"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

vendredi 2 septembre 2011

Le rivage de Syrte


Sans doute le lecteur s’interrogera-t-il sur l’emprunt singulier à Julien Gracq du titre de ce billet de rentrée, au lendemain d’une amicale conférence internationale qui a consacré à Paris la victoire de la France révolutionnaire, levée depuis six mois contre l’étendard sanglant d’un vieux tyran obsolète. L’Histoire que je viens d’écrire en Libye pour le président de la République n’est-elle pas pourtant aussi « un roman de l’attente », ainsi qu’on l’a dit du Rivage dont l’auteur refusa jadis le prix Goncourt, comme je l’eusse du reste fait moi-même, fût-il venu à l’esprit du jury de goûter chez Drouant mes célébrissimes Cerises en hiver ?

La tente de cette Histoire, c’est bien sûr celle qu’un bédouin despotique avait exigé de planter en 2007 dans le parc de l’hôtel de Marigny, en plein Paris, à deux pas de l’Elysée. Là même où le grand Razibus a présenté hier notre nouvelle Lybie aux représentants émerveillés de soixante pays, pour exorciser le lieu et le quinquennat du fantôme insaisissable de l’ignoble déchu du rikikisme. Telle une anguille dans la mer des Sargasses, on dit l'obstiné tyran retranché aujourd'hui à Syrte, sa malheureuse ville natale, qui toujours résiste à des forces rebelles grâce à nous maîtresses du pays. La fin du roman de l’attente, c’est donc désormais la longue semaine dans quoi se prolonge officiellement l’ultimatum lancé à Syrte pour sa reddition pacifique, s’il le faut par les armes.

Dans un curieux rêve la nuit dernière, en pyjama de camouflage, j’observais depuis une barque immobile le rivage lointain de cette ville endormie, qu’éclairaient à peine quelques lueurs vacillantes et silencieuses. Alors que le jour se levait, me parvint affaiblie une voix de muezzin – celle de Gracq, emphatique, comme sortie d’un haut-parleur : « Le rassurant de l’équilibre, entendis-je dans un grésillement nasillard, c’est que rien ne bouge. Le vrai de l’équilibre, c’est qu’il suffit d’un souffle pour faire tout bouger »*. Aussitôt secoué par Denise qui craignait un malaise, inquiète de m’entendre souffler comme une baleine dans mon sommeil ! « As-tu passé ta nuit avec Katia ? », me demanda-t-elle au petit déjeuner en me tendant le journal avec malice. Katia ? La maîtresse qui convainquit Alexandre II, pour son malheur, d’octroyer une nouvelle constitution à la Russie ? Ah ! sublime Danielle Darrieux dans le film de Tourneur ! Non, une nouvelle houle cyclonique sur les Antilles ! Autant en emporte le vent de l'Histoire...

A ce propos, je n'oublie pas que le long roman de l'attente, c’est aussi en ce moment celui des tribus du désert socialiste pour le choix d'un candidat à la présidentielle, dans un processus original dont je ne saurais trop conseiller au Conseil National de Transition libyen de s'inspirer, pour en prendre de la graine. Soyons francs : si, au sortir de l’ENA, j’avais choisi de m’engager à gauche plutôt qu'aux côtés du Général, comme m’y prédisposait sans doute déjà une profonde adhésion au message social de l’Église, il me plaît d’imaginer que je caracolerais aujourd’hui allègrement en tête de la primaire socialiste, loin devant les tocards et les tocardes qui prétendent me détrôner au travers de l’actuel président de la République. Qui sait du reste si, dans leurs rangs, je n’eusse pas moi-même battu le géant, l’énorme Rikiki en 2007 ? A défaut, au moins aurais-je été leur candidat naturel sur la deuxième circonscription, sans avoir à subir l’humiliation d’une dermatologue cynophile qui, non contente de me donner des boutons, rêve par-dessus le marché que je lui passe de la pommade !

Au lieu de quoi j’ai passé ma vie à attendre, à ramer, à espérer toujours dans mes voiles le moindre souffle de l’Histoire – celui-là même que j’offre aux Libyens sur un plateau, sans qu’il ait jamais daigné me pousser moi-même jusqu'au point culminant du pouvoir ! Ô mirages ! Faute d'alizés, j’ai raté le dernier virage vers l'ultime rivage : l’Elysée ! Qu’on me fasse au moins justice en dehors d’un prétoire : en des temps où l’on se souciait peu de vérifier les fadettes, j’ai payé sans broncher des factures qui n’étaient pas toujours les miennes. Sans un gémissement, je me suis laissé mettre en croix, dans un fol espoir de résurrection ! Alors, rassuré d'être dans le vrai, où trouver aujourd'hui mieux qu’en Libye la force d’attendre encore, de prétendre, de croire, de faire croire que je sais « pour quoi désormais le décor est planté » ?**
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*Marino à Aldo, Le Rivage des Syrtes.
**« …et je savais pour quoi désormais le décor était planté. », phrase finale du Rivage des Syrtes.

1 commentaire:

SOS Dépannage a dit…

Je ne comprends pas : vous êtes dans les décors ou vous êtes planté ?