dont le résultat est connu d’avance, dans quoi mon numéro sera porté par un remplaçant inconnu dont la seule mission soyons francs ! est de perdre à ma place.

Petit déjeuner sans appétit ; pas touché à mes chouquettes. Tout m’a été donné, tout ou presque m’a été repris. Ne me restera-t-il que cette mairie, cellule austère où vivre reclus comme un moine, loin des plaisirs de la capitale ? Et pour combien de temps encore ? Essuyé une tache de café sur le papier bible de mon Cioran, puis lu ceci au travers, comme dans le marc de ma tasse : « Paris, point le plus éloigné du Paradis, n’en demeure pas moins le seul endroit où il fasse bon désespérer. » Quelle acuité ! Non – Orsay, Conti en sont la preuve –, tous les espoirs ne sont pas perdus à qui désespère sur les quais de Seine ! Même s’y faire affubler du sobriquet d’Hugues capé est au moins, déjà, la reconnaissance qu’on a l’étoffe d’un roi, qu’on peut retrouver un trône, peut-être une présidence... Mais désespérer ici, mon Dieu, loin des projecteurs !...

Croyez-moi, une ville de province n’est pas un paradis, tout au plus un purgatoire où se languir, dans la crainte paradoxale de s’en faire expulser aussi facilement que d’un hébergement d’urgence, pour se retrouver dans l’enfer de la rue, sans même un chien pour vous aimer. Naïf, vous pensez que la ville croît en population parce qu’elle croit en vous, jusqu’au jour où vous découvrez stupéfait son culte exclusif au dieu Hélios. Leur planche de surf sous le bras, tous ces nouveaux électeurs et toutes ces nouvelles électrices sont tellement persuadés d’avoir trouvé ici l’Eden qu’ils y prennent mon agasse pour un oiseau de paradis ! Les imbéciles ! Cette dame de pique n’est qu’une créature du diable chargée au gouvernement des vieux jours, ou si l’on préfère des jours plus vieux : de là à imaginer qu’elle puisse faire chez nous la pluie et le beau temps, laissez-moi rire ! Je crains en vérité que ceux sur qui elle exerce son indigente tutelle n’aient hélas à ouvrir que leurs pépins de santé, s'il souhaitent se protéger des intempéries de la vieillesse !

Déjeuné avec un fat, puis retrouvé Cioran, toujours offert sur un coin du bureau, près de ma tasse vide. J’aime la douceur de ce papier qui me rappelle celui des cigarettes, dont je jurais il y a peu qu’on ne le glisserait pas entre Rikiki et moi (je le jurerais encore, au point d’avoir conservé le portrait du président trop tôt disparu dans mon bureau de maire, alors qu’il a été retiré des autres salles de l’hôtel de ville). Je ressens aussi à palper ces pages le plaisir de l’enfant qui tournait il y a soixante ans les feuilles de son missel, le jour de sa petite communion, après la première visite de Jésus dans son cœur. Sorti mes lunettes pour poser mon crayon à l’aveugle sur une pensée : « ÉVOLUTION : Prométhée, de nos jours, serait un député de l’opposition. » Quelle vérité dans l’ironie sèche et implacable de quelques mots cruels ! Eh bien, s’il la faut, la voilà la vraie raison de mon renoncement à l’Assemblée nationale ! Voleur rebelle du feu sacré qu'il m'incombe de transmettre aux hommes et aux femmes de France et du monde, au nom de quoi irais-je étouffer pendant cinq ans mon tison dans ce qu’il faut bien appeler le crétinisme de l’opposition ? Refusant les chaînes des dieux socialistes, Prométhée doit aux Françaises et aux Français de demeurer leur seul et vrai Titan !

mercredi 30 mai 2012

Le Chat



Effleurant dès potron-minet sur l’oreiller le clavier tactile de son iPhone, ma douce et vigilante moitié digitale m’a signalé ce matin au réveil que Google me faisait, aujourd'hui, les honneurs de sa page d’accueil sur l’Internet. Lui ai répondu dans un bâillement n’en être point surpris, tous les regards de la planète étant désormais tournés vers moi, comme ils le furent jadis vers le Général. Le monde n’ignore pas en effet que, dans la tourmente qui menace de les balayer, les Françaises et les Français ont toujours en réserve un homme d’exception derrière qui retrouver un jour le chemin de leur grandeur, de leur prestige et de leur gloire. La météorite Razibus disparue au firmament de la présidentielle, le peuple de France et, à sa suite, l’Humanité tout entière, gardent les yeux rivés sur celui en qui ils ont reconnu l’étoile polaire, dans l’effrayante nuit d’un monde abandonné à ses démons sans boussole.

« Réveille-toi, me dit Denise, c’était une boutade ! Google célèbre ce 30 mai l’anniversaire de la naissance de Fabergé, au milieu du XIXe siècle. » Comprenne qui pourra… Bien que doté d’un solide sens de l’humour, il m’arrive assez souvent, je le confesse, de ne pas saisir les blagues des autres, ce qui m’empêche hélas la plupart du temps de les goûter. Quelle ressemblance ma femme peut-elle bien me trouver avec le joaillier du tsar de toutes les Russies, au-delà de la notoriété internationale ? C'est un mystère. Pour couper court à ses propos insensés, sans doute influencé moi-même par la source obsessionnelle d’inspiration de Fabergé, j’exprimai une soudaine envie d’œuf à la coque au petit-déjeuner, ce qui me fit curieusement traiter en retour de cannibale. Je ne demandai pas d’explications, me contentant de préciser : « avec des mouillettes, je te prie. » On dit que les vieux couples se comprennent souvent sans n’éprouver plus le besoin de se parler ; je me demande parfois s’ils ne choisissent pas plutôt le silence par crainte de se trop bien comprendre. Soyons francs : le Général est mort en faisant une réussite, pas en bavardant avec Yvonne, confinée sans doute à quelque tricot dans son coin.

