"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

lundi 28 juin 2010

Le fou du roi


Au petit déjeuner, dans son palace cinq étoiles, le maire d’une capitale francophone d’Amérique du Nord m’a demandé samedi pourquoi Denise, que j’appelle Nisa dans l’intimité, n’apparaît plus jamais sous cet affectueux diminutif dans mes billets. Sincèrement, il aura fallu qu’un ami traversât l’Atlantique pour que j’en prisse moi-même conscience. N’y voyons que cette pudeur maladive qui, tel un corset d’un autre âge, contraint chez moi une âme excessivement sentimentale, pour ne montrer jamais au monde que les rictus d’une atroce douleur, imputable aux baleines et aux lacets. 

Nisa, belle Nisa, le Québec m’avait libéré, vois-tu ! Loin des turpitudes nationales, nous y étions heureux comme les Hugo à Guernesey ou les de Gaulle à Londres. Qui sait, peut-être la légende des siècles à venir retiendra-t-elle que l’exil de la Belle Province m’a inspiré les plus belles pages de mes Cerises, dans quoi on consacrera mes Châtiments ou mes Contemplations, voire mes Mémoires de (na)guère ? Mais vous, chers Québécois, sachez que j’ai le mal de vous, qui serez toujours dans mon cœur Les Travailleurs de l’Amer. 

Refermons cette parenthèse privée, ouverte à son insu par mon vieil ami canadien avec qui nous venons de fêter le vin, délieur de langues depuis la plus haute Antiquité. Et revenons aux hauts et bas de l’actualité de ces derniers jours ; tout d’abord avec, en pleine page dans notre quotidien régional, l’Annonciation de ma candidature naturelle aux législatives de 2012, reprise par toutes les agences de presse internationales. Je suis homme de parole : conformément à mon engagement électoral, cette restauration symbolique me permettra enfin de me consacrer totalement à mes administrées et à mes administrés, qui bénéficieront de surcroît de la gratuité de mes déplacements dans la capitale, désormais à la charge de l’Assemblée nationale. 

Il va sans dire que, enfin rétabli dans mes droits de législateur, c’est bien volontiers que je renoncerai à ma modeste pension de retraite parlementaire, plantée comme une arête dans le gosier de ma pie-grièche. Soyons francs : puisque, contrairement à la règle que je me suis fixée, j’évoque par exception cet oiseau nuisible, je veux dire ici mon agacement qu’une page de notre quotidien régional lui ait été complaisamment consacrée cinq jours après la mienne, avec une énorme photo en couleur alors que je n’avais eu droit qu’au noir et blanc. De qui se moque-t-on ? Qu’avons-nous à faire des aigreurs de cette harpie qui ose se prendre pour moi ? Jusques à célébrer impunément chaque année l’anniversaire de son larcin comme un fait d’armes ! Croyez-moi, la justice serait bien inspirée de s’intéresser à cette chapardeuse, plutôt qu’à une pauvre octogénaire helvétophile. On dit que cette vieille femme très généreuse, qui refuse de régler bassement ses comptes comme notre agasse, possèderait une petite île dans l’océan Indien. Si, en contravention aux règles élémentaires du savoir-vivre, il venait à l’esprit du fisc de faire main basse sur ces deux ou trois cocotiers, je pourrais demander au petit roitelet d’y exiler mon usurpatrice, en prenant bien soin de lui couper une aile. 

A propos de roitelet, j’ai eu vendredi les honneurs de France Inter dans l’une de ses émissions phares, en direct de notre grand théâtre. Denise, dont on connaît la propension à la taquinerie, me dit que j’avais l’air aussi à l’aise dans Le fou du roi qu’un fou de Bassan à la Communion de Saint-Eloi. Croit-elle vraiment que Morus bassanus refuserait la Sainte Hostie avec le dédain du héron de La Fontaine ? Allons, il mettrait comme moi sa pudeur dans sa poche, camouflé derrière son nom latin. Oui, telle une fille de joie, j’ai serré les dents et feint le plaisir à l’évocation railleuse d’une ministre de Rikiki logeant sa famille dans un appartement de fonction. Je n’allais tout de même pas couper le micro de cet humoriste, comme si nous étions à la mairie ! Ou bien pleurer son limogeage, alors que j'ai moi-même dû "démissionner" naguère sans même m’être vertement attaqué, comme lui, au fondement du rikikisme. Je me suis donc fendu d’une éternelle citation de Voltaire, comme dans un grand oral de Science Po ou de l’ENA : "Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'au bout pour que vous puissiez le dire." Sauf en conseil municipal, évidemment.

1 commentaire:

Lectrice a dit…

A la une de Libé du 14 juillet : "Eric Woerth, l'homme qui encaisse". Alors Libé, on dit pas merci à monsieur Youpi ?