"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

jeudi 16 juin 2011

La Peste


Une seule sortie de Métropole cette semaine, et c’est d’Oran que j’adresse ce billet tardif à la ville et au monde, n’ayant point encore trouvé le temps de prendre la plume. Wahrān, ou El Bahia – La Radieuse – comme  on la nomme ici, dont le soleil généreux me chauffe le cuir chevelu derrière son léger tulle de nuages désolé Denise, je n’ai pu me résoudre à coiffer ton ridicule panama ! Oran que Camus refusa d’aimer parce que, roulée en escargot, elle tournait le dos à sa mer ! Un peu comme cette ville chérie dont je me languis qui, avant que je ne l’ouvrisse à ses quais toilettés en lui tendant un superbe miroir, dormait à l’hôtel du cul tourné avec un fleuve infréquentable. L’eût-il connue, ou son propre grand-père qui en était je crois originaire, peut-être Camus aurait-il aimé notre capitale, sans la pestiférer comme cette ville jumelle dont le maire que je suis est cet après-midi l’hôte prestigieux...

Forte émotion de fouler, depuis hier soir, un sol si proche à bien des égards de celui où une résolution de l’ONU qui m'est chère nous interdit de poser le pied pour le mettre au derrière d’un épouvantable tyran... Soyons francs : je comprends mieux aujourd'hui les difficultés insurmontables que Dieu éprouve à régler depuis le Ciel les problèmes de ce bas-monde… Comme je l’ai dit ce matin au président Bouteflika, et répété à la presse avec mon homologue Medelci, les relations de nos deux pays connaissent une « période de particulière embellie ». Si, si, quand bien même cette météo favorable s’obstine à éviter la Libye voisine, malgré une frontière par ailleurs inopportunément poreuse. Alors que mon visage demeurait impassible et ma langue de bois, je me répétais intérieurement le nom du Premier ministre, qui me semble résumer à lui seul la situation : Ouyahia !

Oran... Si mes pas m’ont conduit jusqu’à toi pour les affaires plus intimes de ma cité, n’est-ce pas aussi pour rappeler au ministre d'État stratège que La Peste est une allégorie de la guerre ? Dans la version contemporaine de ce fléau éternel, est-il exagéré de postuler que je suis le docteur Rieux des temps nouveaux, sauveur modeste et résolu du monde porté par une soif inassouvie d'amour de son prochain ? Pourquoi m’est revenue à l’esprit une sienne phrase, relue il y a quelque temps dans un vieux carnet où je l’avais notée d’une écriture encore jeune ? C’était hier, quand mon avion descendait vers cette terre de soleil qui demeure à jamais celle de Camus, bien qu'elle ne soit plus depuis longtemps la nôtre, à « cette heure du soir, qui pour les croyants est celle de l’examen de conscience, cette heure (...) dure pour le prisonnier ou l’exilé qui n’ont à examiner que du vide. » Prisonnier de rien n'ayant pas peur du vide, je n’ai fait que mon devoir ; ma conscience est tranquille, occupée à délivrer de sa chienne de vie une humanité meurtrie qui en appelle à la France !

A ce propos, étonnement d’avoir vécu près de soixante-six ans dans l’ignorance d’un caractère de chien ! Mais je ne mourrai pas idiot, grâce à un vieillard bavard à qui j’ai succédé jadis au Quai, il y aura bientôt vingt ans. Imaginez que le barbon incontinent m’a traité de bouledogue, avec les honneurs de notre quotidien régional ! « Un bouledogue qui réfléchit trop, jusqu’à l’erreur »… Il me permettra de garder ce petit manteau pour les temps de chien de l’hiver ! En attendant, je lui conseille de se mieux renseigner sur le caractère du molosse dans sa version française, qui me sied à merveille. Je lis en effet que, joyeux et joueur, cet animal « pot de colle » et dépourvu d’agressivité aime à être câliné par son maître et se dépenser un peu tous les jours. C’est mon portrait craché, croyons-en Denise ! Quant à l’erreur ma foi, ne dit-on pas qu’elle est humaine ? Que ce monsieur laisse donc les chiens tranquilles plutôt que de prétendre, à son âge, leur casser les reins avec une canne dont il eût mieux fait de menacer un Ivoirien à qui j'ai eu à faire.

Puisqu’il est question de vieux messieurs, me réjouis que, trottinant bon pied bon œil vers l’octantaine, l’ancien président de la République se soit prononcé sans ambiguïté pour ma candidature en 2012, en m’offrant de surcroît son prestigieux suffrage. Si j’ai suffisamment payé pour mériter cet égard suprême, le câlin du vieux maître n’en est pas moins doux à mon échine. Stupide à son accoutumée, la presse a regardé le doigt corrézien et non la lune du port, incapable de reconnaître en mon soutien un virtuose intact du billard à plusieurs bandes ! A peine, tel le corbeau perché de la fable, ce vieux renard a-t-il lâché à ces rats un candidat socialiste à pâte molle et au nom de fromage, que tous courent le grignoter en remuant la queue et se léchant les babines, jusqu’à ce qu’il ne reste rien dans la gamelle. Croyez-moi, les Françaises et les Français ne tarderont pas à comprendre que le bouledogue est un bien meilleur animal de compagnie que la petite peste dont ils ne supportent plus les aboiements continuels au Château ! Après tout, cette leçon vaut bien un fromage, sans doute.

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