A ce propos, il plaît à la presse d’évoquer parfois le vieux couple que je formerais avec ma pie voleuse, chargée depuis peu au gouvernement des personnes qui s’oublient, me dit-on, sans doute en reconnaissance d’une incontinence épistolaire peu ordinaire à mon égard. Comme je ne lui desserre pas les dents, l’ignorant royalement en toutes circonstances et en tous lieux, elle m’écrit sans relâche depuis cinq ans, imaginant qu'il me plairait un jour de lui répondre. Amusé, un ami me confesse que notre relation lui rappelle « Le Chat » de Granier-Deferre. Je serais Gabin, mutique, à qui Signoret, transparente, crie désespérément « miaou, miaou ! » pour qu’il lui parle, comme à son chat. Pour intéressante qu’elle soit, la comparaison a ses limites, puisque je n’ai guère de goût comme on sait pour les greffiers, et qu’on voit parfois ma dame de pique au bout d'une laisse tirée par un molosse. Penser tout de même à lire le roman éponyme de Simenon, où je pourrais bien glaner – qui sait ? quelques idées, de sorte à continuer d’agacer la jacassante agasse.

Retour de courses, Denise me souhaite à l’instant une bonne fête en déposant un paquet sur le coin de ma table de travail, en même temps qu' un baiser sur celui de ma bouche. Lui rappelle qu’on célèbre les Alain le 9 septembre, pas le pénultième de mai. « Ouvre, m’enjoint-elle en soupirant, au lieu de contester ! » L’emballage déchiré sans empressement, je découvre un célèbre parfum pour homme qui, j’en conviens, sied à merveille au présent billet. Tout comme, vînt-elle à me croiser, il envoûtera à n’en pas douter ma pie gouvernementale, trop heureuse de rebaptiser le bourreau muet qu'elle hante sa brute de Fabergé ! A défaut de fable, voilà bien une morale sans doute.

lundi 21 mai 2012

Tu quoque mi fili




En m’assoupissant au salon vendredi après-midi, un peu désœuvré, j’ignorais m’enfoncer dans un affreux songe prémonitoire. M’y est apparu celui qui pourrait être mon fils – qui l’est à sa manière –, dont l'air benoît m’évoque, comme on sait, l’apôtre au nom de gare aimé du Seigneur. De manière inhabituelle, son regard semblait me fuir dans l’ombre d’une capuche alors qu’un rayon oblique, descendu du Ciel, faisait luire dans sa dextre la lame ensanglantée d’un énorme poignard. Je crus d’abord à l’horreur d’un suicide mais, grâce au Ciel, la bure de son duffle-coat était immaculée ! Puisqu’il n’avait point attenté à ses jours, qui venait-il donc de suriner et à quelle fin ? La joie m’envahit d’un coup la poitrine à l’idée qu’il pût s’agir de mon agasse pour lui piquer son  portefeuille, mais je déchantai aussitôt en apercevant l’oiseau de malheur perché sur son épaule, un large sourire au bec.

Dans l’instant qui suivit, un hurlement terrorisa Denise, paisiblement occupée près de moi à son tricotage digital. Réveillé par mon cauchemar, horrifié, suant, soufflant, je continuais de me tâter le flanc avec angoisse, persuadé d’y trouver deux trous rouges au côté droit. Rimbaud, tombé à mes pieds, est un compagnon que je déconseille aux amateurs de siestes paisibles. Quand, encore troublé, je pris en début de soirée le préfet au téléphone, j’étais loin d’imaginer qu’il allait me replonger dans le songe intrigant qui continuait de me hanter, comme si notre proximité affective l’eût doué de télépathie. La voix blanche, il m’informa que ma dame de pique venait de changer in extremis de monture pour lancer l’assaut final de mon siège au Palais Bourbon. « Sa suppléante s’évinçant », me dit-il... « Non, pas lui ! » m'exclamai-je sans le laisser finir. « Mais non, attends, poursuivit-il ! Euh… enfin… si : sa suppléante se retirant, si tu préfères, elle a enfourché le premier destrier de la communauté urbaine pour rejoindre au galop la préfecture, avant l’heure fatidique du dépôt des candidatures. »

Abattu, je me laissai choir dans mon fauteuil, non sans avoir d’un coup de pied envoyé Rimbaud à l’autre bout du salon, ses pages voletant dans sa course telles les ailes d’un oiseau de mauvais augure ! Ainsi donc, mon cher et fidèle Brutus aurait décidé de m’envoyer finir ma saison politique en enfer, lieu de damnation où, enflammée, l’éternité dit-on ne connaît ni cerises ni hivers ! César aveuglé par l'amour paternel, jamais je n’aurais pensé que le fils impatient, par moi éveillé et formé à la res publica, pût un jour nourrir un projet parricide. Et mon inclination demeure aujourd’hui de n’y point croire, tant je ne puis imaginer qu’il envisage  d'utiliser mon siège parlementaire comme un tremplin, vers l’ultime conquête qui serait dans deux ans mon coup de grâce ! Incapable de me trahir, il est forcément l’instrument innocent de ma gazza ladra,  après qu'elle se fut immiscée par effraction au conseil des ministres, à seule fin d’y obtenir ma perte !

