"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

lundi 8 février 2010

La grande roue dévoilée


Immense fierté d’avoir enfin présenté, dans ma gazette, mon ambition de faire de cette ville une grande cité "digitale", comme on dirait de certaine femme ! Qu’est-ce qu’une cité digitale, me demandera-t-on ? M’apprêté-je à remplir les parterres des quais de gants de bergère, de queues-de-loup et autres queues-de-renard ? Non, je vous rassure, même si Digitalis purpurea est il est vrai réputée pour les glycosides de ses feuilles, cardiotoniques durables dont l’acquisition grèverait moins les finances municipales que ces défibrillateurs, aussi inesthétiques qu’inutiles, dont une misérable doctoresse fourvoyée en politique voudrait qu’on les disposât gracieusement partout dans la ville. Avec un peu de propagande, il suffira de convaincre mes administrés de s’offrir un petit sachet de graines à la jardinerie du coin, pour faire pousser ces salubres digitales sur leur balcon, plutôt que des plantes illicites qui finissent toujours, comme on sait, dans les fumées de paradis artificiels bien trop riches en CO2. 
 
Mais revenons à ma conception visionnaire de la cité digitale, qui va bien au-delà de simples préoccupations botaniques ou sanitaires. Soyons francs : au risque de déplaire, il s'agit pour moi d'une cité qui obéit au doigt et à l’œil à son maire ! Au doigt plus qu’à l’œil du reste, avouons-le, tant la pression fiscale demeure ici importante, malgré nos efforts loués pour la maintenir coûte que coûte à un niveau constant, nonobstant le remboursement des dettes abyssales d’un prédécesseur indélicat, sanctifié sans vergogne par ma gazza ladra. Il m’apparaît de plus en plus clairement, en effet, qu’une ville ne peut-être gouvernée durablement si ses élus sont sans cesse harcelés, contestés, insultés à chaque décision, qu’il s’agisse de construire le moindre pont, le moindre stade ou le moindre quartier d’affaires. C'est qu'à mon âge, voyez-vous, on n'a plus de temps à perdre !

Qu’on me comprenne bien : donner un avis sur tout, en toute circonstance, remettre en cause chaque jour un mandat qui m’a été remis pour six ans dans les règles, cela porte un nom : le déni de démocratie ! Faisant fi de ma propension naturelle au dialogue et à la concertation, j’en appelle aujourd’hui solennellement à l’obéissance civique et à l’esprit de discipline ! L’administré n’est après tout qu’un soldat du rang soumis aux ordres ; jamais je n’admettrai qu’un quarteron d’opposants à la retraite se missent en travers de mes projets, appelassent les populations à la rébellion ou, pire encore, refusassent de cracher au bassinet ! In vino veritas : ils se sont enfin démasqués ! J’exige que l’assemblée du peuple, où je demeure hélas scandaleusement interdit de séjour, inscrive dans la loi le droit imprescriptible des communes chefs-lieux de département et de région à la réquisition des fonds de ces collectivités territoriales ! 

A ce propos, ne sommes-nous pas après tout la capitale européenne d’où, sans débourser un euro, Roussy pourra demain peut-être, grâce à moi, balayer du regard l’ensemble de sa région, de l’océan jusques à ses sommets les plus majestueux, et de la main un ministre battu, renvoyé à Paris au Travail ? C’est très sérieusement ce que me propose un promoteur privé un peu fou, avec l’installation ici de la plus grande roue du monde (deux cents mètres de diamètre, rendez-vous compte !), sorte de passerelle Eiffel se mordant la queue, agrémentée de nacelles transparentes en forme d’œuf pour faire tourner les passagers. J’avoue être tenté, prêt à m'exposer aux sarcasmes des langues de pie vipérines qui déjà raillent ma prétendue mégalomanie. Deux cents mètres tout de même, vous imaginez la hauteur ! Voilà de quoi rendre jaloux Razibus, dont je pourrais surveiller facilement d’ici le palais à la jumelle ! 

Ce matin au petit déjeuner, c'est Denise qui avait attiré mon attention sur l’article consacré à cette folie grandiose, me promettant entre deux caresses digitales de sonder – avec doigté, il va sans dire – deux ou trois dames des beaux quartiers, occupées à quelque œuvre d'auto-bienfaisance. L’une d’entre elles, vient-elle de me rapporter au téléphone, nostalgique aigrie de mon prédécesseur oublié au nom de petit stade, n’a pu s’empêcher de persifler entre les dents de son râtelier : "Cette pauvre ville s’est donnée à un paon ; il fallait bien qu’il finisse par lui faire enfin la roue, c'est la moindre des choses !" Oui, gente dame, ne vous déplaise ! Ma maudite pie l'a bien compris qui, toujours dans ma roue, essaie de nous faire le coup de la paonne...

1 commentaire:

Maurice R. a dit…

Il me semble avoir vu l'infante, pleine de vie, se pavaner en boléro...