"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

samedi 9 janvier 2010

Hommage d'Epinal



Je rappelais il y a peu ici la formule expresse par quoi une célèbre journaliste avait, jadis, assassiné mon prédécesseur au nom de stade en ruine : "On ne tire pas sur une ambulance". J’ignorais alors qu’il me faudrait moi-même ajouter bientôt : "ni sur un corbillard". Soyons digne en effet : la presse peut bien se gargariser du  nom peu amène dont le mort le plus regretté de la semaine m’avait gratifié en 2002, je ne répondrai pas. Aveuglé par son orgueil ou son dépit, il lui avait été difficile de comprendre ou d’admettre, déjà en 1995, que le président n’eût d’autre choix que de confier au meilleur d’entre nous la direction du gouvernement de la France. De quel droit me serais-je dérobé ? Se dérobe-t-on à la nation au prétexte qu’on n’en est pas pupille ? Je crois avoir suffisamment payé pendant deux ans ma victoire – ou mon prétendu larcin – pour ne me sentir en rien coupable du sort du cher défunt.

Soyons francs : si je n’ai guère fait la cour à ce baryton tempétueux, l’heure n’est plus aux comptes, je le crains, ni à leur règlement. On vole, on est volé et puis finalement on s’envole ; ainsi va la vie, comme dirait une mienne pie blogueuse à qui je rêve de clouer le bec et de rogner les ailes. De là à faire de moi l’un des douze apôtres du cinéaste Robert Aldrich, pour crime de liquidation du Rassemblement au profit de l’Union, il y a un pas tout de même… Non, tu as raison Denise, on ne m’a jamais vu dans le rôle de l’Iscariote. Pourquoi irais-je donc me pendre dans un cerisier en plein hiver ?

A bien y réfléchir, je pourrais au demeurant être jaloux, à mon tour, que le Général ait déjà rappelé cet ombrageux compagnon auprès de lui, plutôt que moi. J’accepte au contraire sans broncher qu’il me cantonne ici-bas, pour permettre à la France de retrouver le rang qui lui sied dans le concert des nations. Puisque tels sont sa volonté et mon destin, je serai bien lundi aux Invalides, pour le représenter aux obsèques officielles. Avouerai-je pourtant que, depuis jeudi, me tourmente un verset abscons de l’évangile de Luc* : "Laissez les morts enterrer leurs morts". Certes la parole du Christ n’est pas à prendre à la lettre ; l’inhumation stricto sensu n’aura pas lieu du reste aux Invalides et il est trop tôt pour le Panthéon, quand bien même la crypte de Camus cherche encore un repreneur. Serai-je néanmoins à ma place au milieu de tous ces gens déjà, sans le savoir, morts politiquement ? C’est que mon royaume à moi est plus que jamais de ce monde, je n’en veux pour preuve qu’un titre enthousiaste d’un grand quotidien du soir, mardi je crois, sur ma rentrée politique. Être encore du Monde, ce n’est pas rien tout de même, comme dirait Razibus ! Surtout si l’on y échappe à la rubrique nécrologique.

A propos de Rikiki, il n’a échappé à personne que j'ai habilement poursuivi, cette semaine, ma tactique du cracher-cirer**. On m’avait entendu me démarquer franchement dans la presse du débat sur l’identité nationale, en balayant de la main cette foutaise inutile et stupide, dangereuse pour la France. Deuxième acte : après avoir craché dans la soupe, je mets finement aujourd’hui de l’eau dans mon vin : pourquoi pas un débat après tout, pour autant qu’on le réoriente ? Je souffle le froid et le chaud, c’est ma spécialité. Il y faut du courage et de la ténacité, mais on s’accorde à dire que je n’en manque point. Oui, je m’expose et prends des risques, alors que je pourrais faire le mort comme tant d’autres ou, pour me divertir au sens pascalien, prétendre vaquer exclusivement à mes occupations municipales. 

Mais de quel ennui serait, mon Dieu, un urbi sans orbi ! Quelle humiliation publique que de faire la manche au conseil général pour quelques tribunes, alors que la presse m’en offre tous les jours gracieusement dans ses pages, autrement utiles à ma gloire nationale ! Quel gâchis ce serait que ma gnaque n'eût pour s’exprimer qu’un pauvre stade, quand elle est taillée pour une nation ! C’est que ma figure géométrique est l’Hexagone, voyez-vous, pas un misérable rectangle semé de gazon, tout juste bon pour notre fougueux défunt, amateur de football relégué en seconde division. Les Françaises et les Français ne s’y trompent pas, croyez-moi, qui savent faire la différence entre l’étiquette d’un grand cru classé et une simple image d’Epinal. Pour sortir du rang, l’homme politique doit, comme le vin, prendre de la bouteille, ce que Dieu ne donne pas hélas à tout le monde. Face à cette mort qui frappe et émeut la France, dirai-je le pincement au cœur que j’ai ressenti, ce matin, en foulant du pied la plaque de bronze qui, à l’entrée de mon palais épiscopal, au bas d'une longue liste, fait suivre mon nom d’un millésime originel et d’un inquiétant tiret. Comme suspendu, il semble me murmurer : "je t’attends" ? Et dire que c'est écrit, Dieu du Ciel !... Quand ? Fouetté par un méchant blizzard, j'ai senti mon corps soudain se glacer comme le marbre.

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* Luc, 9, 60.
** Voir mon billet du 15 décembre 2009.

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