Denise m'ordonne de rester calme en feignant de n’avoir point flairé la manœuvre, et d’imaginer plutôt la parade, au lieu de geindre comme le vieillard que je pourrais rapidement devenir à mon âge, si je continue de ruminer des chimères, miné par l’humiliation, abruti par l’oisiveté, rongé par le ressentiment. Si je décline comme elle le craint, me confie-t-elle sans prendre de gants, sinon de crin, il est hors de question qu’elle renonce à son travail pour s’occuper de moi à la maison : grabataire, elle me « collera » dans un EHPAD où, pour jouir de sa victoire, suivie d’une meute de micros et de caméras, faussement affectueuse, ma ministre de tutelle viendra m’offrir des biscuits en me claquant la bise, une main hypocrite sur mon déambulateur. Enfin je serai sa personne âgée et ma mairie sa dépendance !

jeudi 17 mai 2012

Ô vieillesse ennemie !



Grande tristesse pour cette ville blessée, humiliée, déclassée, méprisée, reléguée. Hier encore dirigée par le plus éminent ministre de la République, elle se retrouve aujourd'hui ravalée au rang de cité ordinaire, ignorée d’un gouvernement d'opposition après que, grâce à moi, elle eut repris goût à une première place qui lui revient de droit. Une ville qu’on prétend rayer de la carte, osons le dire, puisque l’on est allé jusqu’à s’assurer que le titre prestigieux qui m’échoyait – ministre d’Etat – disparût du générique gouvernemental pour mieux nier demain qu’il eût jamais existé, ou bien m’en grimer au contraire pour railler ma désuétude. Comme s’il ne suffisait pas à la déchéance municipale que j’eusse, non sans élégance, renoncé la semaine dernière au fauteuil parlementaire inhérent à ma charge.

« Eh bien, ma chère et vieille cité, comme eût dit le Général, nous voici donc ensemble, encore une fois, face à une lourde épreuve » : nous sommes déministrés ! Cruelle situation, indigne de mon rang comme de ton histoire, y compris aux heures les plus sombres de l’Occupation. Denise toussote, qui m’assure avoir aperçu à l’instant ma pie voleuse sur la première chaîne, radieuse en bout de table au conseil des ministres. Quel ridicule ! Je n’ignore pas sa propension à prendre toujours ma place mais, de grâce, compare-t-on un ancien Premier ministre, ministre d’Etat régalien, à une petite déléguée dont le maroquin agace la narine avec sa forte odeur d’hospice ! Soyons francs : on voit bien là à quelles dérives peut conduire le dogme paritaire, dans un gouvernement qui clame faire de la jeunesse son cheval de bataille ! Ces dames vont y faire leur petite cuisine avec la dépendance...

Reçu à l’instant sur mon iPhone une façon de photo de mariage, sur quoi un ami qui me veut forcément du bien me propose de chercher « notre demoiselle d’honneur ». Ne la fréquentant point, je serais bien incapable de la reconnaître dans la rue, a fortiori sur un minuscule écran de téléphone. Un indice : elle est, paraît-il, au dernier rang. La belle affaire ! Je figurais moi-même il n’y a guère au premier, à côté d'un vrai président : cherchez la différence... M’observant avec malice, Denise m’assure que, l’œil fixé sur mon téléphone, je lui évoque un animal qui remuerait la queue. Lui jure n’éprouver, à la nouvelle de cette fausse promotion, plus de joie que le pauvre chien de la péronnelle qui sait faire la différence, lui, entre un os véritable et une imitation de portefeuille. « Je pensais plutôt à un félin, précise-t-elle, dont l’appendice caudale trahit l’énervement par son agitation… » Balivernes ! Je suis une statue de marbre qu'on n'a jamais vue montrer en public le moindre agacement.

Quoi qu'il en soit, qu’on ne compte pas sur le maire que je suis pour céder à je ne sais quelle obligation protocolaire face à cette sous-ministre, nonobstant son goût très prononcé pour l’étiquette ! J’ai mieux à faire, croyez-moi, que de lui filer le train dans les maisons de vieux de la ville en lui donnant du « madame la ministre » ! A la réflexion, ce n’est pas le moindre des paradoxes que, en m’empoisonnant jour et nuit, cette infernale agasse mette chez moi en péril le « bien vieillir » dont elle prétend par ailleurs faire son fonds de commerce jusqu’au sein du gouvernement ! Infernale, disais-je : c'est le mot juste. Me revient soudain à l’esprit le propos d’un collègue du gouvernement que nous nommons affectueusement Zadig révolté entre nous – nommions, devrais-je dire, il va falloir m’y faire… Il s’agissait à l'en croire, j’ai oublié pourquoi, d’une brève citation de Maxime de La Rochefoucauld (sic !) : « L’enfer des femmes, c’est la vieillesse. » Puisse le plus grand de nos moralistes avoir raison ! Par la grâce d’un président diablement paritaire, je tiendrais peut-être alors enfin ma vengeance…

jeudi 10 mai 2012

Mon succès damné



Je n'ignore pas que ceux de mes lecteurs et celles de mes lectrices qui savent lire entre les lignes l’avaient senti au fil des derniers billets de ce blogue, sans qu’il fût besoin d’attendre je ne sais quelle exégèse du scrutin présidentiel. J’en avais du reste moi-même depuis longtemps le pressentiment, sans pouvoir l’exprimer crument de crainte de désespérer celles et ceux qui, partout dans le pays et au-delà de nos frontières, eussent aussitôt sombré dans un profond désespoir à la seule pensée que mes mains pussent lâcher un jour proche les rênes du pouvoir… C’est donc du fond du cœur que je remercie la majorité des Françaises et des Français qui, par leur vote, m’ont enfin donné dimanche l’occasion tant attendue d’une révélation salutaire et libératrice : un maire digne de ce nom se doit avant tout à sa ville. Quoi qu’il lui en coûte, quoi qu’il en coûte à la France.

