"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

lundi 14 février 2011

Des boute-en-train


Je doute que, dans les instituts d’études politiques ou à l’ENA, on initie encore nos étudiants aux rudiments de l'hippologie, science pourtant indispensable à une parfaite connaissance de l’homme et de la femme politiques dans leur complexe globalité. Dans ma jeunesse, nos maîtres savaient en effet que les partis, comme les électeurs, doivent s’assurer de miser sur le bon cheval, de sorte à ne pas se retrouver, un beau matin au réveil, avec un tocard au parlement ou à l’Elysée. C'est qu'une élection n’est au fond qu’une course hippique à deux tours, où l’on fait son pari gagnant dans les urnes. A ce propos, je voudrais vous parler aujourd’hui de la saillie et des règles strictes qui la gouvernent, en politique comme dans nos prestigieux haras nationaux.

La saillie – à quoi ne répugnait pas le Général dans ses conférences de presse, mais c'est là une autre histoire – est soumise à un rituel immuable et rigoureux, dont croit hélas pouvoir s’affranchir de nos jours une classe politique composée de petits fonceurs, façon Razibus, trop pressés de tirer leur coup franc pour s’embarrasser d’arabesques et autres préliminaires inutiles. Si je n’ai pas personnellement, me semble-t-il, une réputation de joyeux drille qu'on s'arrache aux noces et aux banquets, ce billet dominical n’en est pas moins, comme on va voir, un vibrant plaidoyer pour l'urgente réhabilitation du boute-en-train en politique.

Soyons francs, le sujet est un peu délicat : je remercie donc les parents de bien vouloir pour une fois éloigner quelques instants leurs enfants de ce blogue. Une remarque liminaire, pour éviter par ailleurs tout malentendu : si en hippologie, comme on sait, le boute-en-train est aussi appelé « agaceur », je ne voudrais pas que mes fidèles crussent que je vais évoquer une énième fois ici telle agasse qui m’aurait prétendument soufflé un siège au parlement en 2007. Bien au contraire, mon propos est d'entretenir le lecteur du savant processus en cours par quoi, sans précipitation, je pourrai l’an prochain enfin « honorer » la République. Dans cette acception originelle, le boute-en-train est le cheval retenu, forcé à l'abstinence, dont on exploite l’abnégation dans les haras pour vérifier qu’une jument est bien en chaleur, avant de la présenter à un superbe étalon ayant mission de la saillir.

Quel rapport avec la politique, me demanderez-vous ? C’est bien simple : l’électorat est un corps vivant, noble, sensible et délicat que, telle une jument de race, on prépare à la chose par des préliminaires sous-traités au rabais, sans espoir de conclusion pour le prestataire de service. Comment ? Disons, au hasard, à la faveur d’un très modeste scrutin cantonal... Inapte à déclencher de véritables chaleurs, un second rôle sans talent ni notoriété y campe le boute-en-train chargé d’exciter par procuration l’appétit de l’électeur, en distribuant par exemple des images sensuelles et aguichantes du grand étalon, promu, vanté, mais non exposé directement à ce stade. Si l’opération réussit, le boute-en-train est aussitôt remisé aux écuries avec un seau d’avoine, cependant que le corps électoral excité s’abandonne frénétiquement au superbe étalon, dans un scrutin national torride où, enfin, la noble bête à pedigree engrossera la République de ses belles œuvres ! Comme on voit, ce n’est pas un coup d’épée dans l’eau ; le jeu en vaut vraiment la chandelle !

Fine connaisseuse, Denise me fait remarquer que c’est un peu, sur un autre mode, ce que les socialistes appellent une primaire. Si l’on veut, mais à cette différence près que l’électorat socialiste est confronté au déferlement fougueux et brouillon d’un troupeau de boute-en-train tous résolus à la saillie, dans quoi la meilleure des juments ne saurait retrouver son étalon ! Alors elle tape du sabot, elle rue, elle s’énerve ; c’est le signe flagrant, nous enseignaient jadis nos maîtres, qu'elle n’est pas du tout prête, à l'instar de l'électeur. On la comprend : grâce à Dieu, tous ces ânes excités ont déjà en brayant gaspillé leur semence !

1 commentaire:

Alain Youpi a dit…

Sans nier l'importance de l'hippologie, un lecteur averti me rappelle sur Face-bouc l'importance de l'éthologie en science politique. Pour les profanes, il s'agit de l'étude du comportement animal. Il a bien sûr raison. Par exemple, que sont en effet dans mon parti les éléments de langage, sinon ce qu'on nomme plus simplement dans le civil des pense-bêtes ?