"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

samedi 15 mai 2010

Retraite éligienne


Je dois des excuses et quelques explications aux nombreux fidèles de ce blogue qui, depuis quelques jours, s’inquiètent d’un long silence à quoi je ne les ai pas accoutumés. Qu’on me permette de les rassurer, retour d’une retraite bien méritée en Normandie, dans un paisible petit village où le temps était suspendu, jusqu’au cadran de l’église dont les aiguilles, frigorifiées, semblaient refuser l’écoulement factice des heures, lui préférant l’éternité de Dieu, plus propice à l’ascension de l’âme et du corps.

C’est dans cette petite bourgade de Saint-Eloi-de-Fourques que nous avions loué incognito une chambre d’hôte, où nous devions demeurer paisiblement en lectures et en prières jusqu’au week-end ; Mamert, Pancrace et Servais nous en ont finalement chassés, dont le triste mai n’a pu faire fondre les saintes glaces. J’étais parti sans bonnet de laine et, en toute confidence, n’ai jamais supporté la flaccidité froide et humide de la bouillotte à l’aube, sous un édredon trop lourd. Cerise sur le gâteau : nous espérions une messe à la mi-semaine mais, impénétrable, l’église Saint-Eloy a zappé jeudi l’Ascension du Christ en langue vulgaire. Les bras ballants devant son porche, sous un gros if dont la généreuse ramure ne pouvait nous protéger de bourrasques sibériennes, il ne nous restait guère qu’à mettre les voiles. Ce qui fut fait, avec un crochet par Cabourg.

Espionne assidue de ce blogue, je ne doute pas que ma dame de pique s'amuse à persifler sur mes nouveaux déboires avec Eligius, comme le nomment affectueusement nos frères traditionnalistes. Balivernes ! J’ai en fait beaucoup d’affinités avec saint Eloi. Sait-on, par exemple, qu'il était orfèvre en matière de finances, à mon instar ? Il faut dire qu’il avait été à bonne école ; propriétaires de plusieurs domaines, ses parents avaient en effet, dit-on, des intérêts dans quelques mines d’or en Aquitaine. Ce n’était pas l’ENA, certes, mais peut-être à l’occasion une source naturelle de deniers occultes. 

Autre ressemblance avec moi, Eloi de Noyon n’était pas homme à s’embarrasser de circonlocutions, si l’on en croit Ouen de Rouen, son saint biographe. Ainsi ne craignait-il pas d’appeler la rigueur par son nom, qu’il revendiquait comme moi jusque dans ses bottes. Soyons francs : nous avons servi l’un et l’autre un roi fainéant, comme l’a rappelé un jour Rikiki sans excès de délicatesse. Eloi fut comme on sait nommé évêque de Noyon après avoir servi Dagobert. Un laïc ne pouvant devenir de nos jours le bon pasteur d’un diocèse, je crains hélas que mes pas ne me conduisent à la papauté républicaine, plutôt qu’à quelque évêché de province. Puisse saint Eloi m’y inspirer demain : ses recettes seront les bienvenues pour redresser les finances d’une  France surendettée où, devenus des euros, les écus ne valent plus tripette sur les marchés.

Puisque j’évoque incidemment le petit Hun, Denise me rapporte que quelques copines du triangle s’émouvraient du soutien enthousiaste que je lui ai récemment apporté, dans une innocente petite vidéo commémorant le troisième anniversaire de son avènement. Je l’y aurais exagérément encensé, en totale contradiction avec mes coups de boutoir à ses réformes de hussard en mars et avril derniers. C’est bien mal comprendre une situation délicate. Qu’on le veuille ou non, Razibus est le chef du parti d’union que j’ai naguère mis au monde et dont j’ai encore besoin. J’étais donc en service commandé, dans un exercice convenu, disons à la manière d’un ouvrier de combinat chimique pour l’anniversaire du conducator, à la belle époque du communisme. Je n’avais pas le choix. On ne gâche pas ce genre de fête, surtout pour s’exposer à de terribles représailles. Il faut savoir lire entre les lignes, voilà tout. Ainsi pourra-t-on vérifier que je n’ai jamais affirmé que Rikiki-de-droit avait réussi cette grosse tranche de quinquennat, mais dit à peu près, de mémoire : "Je crois qu’il a fait avancer les choses", et puis : "Je crois qu’il faut continuer comme ça".

Oui, je crois, non point au sens du credo chrétien mais du doute, de l’incertitude. Je n’affirme rien, tant je puis bien sûr me tromper. "Cuiusvis hominis est errare", comme nous l’a enseigné Cicéron, en des temps où chacun parlait encore latin en sixième et à la messe. Je reconnais facilement mes erreurs, on le sait, ce qui ne signifie pas que je retourne ma veste comme le bon saint Eloi la culotte de son roi. C’est que, de l’avis général, nous avons aujourd’hui sur le trône une majesté plutôt culottée, si vous voyez ce que je veux dire ! Quel autre recours que moi a la France pour éviter la déculottée en 2012 ? L’Europe et le monde comptent sur mon expérience et ma personne. Cela m’oblige, je ne me défilerai pas. Cette fraîche villégiature éligienne a décidément confirmé mon inaptitude à la retraite, sans pour autant me dégoûter de la pension (la table d'hôte était excellente). N'ayez pas peur : jamais je ne tournerai le dos à mes fidèles !

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