"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

lundi 13 juillet 2009

Pont du 14 juillet

A mon banquier, qui me faisait remarquer jeudi avec humour que Youpi est un joli nom d’emprunt, j’ai rappelé mon acharnement à en faire plutôt un nom d’empreinte, dans la ville et dans le monde. Quel que soit son succès, de toute façon, l’emprunt de Rikiki de droit ne portera pas mon nom, mais le sien. Oui, l’empreinte ! Soyons francs : bien qu’on en célèbre partout l’envergure, je ne prétends pas que mon œuvre littéraire traverse le millénaire. S’il a la force d’un vœu monacal de chasteté, mon renoncement durable à la guigne hiémale n’a pas plus de vocation multiséculaire, en effet, qu’un vulgaire bocal de griottes au sirop d'érable. C’est que presque tout, en politique, porte quelque part sa date de péremption. Ce qui s’y imprime, voyez-vous, n’a guère une durée de vie plus longue qu'une profession de foi ou un bulletin de vote. Qui n’est pas gros d’une œuvre s’efforce donc de donner le change dans le gros œuvre, pour laisser sa trace.


Une bonne fois pour toutes, qu'il soit clair que j’ai quant à moi décidé que mon empreinte locale prendrait la forme d'un pont majestueux, digne des pharaons, malgré qu’en aient les petits juges de l’UNESCO, infiltrés comme on sait par des associations rétrogrades, qui réclament un tunnel comme des néo-néandertaliens leur caverne. Nous sommes au XXIe siècle, bon sang de bois ! On n’enterrera pas mon pont levant ! Au contraire, il dressera bientôt sans pudeur sur la courbe du fleuve ses quatre gigantesques colonnes, tel un dieu quadrithyphallique ! Quatre colonnes rostrales pour célébrer ma mâle victoire fluviale sur l'obscurantisme vaginal des tunneliers ! Elles écraseront de leur majesté et de la mienne des riverains ignares et stupides, qui ne voient pas plus loin que le bout de leurs berges, ni plus haut que le toit de leurs méchantes échoppes.


Ce pont devra naturellement porter un jour mon nom qui, si les Français comme moi le réclament, sera aussi celui d’un grand président de la République. Notre agglomération, qui a déjà son pont Mitterrand, mérite bien après tout son pont Youpi, surtout si elle doit renoncer à un grand stade du même nom. Quand s’en élèvera enfin le noble tablier au-dessus du fleuve, qu’importe que ce ne soit pas pour laisser passer de hauts immeubles flottants, privés de tirant d’eau comme de grâce ! Qu’importe que cela coupe toutes les voies de circulation, qu'il ne passe ni bateaux ni voitures ! J’aurai vaincu ! J’aurai eu raison de la bêtise humaine ! Je serai digne de régner sur la France ! A ce propos, qu'a jamais construit Razibus ?


Comme je l’expliquais à cet aimable banquier, on ne risque rien à laisser son nom à un pont, bien au contraire. Ainsi saint Jean, qui n’a jamais crié gare, n’en est-il pas moins aimé du christ dans les évangiles, ni Mitterrand de l’actuelle majorité présidentielle. Il peut être en revanche délicat de laisser son nom à un emprunt, comme l’a appris à ses dépens tel président qui prétendait, voilà plus de trente ans, se rallier "deux Franchais chur trois". Tant qu’à passer à la postérité, autant que ce ne fût point à la manière de Poubelle, de Maginot ou d’Alzheimer. Voire même par la bande, comme Velpeau.


Lit-on encore de nos jours L’Education sentimentale, qui doit bien se trouver quelque part sur les rayonnages du pygmée à l’Elysée ?... (A ce propos, nous dira-t-on jamais si notre petit Tom a dépassé le premier chapitre du Rouge et le Noir ?) Flaubert y écrit qu’"Il y a des hommes n’ayant pour mission parmi les autres que de servir d’intermédiaires ; on les franchit, ajoute-t-il, comme des ponts, et l’on va plus loin." Je suis de ces missionnaires d’exception, en position au travers de notre fleuve tumultueux pour en relier les rives. Tous les juges de l’UNESCO pourraient me passer sur le corps que je ne m’en relèverais pas !


Je n’ignore pas, pourtant, qu’une langue de pie vipérine, sèche alma mater de l’opposition locale, me surnomme déjà le zouave du pont levant, me promettant de l’eau dans mes bottes à la première marée ! J’ai même reçu par courriel, avec ses appels à la raison, l'extrait d’une chanson de Reggiani dont on se souvient peut-être : "Je m’appelle Octave / Et je fais le zouave / Sur ce pont damné / Ou chaque année / Je sens qu’mon cas s’aggrave". Qu'on juge ce qu'il faut de sang-froid et de patience pour feindre d'ignorer son incessant persiflage ! Denise a raison : cette pie qui chante est une vraie casse-bonbons !

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