"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

lundi 7 février 2011

Blues

« Sur la laine du bruit quelque objet de silence, mais si vaste.
Il y va de l’amour, de son mouvement vers les vitrines attentives.
Qui s’arrête et contemple ? Ici la pensée organise l’exposition des oripeaux, et le charme s’éternise.
Là, des chats géants grattent la terre, l’acier du silence et la croyance sans objet. »*

« Le sel noir » d'Édouard Glissant encore à fleur de peau, tel le sable chaud d’une plage de Martinique, Denise et moi  pleurons ce matin Andrée Chedid, partie trop vite rejoindre au Paradis le chantre des Antilles. Pourquoi la mort ne boude-t-elle pas les poètes, tel l’hiver les cerises ? Angoisse, malaise, panique : je ne me sens pas très bien. Ces vers m’intriguent qui me résistent comme une grille de mots croisés. Faut-il à tout prix les saisir ou bien les laisser filer  entre ses doigts comme des alizés ? Vaine interrogation... Je crains hélas, cher maître, que vos « vitrines attentives » ne figurent le magasin bleu d’un mouvement qui ne déclenche plus guère d'amour ou de liesse populaire… « Qui s’arrête et contemple ? », demandez-vous pudiquement. Peut-être quelques chiens dans la nuit, levant à peine la patte au bout d’une laisse trop pressée de rentrer à la maison.

Si j’en crois Denise, « l’exposition des oripeaux » renverrait aux belles écharpes bleues de la campagne… Pourquoi pas, mais qui dira jamais la pensée qui les organise ?  La pensée ? Un esprit de revanche, tout au plus, mais ne confondons pas ici esprit et pensée quand il s'agit d'évoquer le vide ! Et puis, qu'est un charme qui s’éternise dans une vitrine sinon un charme qui ne se vend pas ? Il passe au soleil du temps dès avant les soldes et la braderie. C'est que, comme le bleu des foulards, le charme est périssable : indigo, il retournera à la poussière dans les urnes.

Poussière ? Figurant faute de mieux le chat géant du poète, ma pie voleuse gratte de sa patte la terre de son grand parc, telle une poule de basse-cour, pour en faire un grand jardin partagé : Saint-Martin partageant son manteau comme nous n’avons point su partager nos écharpes (elles ne sont pas de soie mais d’entre-soi, soit dit en passant). Est-ce donc cela le socialisme ? Soyons francs : ma dame de pique est impossible mais, comme l’écrit Andrée Chedid, « L’impossible est le seul adversaire digne de l’homme. »** Oui, continuer de se battre est la seule façon de repousser le mot « fin », fût-ce dans une pauvre cantonale, comme dirait ma meilleure ennemie cancérologue. Non, aucune croyance n’est sans objet, cher Edouard Glissant, pour peu qu’elle aide à vivre ou à survivre. Il faut croire en la victoire, même la plus improbable, comme en Dieu !

Evoqué en fin de semaine la possibilité de donner à notre grand pont levant le nom du poète martiniquais disparu. Les responsables de la voirie m’opposent stupidement l’incongruité sémantique d’un pont Glissant pour l’usager (piéton, cycliste ou automobiliste). Pour éviter tout malentendu ou dérapage, on me suggère de me rabattre sur la patinoire. Bonjour la poésie !

Le père de l’antillanité sera inhumé après-demain au Diamant, sous le soleil créole de son île natale. Regret de ne pouvoir m’y rendre au nom de la France et du président très Rikiki (24% dans les sondages : monsieur Thiers prend son quart !). A ce propos, s'assurer que la petite dame du Quai d’Orsay n’a pas profité du dernier vol du poète pour fuir à l'œil dans la Caraïbe le harcèlement des médias... Et accessoirement y faire passer ses bleus au soleil :

« Beauté beauté le monde est là et c’est ton corps bleui. »***
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*  Edouard Glissant, Villes, in Le sel noir
** Andrée Chedid, Néfertiti et le rêve d'Akhenaton
*** Edouard Glissant, Plaies, in Le sel noir  

1 commentaire:

Martiniquais de l'Hexagone a dit…

Savez-vous qu'Edouard Glissant, que a été enterré hier, a écrit une pièce de théâtre intitulée "Monsieur Toussaint" (http://www.afrikara.com/index.php?page=contenu&art=780) ? Quand je passe chez vous, je salue toujours le buste de Toussaint Louverture, dont le regard tourné vers l'océan pourrait apercevoir bientôt votre pont Edouard Glissant. Ne cédez pas s'il vous plaît, M. le Maire, et faites-leur ce plaisir posthume à tous les deux !