"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

dimanche 10 mai 2009

Vinaigritude


En reprenant hier soir, sur ma table de nuit, Le nègre de Surinam*, me suis demandé si des pygmées ont jamais été embarqués par nos armateurs vers les Antilles, pour empiler deux fois plus d’esclaves dans la cale des navires... A propos de pygmées, le nôtre n’aurait pas pris beaucoup de place ce matin dans les salles de l’ancienne faculté de lettres, mais on le dit farouchement opposé à l’esclavage que représentent ses obligations officielles en ce mois de longs week-ends. Arraché à contrecœur à la Côte-d’Azur, il a donc applaudi en vitesse hier soir des Bretons de couleur sur le gazon du stade de France et, la coupe étant pleine, basta pour la commémoration !


Il me déteste ? Il me snobe ? Qu’importe ! Mes administrés et moi-même nous sommes très bien passés de Sa Petitesse pour inaugurer entre nous ce matin, dans notre beau musée, les nouvelles salles dédiées à la mémoire de l’esclavage. Quelques ministres s’étaient joints à nous - qui sans doute pointeront bientôt au chômage en travaillant au black -, dont une femme d’intérieur venue en voisine, qui nous a délivré un discours à la fois convenu et convenable. Soyons francs : j’aimerais parfois avoir plus de mérite à briller que devant pareil aréopage, mais les grandes pointures sont si rares au sommet du pouvoir qu’on est souvent, hélas, le seul à s’y apprécier à sa juste valeur !


Inutile de dire que mon agaçante agasse était là, dressée sur ses petites pattes, feignant de ne toujours pas comprendre que, illégitime, elle est interdite d’existence et de photo en présence du vrai député de la deuxième circonscription ! Je dois cependant avouer ne pas l’avoir vue personnellement : qu’elle me pardonne et soit félicitée pour sa remarquable transparence. Denise m’assure en revanche avoir aperçu une députée radicale de gauche et de couleur, dont le nom évoque vaguement celui d’une loi ; la dame aurait franchement pu s’épargner le voyage entre la Guyane et la Guyenne, au prix que cela coûte. D’autant qu'elle se serait plainte qu’on ne soit pas allé la quérir à l’aéroport. A quoi sert donc la navette ? Comme me l’a fait remarquer un grand nom du rhum, ces gens-là ne sont jamais contents : ils se plaignent si vous allez les prendre chez eux, mais râlent encore quand vous négligez de les accueillir chez vous. Quoi que vous fassiez, ils vous cassent du sucre sur le dos et n’obéissent en fin de compte qu’à la canne ! Voilà comment, ingrats, ils vous remercient de leur sacrifier une journée annuelle de printemps ! Le buste de Toussaint Louverture ne leur suffit pas ; vous verrez qu’ils exigeront bientôt que soit donné le nom d’Aimé Césaire à notre futur pont levant, dont le passage sera soumis à un péage vocal, chaque conducteur étant contraint de demander pardon pour que s’ouvre une barrière !


Il paraît que dehors, pendant que nous officiions autour de la négritude enchaînée, d’aimables CRS donnaient allègrement sous la pluie un peu d’exercice à quelques manifestants mal informés, réunis là en pensant que nous célébrions les sans-papiers. Tout le monde peut se tromper, et cette petite bousculade a finalement donné une note festive à une commémoration, avouons-le, par ailleurs un peu austère.


Allègrement : je ne croyais pas si bien dire ! Je lis à l'instant dans le journal que le chasseur de mammouth ferait actuellement ses exercices d’échauffement en public, en vue d’une entrée imminente au gouvernement, exhibant déjà un gros portefeuille : commerce international et industrie, excusez du peu ! C’est une humiliation ! Pourquoi le pygmée qui m’a boudé ce matin offre-t-il sur un plateau à cet éléphant grossier, friand de magasins de porcelaine, ce qu’il s’obstine à me refuser contre l'intérêt général ? Cela ne tourne pas allègre mais au vinaigre ! Mon destin et celui de notre cité ne sont-ils pas finalement inscrits dans ce mot acide, qui dit à la fois le vin et la négritude ? En toucher deux mots à Tillinac.

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* Dans le Candide de Voltaire : « En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus que la moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite. « Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais-tu là, mon ami, dans l'état horrible où je te vois ? - J'attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre. - Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t'a traité ainsi ? - Oui, monsieur, dit le nègre, c'est l'usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l'année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait : " Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux, tu as l'honneur d'être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère. " Hélas ! je ne sais pas si j'ai fait leur fortune, mais ils n'ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous. Les fétiches hollandais qui m'ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d'Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains. Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas en user avec ses parents d'une manière plus horrible. »


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