Reposant ma vieille calculette sur la table de chevet, lundi matin avant l'aube, je n’eus aucun mal à me convaincre – Jason depuis longtemps privé de sa toison – qu’il n’est plus grand bonheur que de retourner « plein d’usage et raison, / Vivre entre ses parents le reste de son âge ». Mes administrées et mes administrés savent bien qu’ils sont depuis toujours ma seule et vraie famille. Certes, une pléiade de mauvais esprits ne manqueront pas de pointer que je convoque fort à propos Joachim du Balai… Ignorez comme moi, je vous prie, leur vain persiflage ; répondez-leur que ma décision était prise avant même que je ne découvrisse une mienne prouesse qui pourrait me valoir les honneurs du Guinness des records en 2013 : je suis le maire de la ville de droite de plus de 100 000 habitants ayant voté le plus à gauche au scrutin présidentiel ! Plus de 57 % de nos suffrages au Corrézien, rendez-vous compte ! Près de 60 % dans ma circonscription législative !

Soyons francs : on n’atteint pas par pur hasard un score aussi remarquable ! Le message à peine voilé des électrices et des électeurs, ce n’est pas que cette ville est maladroite – je veux dire  mal à droite mais qu’elle ne s’y sent bien qu’avec un maire à plein temps. J’ai donc immédiatement tiré les conséquences de ce touchant message : enfin libéré par la présidentielle de mes obligations nationales et internationales, il serait indigne que je fisse aussitôt le siège de mon oiseau de malheur à l’Assemblée ! A mon âge, croyez-moi, on a vraiment mieux à faire pour sa ville que député d’opposition, surtout si l’on répugne à donner dans deux ans les clés de la mairie à des crétins, qu’ils fussent de son propre camp ou de celui des socialistes. Voilà donc pourquoi je m'abstiendrai d'infliger à cette agaçante agasse la plumée qu’elle mérite, que je lui eusse pourtant servie de bon cœur, on le sait, dès le premier tour. Ne croyez pas ceux qui insinueront que j’abandonne le combat par lâcheté, quand jamais – je dis bien jamais ! – je n’ai montré en cinq ans la moindre velléité de reprendre le fauteuil du maire au parlement.

Ma décision prise et assumée, mon âme en paix, il ne me restait qu’à dénicher, pour me suppléer, un candidat si possible incapable de battre ma teigneuse dame de pique, sauf à accepter d’être moi-même la risée de mes détracteurs à l’issue du scrutin législatif. Je ne suis pas peu fier d’avoir dégoté l’oiseau rare : apparatchik départemental étranger à la ville, il porte en outre un prénom qui, par les temps qui courent, n’évoque – comment dire ? – ni la hauteur ni la victoire. Je pense qu’il manque aussi à ce riquiqui du crû l’ébauche de calvitie qui, à son âge, distingue déjà le vrai politique du représentant de commerce ordinaire. Avec son esprit de contradiction, Denise m’objecte évidemment que mon ersatz pourrait bien cependant séduire certains nostalgiques des temps anciens, à qui sa chevelure rappellera mon prédécesseur au nom de stade. Laissez-moi rire ! Je sais surtout que, mauvaise Margarine, ce succédané comptera le 17 juin pour du beurre !

vendredi 4 mai 2012

Le génie du crétinisme



Est-ce pur hasard si, en quête d’un exemplaire de mes Cerises pour une dédicace, je me suis retrouvé ce matin avec entre les mains les Mémoires d’Outre-tombe ? Ouvert à l’aveugle,  François-René me lança aussitôt à la figure cette maxime tant soit peu provocatrice : « En général, on parvient aux affaires par ce qu’on a de médiocre et l’on y reste par ce qu’on a de supérieur. »  Du haut de son œuvre, ce lointain prédécesseur au Quai était assurément à cent lieues d’imaginer qu’un steak, certes grillé, assurerait sa postérité plus durablement que son œuvre littéraire ou sa diplomatie. Si la politique est bien en effet parfois affaire de cuisine, je ne pense pas pour autant qu’il traverse jamais l’esprit de mes biographes des siècles à venir d’inscrire une telle citation en exergue de leurs ouvrages. A n’en pas douter, ils retiendront au contraire que j’ai toujours mis une exceptionnelle supériorité avérée dès le plus jeune âge au service de l’Etat, tenant par ailleurs en mépris la médiocrité de l’écrasante majorité de mes congénères et de mes congénères.

A ce propos, c’est bien à tort qu’on me fait aujourd’hui procès d'avoir traité les membres de l’opposition municipale de crétins. Outre que je ne vois pas en quoi cette marque d’affection peut constituer une injure diffamatoire, je me garde bien d’en assurer l’exclusivité aux élus socialistes de la ville. Je tiens en effet dans le même respect, il va sans dire, les membres de ma majorité, à cette différence près que ceux-là sont des crétins respectueux, discrets, soucieux de ne pas entraver mon génie dans sa course. Au demeurant, nos socialistes effarouchés n'ont pas plus de notions d’étymologie que de démocratie, sans quoi il n'ignoreraient pas que le bon crétin n’est qu’une variante alpine du bon chrétien, par moi utilisée avec la douce compassion de ses origines. A l’heure où, un bulletin de vote à la main, les mahométans s’apprêtent à faire la loi dans ce pays, il est grand temps que les vraies Françaises et les vrais Français se croisent, comme le fit saint Louis, plutôt que de renier leur crétinisme !

