"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

vendredi 5 mars 2010

La digue, la digue !


Qu’on me dise quelle Perrette, se voyant déjà président de la République, n’est pas allée cette semaine tâter la croupe des vaches au salon télévisé de l’agriculture ! Est-ce cette actualité pathétique qui, se télescopant avec une autre plus dramatique, a réveillé dans mon esprit une image terrifiante de bovidés en mouvement, remontant à mon enfance landaise ? C’était dans Le tour du monde en 80 jours. J’ai aussitôt demandé à mon bataillon de collaborateurs durables d’aller sur le champ, à bicyclette, me quérir le passage dans quelque bibliothèque municipale. Voici ce qu’écrivait Jules Verne, fidèlement recopié par l’un de mes Passepartout sur une page arrachée à son petit carnet à spirale : "Quand les bisons ont adopté une direction, rien ne pourrait ni enrayer ni modifier leur marche. C’est un torrent de chair vivante qu’aucune digue ne saurait contenir." L’enfant en frémit encore, comme il y a plus de cinquante ans déjà à l'ombre des pins, dans ses chères Landes où, l'oreille au sol tel un Indien d'Amérique, il croyait entendre le roulement sauvage des bovidés vers la demeure familiale.

Quel effrayant troupeau de bisons que celui qui vient de rompre nos pauvres digues, rappelant à la raison une humanité qui prétend avoir dompté le monde ! Quel pauvre troupeau aussi que celui de ces quelques veaux maigres qui se voient déjà en haut de l’affiche, vaguelettes infatuées, persuadées qu’aucun obstacle ne saura leur barrer le chemin de l’Elysée ! Jusqu’à ce Premier ministre au charisme de lave-vaisselle, qui ose s’aventurer hors de sa souillarde pour défier Razibus en s'imaginant diriger demain la France ! Quels sont donc ses états de service ? Et quelle sa vision du monde ? Passe encore que, dans un décor de crèche parisienne, un noble bison blessé rumine sa haine vengeresse contre le boucher qui l’avait hâtivement promis au croc de sa chambre froide, mais un veau triste élevé à la farine, tout de même, il y a des limites ! Quel ridicule ! Il n'est même pas président du conseil.

Soyons francs : nul n’ignore qu’un seul homme politique d’envergure est aujourd’hui en mesure de sauver ce pays de la faillite, pour l'accrocher tel un phare à la proue de l’Europe et du monde. Une personnalité visionnaire, il va sans dire, rompue à la direction des affaires avant qu’on réduisît Matignon aux communs de l’Elysée. On peut railler mon goût romain pour le gigantisme des ponts et des stades, mais c’est pourtant bien un Lion bâtisseur qu’il faut à la France comme à cette ville, pas un Poisson froid de province farci de rillette et de chant grégorien. Croyez-moi : on ne l’a pas vu encore cette année au cul des vaches, celui à qui les Françaises et les Français confieront en 2012 leur destin dans les urnes !

Mais au fond, il est assez normal qu’en politique comme en littérature, en musique, en amour – où sais-je encore ? –, l’homme se rêve en un torrent de chair vivante qu’aucun barrage ne saurait contenir. Il n’y peut rien, c’est sa nature. Combien cependant d’œuvres inachevées ou insipides, de lecteurs, de mélomanes ou de femmes déçus, demeurés sur leur faim ! Combien de ruisselets insignifiants, morts de soif aux premiers rayons du soleil ? La Charente-Maritime, la Vendée, la Loire-Atlantique viennent de payer au prix fort la folie irresponsable des hommes mais, comme me le rappelle un vieil ami du coin à l’esprit carabin, nombreuses sont les digues qui peuvent continuer de dormir tranquilles entre Nantes et Montaigu !

Croira-t-on à ce propos que, médecin intérimaire au palais Bourbon, mon agaçante agasse était elle-même hier occupée de "torrents de chair qu’aucune digue ne saurait contenir" ? C’est en tout cas ce que relate ce matin notre quotidien local : ladite doctoresse a tenu chez nous conférence de cinq à sept, avec une personne de mauvais genre, si je puis dire. Qu’on ne se méprenne pas : le genre est aujourd’hui au sexe ce que la température ressentie est à celle du thermomètre, souvent trompeuse. Si je comprends bien en effet, les transgenres, longtemps nommés à tort transsexuels, sont  des personnes dont le torrent du genre a réussi à rompre les digues du mauvais sexe avec quoi elles ont été mises au monde. Cette dure victoire mérite un profond respect ; elle n’est pas à la portée du premier homme politique venu.

Eussé-je été informé de cette conférence, je n’aurais pas manqué d’y dépêcher Denise avec quelques questions intéressées. Loin de moi l’idée de faire un quelconque coming out mais, au plus profond de mes entrailles et de mon cerveau, je me sens, depuis ma plus tendre enfance – avant  même l’âge de raison, autant qu’il m’en souvienne –, appartenir au genre président de la République. Je confesse sans honte que l’état de maire ou de député n’est pour moi qu’un pis-aller, un état d’emprunt à quoi jamais je ne me résignerai, quand bien même je puis y être contraint. Seule mon empreinte importe, qui est irrévocablement présidentielle. Au diable mon corps d’origine, crie en moi le fonctionnaire à la retraite ! Mon genre ne pourra s’épanouir un beau printemps que dans la magistrature suprême. Je n'ai plus rien à perdre : qui osera s'aventurer politiquement sur mes terres inondables sera piétiné à mort par mes bisons !

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