"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

mercredi 11 avril 2012

Pécuchet


Qu’on me pardonne : tantôt quinze jours que je n’ai pris la plume pour cet entre-moi si cher à mes fidèles. Non point qu’elle se fût desséchée, mais par répugnance à la tremper dans le sang d’encre de la déveine. Soyons francs : même les plus complaisants des sondages nous jouent obstinément deux mauvais tours. De quelque manière qu’on les interroge, les Françaises et les Français nous sifflent un curieux Chant du Départ : la défaite en chantant nous ouvre la barrière ! Dans vingt-cinq jours ils nous auront donné congé comme à des domestiques, avant de sauter joyeux dans le précipice ! Sans compter les mauvais augures qui, jusque dans mon camp, me garantissent l’humiliation suprême si je persiste à défier mon usurpatrice sur la circonscription perdue du maire. Je n'aurai bientôt plus pour tout hôtel que celui de la ville. « Pour deux ans, me dit avec diplomatie Denise, ça ne mérite pas un énième déménagement ! »

Pourquoi ce soudain pessimisme, me demandent des amis que ma nature enjouée d’ordinaire rassérène ? Je ne sais… Peut-être l’effet de la correspondance de Flaubert, dans quoi je m’abîme depuis plusieurs jours avec délectation, à moins que cette immersion volontaire ne fût à l’inverse consécutive à mon mal-être. Ne consulte-t-on pas ce maître en littérature comme on prend rendez-vous chez le radiologue ? Celui-ci déshabille votre squelette et celui-là votre âme, chacun en noir et blanc. Qu’on se rassure néanmoins : Madame Bovary, ce n’est pas moi ! Me devant à la France qui n’est pas un roman, je ne saurais plonger la main dans l’arsenic pour mettre un terme à ma vie politique ! Quoi qu’il m’en coûte, je dois à mon pays de survivre à l’injuste déroute du grand Razibus, pour demain tendre la main aux brebis chues dans le gouffre noir et profond du socialisme.

Mais Flaubert, quelle correspondance tout de même ! Que du beau monde ! Evoqué ce matin à ce propos la mère de La Petite Fadette à la fin du conseil des ministres. Rikiki agacé m’a aussitôt coupé la parole : « Toi, viens pas me gonfler avec c’t’histoire à la con ! La DCRI a fait son boulot, point barre ! » Ah ! Cette splendide bibliothèque devant quoi il plastronne dans toutes les mairies de France mais qu’il va laisser vierge ! Ces précieuses reliures caressées naguère comme des femmes avec François Mitterrand, qui jamais ne seront miennes… A quoi bon parler au président sortant de cette lettre de Gustave à Louise Colet, sa maîtresse, à la date prémonitoire du 22 avril. C’était en 1853, il y a plus de cent-cinquante ans. On y lit ceci, sans un grain de poussière : « Il n’y a de défaites que celles que l’on a tout seul, devant sa glace, dans sa conscience. » Quelle vérité ! Quelle profondeur !

Un mauvais esprit me susurre que le petit Hun fera voiler tous les miroirs du palais le 6 mai pour n’y croiser point le visage de sa défaite. Je ne le crois pas. En se brossant les dents le soir, ce parfait innocent ne trouvera dans sa glace que le reflet d'imbéciles de son entourage, seuls responsables pour lui de son échec. Je crains de n'être pas moi-même en mauvaise place dans cet aréopage. Avouerai-je que, jamais sûr de moi, constamment torturé par le doute, loin de lui en vouloir, j’envie parfois au petit prince cette morgue, ce culot, cette suffisance, ce goût du mensonge qui m’auront tant manqué pour atteindre à la magistrature suprême. Et je sais ne devoir m’en prendre qu’à moi-même si, injustement privée de mon avènement, la France n'a accouché en 2007 que d’un Pécuchet sans le savoir ! A plus d’un titre, le pauvre bougre pouvait-il clore son quinquennat ailleurs que chez Bouvard ? C'est chose faite. Comme disait feu Giscard, nul n'échappe à son destin.

1 commentaire:

Denise a dit…

Mon mari est fier d'avoir enfin convaincu le président Rikiki d'entrer dans la bibliothèque de l'Elysée. Il lui a promis de lire tout Victor Hugo avant le second tour. Coup de fil hier soir : enthousiaste, il venait d'entamer"L'Art d'être Grand-Perdant".