Crétin ! Soyons francs : c’est un mot autrement plus fort, ramassé en trois lettres, que m’a inspiré hier soir la trahison d’un vieux compagnon de route à la sauce béarnaise, bien nommé gascon pour la rime sinon pour la raison. A tu et à toi avec la Vierge troglodyte qui depuis son apparition lui montre le chemin, ce grand crétin de souche a complètement désemparé ses brebis dispersées dans mon troupeau municipal. Affolées, elles semblent condamnées au grand écart, entre leur dévouement à ma cause locale et leur dévotion à l'ombrageux pasteur qui, contre toute attente, vient de s’offrir sans pudeur au tombeur annoncé du rikikisme... Passé la colère, comment du reste cacher mon propre embarras dans cette affaire ? Ayant besoin du soutien de ce converti, je me dois d’apporter le mien propre à son entreprise, selon les principes de la chevalerie comme au nom de notre communion en Jésus Christ. J’hésite pourtant à envoyer avant minuit à l’AFP la dépêche annonçant mon ralliement au Corrézien… Oh ! Non point par égard envers Razibus, dont déjà j’ai fait comme tous les miens mon deuil, mais à cause de l’impossible, la cornélienne décision à quoi me condamnerait, à sa suite, le franchissement illégal de la frontière !

Vous ne voyez pas ? Moi non plus à vrai dire... Renoncer à déloger ma dame de pique de l’Assemblée nationale, passerait encore, quels qu'en fussent mon dépit et ma douleur... Mais apporter mon soutien militant à son odieuse candidature, non, c’est au-dessus de mes forces, fût-ce pour sauver de l’éclatement ma majorité municipale ! Non, vraiment, je ne me résoudrai jamais à tel abandon : il me faut avant ma mort faire mordre à l'ennemie la poussière, j'en ai fait devant Dieu le serment ! Denise, bien entendu, n’est pas de cet avis, qui me rappelle mon pouvoir de séduction, ma situation de personnalité de droite préférée des Français, la promesse de Rikiki pour Matignon. Mon ralliement opéré dans la nouvelle majorité présidentielle, m'assure-t-elle, l’hôte socialiste de l’Elysée aurait-il d’autre choix que de me confier la direction du gouvernement de la France ?... Quoi ?! Pardon ?! Pour me retrouver au conseil des ministres face à ma pie voleuse, sous-secrétaire d’Etat à l’ornithologie ?! Non merci, jamais ça, sur la tête de ma mère ! Plutôt passer l'agasse au gril le 17 juin comme j'en rêve nuit et jour depuis cinq ans, façon chateaubriand. Et la servir enfin à ses électeurs avec une bonne béarnaise, évidemment !

vendredi 27 avril 2012

Compatibilité de campagne



« Ton union avec Denise fut-elle un mariage d’humour ? » me demandait l’autre jour un ami. Question délicate dans  une langue qui, à l'oreille, ne distingue l’humour de l’amour que par une voyelle initiale, petite marque de naissance d’une troublante gémellité… Aime-t-on jamais du reste sans humer ? Les sentiments ont  leurs senteurs intimes, aussi mêlées que les essences d’un parfum délicat ; je me garderai d'essayer d’en dresser ici l’inventaire, de crainte d’en tuer à la fois le mystère envoûtant et la magie. Contentons-nous donc de dire que le goût affirmé de Denise pour l’humour n’a d’égal que le mien propre qui, sans fausse modestie, n’est pas étranger à la brillante carrière publique qui a fait de moi l’une des personnalités politiques le plus aimées des Françaises et des Français.

Où voulais-je en venir ?... Oui, à une réflexion de notre coquine ce matin dans la salle de bain, alors qu’au sortir de la douche, dans le plus simple appareil, je me frictionnais vigoureusement ce qu’il est convenu d’appeler le cuir chevelu. « Dommage que tu refuses de te laisser pousser quelques mèches pour cacher un peu ce Front de maire », me dit-elle d’un air faussement ingénu, avant de siffloter aussitôt Les gars de la Marine en s’affairant à son grimage. Fait mine de ne pas comprendre la fine allusion à l’extrême coup de barre à tribord du grand Rikiki, plus que jamais déterminé à faire la victoire buissonnière le 6 mai.

Soyons francs : j’assume cette orientation musclée, en rien incompatible avec ma totale adhésion au message social de l’Église, contrairement à ce que des esprits sournois tentent ici ou là d’insinuer pour me nuire. Le curé ami d’une paroisse éligienne de la ville me l’a du reste confirmé hier au téléphone à ma demande, s’il en était besoin. Oui, grâce au Ciel, on peut encore constater à voix haute qu’il y a trop d’étrangers dans ce pays sans être sur le champ suspecté de dyscalculie ! Ou, plus grave encore, accusé de renier son baptême en se souciant comme d'une guigne en hiver de l’amour de son prochain ! Ce fléau invasif n’est bien sûr pas spécifique à la France ; j’encourage nos concitoyennes et nos concitoyens à sortir un peu de ce qui reste de nos frontières : ils constateront comme moi qu’il y a de plus en plus d’étrangers partout dans le monde ! Ce n’est pas une fatalité si les vraies Françaises et les vrais Français veulent bien donner demain mandat au président Razibus de contenir, pour cinq ans encore, cet inquiétant grouillement planétaire.

