"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

mardi 16 février 2010

Les voies de la sagesse


Un voyage en avion à l’œil au bout de l’Europe et trois cents euros d’argent de poche, c’est ce qu’ont récemment gagné deux cents philosophes à la cérémonie des Oscar. Croyez-moi, ils étaient joyeux de mettre ce matin aux aurores le cap sur Sofia, à la faveur d'un vol affrété spécialement pour eux par l’Etat, au départ de notre bel aéroport international. Pourquoi des philosophes, s’interrogera-t-on ? Ces gens se rendaient-ils à un symposium bulgare sur les Roms ? Non, il ne s’agit en rien de cela. Rappelons-nous qu’en Grèce, pays voisin de la Bulgarie, la philosophie est l’amour de la sagesse, qui se dit "sophia" comme on sait : σοφία… Ah ! Dirai-je jamais la nostalgie de mon agrégation de lettres classiques, titre cruellement sacrifié à la Res publica, par pur amour de mon prochain ! Dans cette affaire, ai-je bien été sage ? 

En bref, c’est donc parce qu’ils préfèrent Sofia à notre ville, mal chauffée en hiver, que ces touristes roms ont demandé à la France, où ils s’étaient trop attardés, de les rendre à la douce chaleur de leur terre natale. Qu’importe s’ils reviennent, comme le prétend sans preuve, par pure malveillance, telle pie-grièche qui jamais de sa vie n’a migré, même au plus froid de l’hiver ! Saluons plutôt l’attention de l’Etat, sa générosité, son altruisme : son action humanitaire. Pour tout dire, je suis fier que l’argent du contribuable soit ainsi utilisé à rendre à leur chère patrie des hommes, des femmes et des enfants volontaires, quoi qu’il en coûte à la Nation hospitalière. Et si la chose est provisoire, au moins nous laissera-t-elle le temps de raser tranquillement quelques squats insalubres, sans avoir sur le dos l'habituelle poignée d'associatifs hargneux et vindicatifs. Réjouissons-nous que, fidèle à la promesse de son baptême révolutionnaire, la France demeure le pays des droits de l’homme à retourner chez lui, fût-ce pour y retrouver sa misère. 

Pour changer de sujet, parlons de ma Tétine, une fois n’est pas coutume. C’est là le gentil surnom qu’à la mairie nous avons donné à ma dame de pique, depuis qu’elle m’a chanté à la télé le célèbre refrain d’Andrex, de Montand et de Brel, "Tétine, je cherche après Tétine". Soyons francs : c’est moi que cherche cette harceleuse infatigable, jusque dans le biberon des bambins de nos crèches ! Il ne lui suffit pas d’exiger une mammographie de tous les tétons de la ville : elle veut m’imposer maintenant le contrôle des tétines ! A moins – je ne sais plus très bien à vrai dire car je ne l'écoute guère – qu’il ne s’agisse des biberons en plastique, présumés dangereux pour la santé des marmots de nos crèches. Croit-on vraiment que je n’aie rien d’autre à faire en ces temps de crise ? Que les responsables de crèche prennent leurs responsabilités, voilà tout ! Nous avons des lois dans ce pays : si ces gens contreviennent à la législation sur les biberons ou sur les couches, la garde à vue n’est pas faite pour les chiens, quoi qu’en dise ma pie cynophile ! 

A propos de garde à vue, je tiens à témoigner de mon total soutien aux forces de police, tout particulièrement dans cette ville. On se plaint suffisamment qu’il leur arrive de perdre de vue les coupables pour se féliciter, sans hésitation aucune, que la garde à vue soit à la police ce que le garde-à-vous est à l’armée : une discipline, un principe républicain. Quant à s’insurger contre les menottes passées aux enfants, je demande aux parents pourquoi ils leur en offrent parfois à Noël, fût-ce dans une inoffensive panoplie ! Au lieu de contester qu’on attache un adulte ou un enfant à un radiateur, voyez-vous, il conviendrait de s’assurer plutôt que le radiateur fût allumé, eu égard à la rigueur inhabituelle de l’hiver, surtout si la personne n’est vêtue que d’un léger pyjama. Nous avons eu chez nous le premier sans-abri français mort de froid cet hiver : reconnaissons qu’il serait peut-être encore vivant s’il avait eu la chance d’être placé en garde à vue, bien au chaud, même sans confort. On serait sans doute étonné de savoir combien de vies ont ainsi été sauvées, sans bruit, grâce à cette solide coutume nationale. 

Alors oui, je vous prends au mot, madame ! Friand de records, je suis prêt à accueillir, à revendiquer, à célébrer dans cette ville le millionième gardé à vue de France, qui ne saurait tarder au train où vont les choses - pour autant qu’elles n’empruntent pas les TER de Roussy, jamais à l’heure ! De sorte à éviter toute discrimination, l'idéal serait qu’il s’agît d’un non-voyant, les aveugles ayant droit comme tout le monde à la garde à vue. Il va sans dire que j'ai aussi une pensée particulière pour les culs-de-jatte qui, la nuit dans leurs rêves de garde à vue, à n'en pas douter, tendent désespérément bras et jambes en suppliant qu'on leur passât les menottes.

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