"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

dimanche 3 mai 2009

Un nom de stade

Quelle joie et quelle liberté que de pouvoir défiler vendredi incognito dans les rues de la ville, sous de joyeux calicots, avec près de cinquante mille de mes administrés exaltés ! Comme au temps de ma jeunesse, Serge Reggiani chantait "Les loups sont entrés dans Paris", et moi, pas rasé, dissimulé sous une longue perruque grise, façon soixante-huitard impénitent porteur d’improbables Ray-Ban, je déambulais près de Marie-Agnès qui agitait son drapeau des MJS, telle la liberté guidant le peuple en tee-shirt. D’un coup, j’étais Gavroche en quête de barricade ! Dans cette communion festive, mes voisins de marche n’ont pas semblé s’étonner que je ne reprisse pas des slogans au demeurant sympathiques, non par respect de Razibus, il va sans dire, mais de crainte qu’on reconnût ma voix. Roussy m’a souri mécaniquement en me serrant la main, et j’ai carrément cru, un instant, devoir claquer la bise à ma pie voleuse, qui déjà me tendait les lèvres. Il y a tout de même des limites ! Grâce au Ciel, je profitai du passage de Mélenchon, en apparition souriante de christ rebelle, pour me précipiter vers lui et quémander autographe et bénédiction. A propos, qu’est devenue la jeune chienne de ma dame de pique, qui conduisait naguère les brebis socialistes en cortège ? Que n'était-elle de la fête pour me montrer les crocs ?


Denise me dit qu’il arrivait aux empereurs romains, tel Claude, de se mêler comme moi à la populace pour en prendre la température. C’était bien sûr avant l’invention du thermomètre. Il ne me déplaît pas, en ce 1er mai prometteur, de m’être inscrit d’instinct dans cette auguste tradition, sans en avoir la connaissance historique. Malgré mon règne sans partage sur la cité, je dois à la vérité de rapporter que, sous les fenêtres de l'hôtel de ville, mes compagnons de pavé ne m’honorèrent d’aucun refrain ou autre quolibet, leur imagination étant bien trop occupée au nain du jour. Il faut dire que nos travailleuses et nos travailleurs n’ignorent pas mon combat quotidien, silencieux mais résolu et acharné, pour sauver leur entreprise et leur emploi, à la fois d’une crise que personne n’a vu venir, et d’une politique absurde dont chacun peut mesurer les dégâts, quand bien même parfois il la soutient. Les populations laborieuses savent ce qu’elles me doivent dans leur malheur ; elles n’ignorent pas non plus mon expérience amère des licenciements et des lettres de motivation à quoi il n’est jamais répondu, malgré un C.V. d'exception. Nous sommes dans la même galère.


Oui, dans la même galère mais, à leur différence, "je ne regarde jamais derrière moi. Je regarde toujours devant. Je veux aller le plus haut possible." Pour les faire miennes, j’emprunte ces belles paroles à Souleymane Diawara qui, muni de ses souliers à crampons, attend avec gourmandise d'écraser ce soir les Sochaliens chez nous. Soyons francs : si j’étais le capitaine de pareille équipe, le charlot de la Lanterne serait relégué depuis longtemps en seconde division ! Hélas, par un étrange système de vases communicants, il semble qu’à tout jamais mes performances et celles de notre ballon rond dussent être contraires. Si nos joueurs gagnent, je perds, et inversement. Puisse au moins mon thème astral rétif, en ce terne printemps politique, permettre à nos footballeurs de laver bientôt l’affront toujours vif d’une capitale pagnolesque à prétentions européennes. Nous avons perdu Ford : il nous faut aujourd’hui transformer l'essai et battre Peugeot - je veux dire Sochaux - pour que jamais les nobles accents de l’Hymne à la joie ne puissent se mêler à celui de la Canebière, dans des relents de pastis à l'heure de l'apéro. Soyons sérieux : l'Europe et le football méritent mieux que Fernandel.


Tout compte fait, il ne reste donc guère aux Lyonnais que leur rosette ; autant dire que le pays n’a d’autre choix à cette heure que d’offrir la coupe de France à mes administrés. On me dit que Zouzou lui-même y serait résolu, ayant négligé en juillet dernier d’étendre le champ constitutionnel de ses prérogatives au football, malgré l’insistance de Jack Lang. Double championne de France cette année, il est légitime que notre ville soit récompensée par la construction d’un second stade, de sorte à tenir son rang lors de la coupe européenne de 2016. Nous allons mettre sans tarder cette grande réalisation en chantier : je m’engage solennellement à revenir de Paris avec la première dame digitale de France pour son inauguration officielle. Pensez que notre grande métropole sera la seule de ce pays, d’Europe et du monde à compter alors deux stades d'envergure dont chacun portât le nom d’un ancien maire Premier ministre. L'un, encore vivant, étant de surcroît président de la République. Oui, Souleymane, je suis disponible pour servir. Droit au but, jusque là-haut ! Devine qui va dégager en touche...

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