A ce propos, il n’aura échappé à personne que Rikiki a dressé hier soir sur Antenne 2 le portrait-robot du futur Premier ministre que lui imposent son cœur et sa raison. Connaissant le job, pourquoi prétendrais-je ne m’être pas reconnu en « l’homme d’expérience » qu’il souhaite appeler à ses côtés pour diriger fermement le gouvernement de la République ? Bien sûr, j’apprécie qu’il tienne à entretenir un faux suspense jusqu’au scrutin : il est même allé l’autre jour jusqu’à feindre de me rappeler sèchement à l'ordre ! Pour quel crime abominable, me demanderez-vous l' œil malicieux ? Eh bien l’évocation sur Radio Luxembourg de l’avenir de mon grand mouvement populaire si, contre toute attente et pour notre malheur, nous nous retrouvions demain orphelins du plus extraordinaire président de la Ve République ! Inutile de préciser que nous étions convenus de ce scénario dramatique : comme prévu, les médias se sont précipités sur l’hameçon !

Je le répète donc ici, comme déjà je l’ai rappelé à la presse : quoi qu'on vous raconte, nul ne trouvera jamais entre le petit Hun et moi l’épaisseur d'une feuille de papier à cigarette ! Cette chère Denise, qui lit par-dessus mon épaule à son accoutumée, me conseille de préciser que rien ne garantit pour autant que nous fassions le 6 mai un tabac...

vendredi 20 avril 2012

Le plumeau


Jeudi, 12h30. Commencé ce matin à faire quelques cartons au Quai. Éternué en tirant d’une étagère une grosse chemise bleue marquée Libye : l’époussetage semble aussi efficace ici que le ménage que nous avons fait à Tripoli... Pensé en me mouchant à une maxime que je crois de Vialatte : « L’homme n’est que poussière, c’est dire l’importance du plumeau. » Depuis la crise, le plumeau se fait rare dans les ministères où l’homme-poussière craint surtout les grands coups de balai. Ainsi, dans à peine plus de quinze jours, les Françaises et les Français procéderont-ils à leur grand nettoyage quinquennal de printemps. Les augures sont formels : nous ne retrouverons dans les urnes du 6 mai que les cendres déjà froides de Rikiki. Comment l’amour que nourrissaient avec moi les Françaises et les Français pour ce grand séducteur a-t-il pu se consumer en un seul lustre ? Au-delà du mystère qui m’intrigue, c’est pour la France un bien terrible drame. A propos, qu'est devenu le plumeau de ma grand-mère avec quoi je me faisais dans les Landes un joli chapeau d’Indien ?

Jeudi, 23h30. Depuis Paris, Denise a dépêché en fin d’après-midi une amie sûre dans une banlieue populaire de la rive droite de notre agglomération provinciale. Pour son premier voyage en tramway de l’autre côté de l’eau, notre exploratrice téméraire avait pris soin d’acheter chez Emmaüs quelques frusques de camouflage, avant de s’aventurer sur ces terres hostiles et dangereuses, rendues incroyablement boueuses par un ciel incontinent. Quel était l’objet de sa périlleuse mission, me demanderez-vous ? Espionner pour nous un candidat à la présidentielle que nous nommons secrètement « L’ami mollette », non en raison d’un patronyme qui rappelle vaguement une façon de fromage mais parce qu’il est hélas l’homme-clé du scrutin. Quand elle a appelé Denise vers 21h00 pour lui faire son rapport, on eût dit que cette pauvre femme aveugle venait de rencontrer le Christ qui lui avait ouvert les yeux ! A l’entendre exulter, ce Jésus socialiste aurait écarté les bras pour chasser les nuages, faisant apparaître un soleil radieux qui, comme par miracle, ferma d’un coup tous les parapluies. J’y vois un très mauvais présage pour son adversaire qui, depuis cinq ans, n’offre avec constance que des pépins aux Françaises et aux Français !

Vendredi, 10h00. Mon Dieu tous ces sondages encore, aussi bloqués au second tour que mes résolutions sur la Syrie à l’ONU ! Et le spectacle pénible de ces enfants prodigues que nous avions recueillis et nourris à notre sein ! Les uns après les autres ils annoncent leur demande d’asile ou leur retour au bercail du socialisme… Faut-il attendre la défaite et l’humiliation ou, comme eux, sans vergogne, nous laisser porter vers bâbord par la vague qui menace de nous anéantir ? Devrai-je bientôt, pour sauver ma peau, annoncer solennellement mon soutien à une infâme pie voleuse aux législatives ? Me faudra-t-il avec ma reddition solliciter sa suppléance, dans le fol espoir qu’elle accède un jour au banc des ministres ? Soyons francs : même si je ne perdais pas mon siège à l’Assemblée en juin, une loi inique m’en priverait hélas dans deux ans quand je convoiterai un quatrième mandat municipal. A moins que – coup fatal, suprême injure ! – je ne fusse chassé de la mairie par notre brouillon cub, avec un doux sourire d’apôtre au nom de gare ! Ô Dieu, pussiez-vous m’épargner telle infortune ! Je vous implore de me donner encore une décennie, comme vous le fîtes au Général à mon âge pour qu’il sauvât la France ! Laissez-moi être enfin, à 67 ans, digne de sa grandeur, digne de son destin !

Vendredi, 13h00. On me rapporte au déjeuner que Razibus aurait fait ce matin son mea culpa sur Radio Luxembourg, penaud de n’avoir pas mis en 2007 « assez de solennité dans son action », faute de saisir « la dimension symbolique du rôle de président ». On dirait d’une confession d’enfant sur l’échafaud pour être absous de ses péchés, au moment de tendre son cou blanc à la lame ! A ce propos, nouvel appel de la fameuse copine de Denise à l’instant : elle évoque une lame de fond ! C’est décidé : elle offrira sa voix dès le premier tour au chasseur de nuages, qu’elle a revu cette nuit dans un rêve en grand chef indien à plumes, vainqueur d’un hargneux petit cowboy, étonnant sosie de Joe Dalton. Après avoir voté, faire absolument un saut dimanche à Hossegor pour essayer de retrouver, dans un placard ou au grenier, ce fichu plumeau de ma grand-mère que je m’attachais avec ma ceinture derrière le crâne

mercredi 11 avril 2012

Pécuchet


Qu’on me pardonne : tantôt quinze jours que je n’ai pris la plume pour cet entre-moi si cher à mes fidèles. Non point qu’elle se fût desséchée, mais par répugnance à la tremper dans le sang d’encre de la déveine. Soyons francs : même les plus complaisants des sondages nous jouent obstinément deux mauvais tours. De quelque manière qu’on les interroge, les Françaises et les Français nous sifflent un curieux Chant du Départ : la défaite en chantant nous ouvre la barrière ! Dans vingt-cinq jours ils nous auront donné congé comme à des domestiques, avant de sauter joyeux dans le précipice ! Sans compter les mauvais augures qui, jusque dans mon camp, me garantissent l’humiliation suprême si je persiste à défier mon usurpatrice sur la circonscription perdue du maire. Je n'aurai bientôt plus pour tout hôtel que celui de la ville. « Pour deux ans, me dit avec diplomatie Denise, ça ne mérite pas un énième déménagement ! »

Pourquoi ce soudain pessimisme, me demandent des amis que ma nature enjouée d’ordinaire rassérène ? Je ne sais… Peut-être l’effet de la correspondance de Flaubert, dans quoi je m’abîme depuis plusieurs jours avec délectation, à moins que cette immersion volontaire ne fût à l’inverse consécutive à mon mal-être. Ne consulte-t-on pas ce maître en littérature comme on prend rendez-vous chez le radiologue ? Celui-ci déshabille votre squelette et celui-là votre âme, chacun en noir et blanc. Qu’on se rassure néanmoins : Madame Bovary, ce n’est pas moi ! Me devant à la France qui n’est pas un roman, je ne saurais plonger la main dans l’arsenic pour mettre un terme à ma vie politique ! Quoi qu’il m’en coûte, je dois à mon pays de survivre à l’injuste déroute du grand Razibus, pour demain tendre la main aux brebis chues dans le gouffre noir et profond du socialisme.

Mais Flaubert, quelle correspondance tout de même ! Que du beau monde ! Evoqué ce matin à ce propos la mère de La Petite Fadette à la fin du conseil des ministres. Rikiki agacé m’a aussitôt coupé la parole : « Toi, viens pas me gonfler avec c’t’histoire à la con ! La DCRI a fait son boulot, point barre ! » Ah ! Cette splendide bibliothèque devant quoi il plastronne dans toutes les mairies de France mais qu’il va laisser vierge ! Ces précieuses reliures caressées naguère comme des femmes avec François Mitterrand, qui jamais ne seront miennes… A quoi bon parler au président sortant de cette lettre de Gustave à Louise Colet, sa maîtresse, à la date prémonitoire du 22 avril. C’était en 1853, il y a plus de cent-cinquante ans. On y lit ceci, sans un grain de poussière : « Il n’y a de défaites que celles que l’on a tout seul, devant sa glace, dans sa conscience. » Quelle vérité ! Quelle profondeur !

Un mauvais esprit me susurre que le petit Hun fera voiler tous les miroirs du palais le 6 mai pour n’y croiser point le visage de sa défaite. Je ne le crois pas. En se brossant les dents le soir, ce parfait innocent ne trouvera dans sa glace que le reflet d'imbéciles de son entourage, seuls responsables pour lui de son échec. Je crains de n'être pas moi-même en mauvaise place dans cet aréopage. Avouerai-je que, jamais sûr de moi, constamment torturé par le doute, loin de lui en vouloir, j’envie parfois au petit prince cette morgue, ce culot, cette suffisance, ce goût du mensonge qui m’auront tant manqué pour atteindre à la magistrature suprême. Et je sais ne devoir m’en prendre qu’à moi-même si, injustement privée de mon avènement, la France n'a accouché en 2007 que d’un Pécuchet sans le savoir ! A plus d’un titre, le pauvre bougre pouvait-il clore son quinquennat ailleurs que chez Bouvard ? C'est chose faite. Comme disait feu Giscard, nul n'échappe à son destin.

mercredi 28 mars 2012

Le songe


Soyons francs, ne feignons pas d’ignorer des vers de jeunesse qui ont fait le buzz de la semaine dans les médias ! Publiés il y a plus d'un demi-siècle dans une revue lycéenne du chef-lieu des Landes, je dois avouer qu’ils m’étaient sortis de l’esprit. Denise, à qui j’ai fait cette confidence, me jure que mon esprit est bien plutôt sorti d'eux ; que, telle Vénus émergeant nue de l'onde, je ruisselle encore aujourd’hui tout entier de ces frais alexandrins d'adolescent, d’où sourdait déjà une faim insatiable de démocratie, de dialogue et de concertation, dans un élan d’altruisme très rare à cet âge !

Ému à l’idée que cet enfant poète fût mon père à sa manière… Fidèle et obstiné, sait-il que je poursuis sa quête, dans le sillon qu’il m’a tracé pour l’amour de son prochain ? Touché aussi de retrouver l'humour de ma maturité chez ce garçon pubère, dans un titre empreint de l’autodérision qu’on salue partout comme ma marque de fabrique : Variations égoïstes. Un clin d’œil de génie, déjà, pour chanter l’empathie !

Les accros de ce blogue ne s’étonneront pas que la joie intense et délicieuse de ces retrouvailles m’ait poursuivi jusqu’au plus profond de mon lit. Il faut dire aussi que je relis chaque soir les pièces de l’ami Racine et que, déambulant l’autre jour dans la ville, je suis tombé par hasard, dans une improbable vitrine, sur un portrait  gigantesque de mon agaçante agasse, en campagne pour me ravir mon siège au parlement. Le choc fut intense ! Bref, je m’enfonçai au coucher dans un songe étrange et effrayant. A voix haute, je ne saurais le nier puisque Denise m’a enregistré sur son iPhone :

"C’était pendant l’aigreur d’un très profond ennui.
Mon amère péronnelle devant moi s’est vautrée,
Comme au jour de ma mort honteusement enjouée.
Mes malheurs n’avaient point rabattu son caquet ;
Même elle avait encor cette verve éraillée
Dont elle eut soin de feindre d’orner son ramage,
Pour oser l’indécent, l’irréparable outrage.
« Tremble, m’a-t-elle dit, homme indigne de moi.
Le cruel Dieu des urnes l’emporte encor sur toi.
Je te plains de périr dans ses mains redoutables,
Alain. » En achevant ces mots épouvantables,
Son ombre vers mon siège a paru se baisser ;
Et moi je lui tendais les mains pour l’étrangler.
Mais je n’ai plus trouvé qu’un horrible mélange
De plumes noires et blanches dérobées à quelque ange,
Une pie jacassant en des termes affreux
Que des chiens ricanants se répétaient entre eux."

Dois-je croire en cette funeste prémonition législative ? Ma dame de pique s'apprête-t-elle à me faire mordre encore la poussière ? Peut me chaut en vérité, tant je suis fier de savoir encore tourner des alexandrins, jusque dans mon sommeil ! Si cet oiseau de malheur s’incruste à l’Assemblée nationale, je sais maintenant pouvoir toujours agiter mon Grelot et m’installer, moi, sous la Coupole. Ressuscitons Pierre Odalot, que diable ! Rendons-le Immortel ! – On est sérieux quand on a soixante-sept ans / Et qu’on marche en habit vert sur la promenade !

jeudi 22 mars 2012

La faille ?


Si je me tais comme il sied depuis plusieurs jours, l’actualité m’impose en ce jeudi d’aborder gravement, sans détour, le problème des failles à quoi m’a récemment sensibilisé un ami géochimiste de renommée internationale, au demeurant éminent spécialiste des éléphantidés préhistoriques laineux. Je n’ignore en effet plus rien de la tectonique des plaques, depuis un passionnant déjeuner à Villepinte avec ce formidable et délicat pédagogue, soutien sans faille de Rikiki à la présidentielle depuis plus de cinq ans.

Grâce à ce savant hors pair, j’ai ainsi découvert à ma grande stupéfaction que, telle l’action politique, l’activité sismique  est concentrée le long de failles, qui sont en quelque sorte de dangereuses zones de rupture dans la roche comme dans le tissu social. Les frottements qu’elles subissent génèrent une quantité inimaginable d’énergie, dont la libération brutale provoque des tremblements de terre d’une magnitude et d’une intensité qui, pour imprédictibles qu’elles soient, n’échappent jamais à la vigilance de nos services de renseignement et autres sismographes.

Il est bien entendu du devoir d’un ministre d’Etat de s’interroger sérieusement sur le risque que représentent de tels phénomènes pour la vie des Françaises et des Français. C’est pourquoi j’ai demandé ce matin sur une radio amie que, en cas d’éventuelles failles dans la géologie de l’Hexagone, en Midi-Pyrénées ou en Alsace – je cite ces deux régions au hasard –, toute clarté fût faite pour informer dûment nos concitoyennes et nos concitoyens des dangers qu’ils pourraient encourir. Je m’empresse d’ajouter qu’il n’y a aucune raison de penser, à l’heure où j’écris ces lignes, que nous eussions d’une manière ou d’une autre sous nos pieds la moindre faille.

Soyons francs : j’exclus même personnellement – j’y insiste – l’existence de quelque faille que ce soit sur notre territoire métropolitain. Si l’on venait donc à supputer autour de vous, chers fidèles et chères fidèles de ce blogue, la possibilité d’une telle incongruité géologique dans ou à nos frontières, je vous demande de répondre à chaque fois que je ne prends absolument pas à mon compte une telle affirmation, pour que cela soit bien clair dans l’esprit de l'ensemble de nos compatriotes et de nos compatriotes. Ainsi qu'accessoirement dans la tête du président Razibus.

Cela dit, je comprendrais bien évidemment, il va sans dire, qu’on pût se poser, en son âme et conscience, la question de savoir s’il y a ou non une faille. Mais comme j’ignore moi-même s’il y en a une et, dans l’improbable affirmative, de quelle nature elle pourrait être, il n’est sans doute pas inutile, toute réflexion faite, que nous fissions en temps utile la clarté là-dessus. Je ne saurais donc qu'encourager le lecteur et la lectrice à me relayer en haut lieu, si possible sans ostentation sur ma position personnelle dont j’informerai le président Rikiki à ma convenance, dans les termes diplomatiques seyant à nos charges respectives.

Voilà, mes chers amis, mes chères amies, l’éclairage que je tenais à vous apporter sur les failles à quoi nous sommes exposés ou, tout aussi bien, pourrions parfaitement ne pas l’être. Cette lumière est indispensable à la compréhension des scrutins à venir, de leurs enjeux et, craignons-le, de leur verdict. L'aimable mammouthologue que je saluais en ouverture de ce billet m’assure en effet que les failles sont responsables de la majorité des tremblements de terre. Eh bien, je vous le dis : nous périrons tous sous les décombres si nous ne comprenons pas à temps, corollairement, qu’elles sont aussi responsables des tremblements de terre de la majorité !