"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

dimanche 3 octobre 2010

La Baba aux Roms


Peu préparé aux plaisirs de la nuit par une sévère enfance de pinède, toujours je me suis couché de bonne heure. Je n’en eusse pas moins dû faire une entorse à cette règle hier soir et écouter Denise, pressée qu’elle était de rejoindre la capitale pour y faire la fête comme une folle, jusqu’aux petites heures du matin. Nuit blanche en effet pour moi, à ruminer l’herbe amère de Razibus dans cette ville de province, telle une vache inestimable de la Cow Parade humiliée d'être boudée par les enchérisseurs. Incapable de se résoudre à sélectionner les meilleurs pour conduire son équipe à la victoire, le capitaine du paquebot France n’est même pas celui du Titanic,  tout au plus quelque Raymond Domenech échoué au cap de Mauvaise Espérance. Qu'il ne compte pas sur moi pour jouer comme arrière !

A propos de football, on ne peut pas dire que j’en sois moi-même à un stade très avancé. Il est tout de même ahurissant qu’on ne vous construise plus de nos jours une pelouse entourée de gradins pour moins de deux cents millions d’euros ! De qui se moque-t-on ? C’est à se demander si Rikiki n’a pas soufflé à ses copains du BTP de me botter en touche ! Quant au père Grandet de l’assemblée départementale, je me demande comment ses vieux doigts crochus peuvent encore à la fois tenir fermement serrés les cordons de sa bourse et les accoudoirs de son siège. Une bernique avare et bornée, voilà ce qu’il est ! Et si je m’engageais à donner son nom à mon grand stade?

Si le président à vie du conseil général n’a guère plus de chances d’être désincarcéré de son fauteuil que moi de redevenir Premier ministre, il y a un réel danger que ma pie voleuse, elle, se fasse chaparder en mars son mandat de conseillère du deuxième canton. Soyons francs : au risque d’étonner, je n’y tiens pas, bien au contraire. On arguera que cette militante notoire du mandat unique pourrait ainsi soulager sa conscience et se consacrer corps et âme, sans cumul inutile, à son fauteuil de parlementaire. Certes, mais à ce détail près qu’elle n’en est pas la titulaire officielle ! Quand je regagnerai l'Assemblée en 2012 après son ridicule intérim, je tiens au plaisir de savourer la déchéance de cet oiseau de malheur, dès lors cantonné à un petit mandat subalterne, loin des ors de la République ! Honnêtement, qui oserait m’accuser de lui opposer pour cette compétition cantonale l’ampoule la plus brillante du sapin de Noël municipal, comme diraient nos amis d’outre-Manche ?

Sautons de l’âne au coq. Le hasard a voulu que je déambulasse discrètement, hier, dans le jardin de l'hôtel de ville quand se terminait, de l’autre côté des grilles, le défilé épars de ceux de mes administrés qui font passer le confort d’une retraite prématurée avant l’assainissement des comptes de la Nation. Cette engeance mérite-t-elle qu’on continue de se sacrifier à soixante-cinq ans  passés pour assurer l’avenir de sa misérable descendance ? Parfois, je me le demande. Entre moi, tous ces livres que j’aurais le loisir d’écrire si je n’avais l’intérêt de l’Etat chevillé au corps ! La suite de mes Cerises, par exemple, que des lecteurs affectueux me réclament avec insistance, déplorant pour certains que je n’aie pas remplacé Alain Baraton dans la grille de rentrée de France Inter… Et toutes ces tentations de Denise ! Dites, est-il déjà trop tard pour partir à la recherche de mon temps perdu ? Toujours cette émouvante nostalgie de mes discussions littéraires avec François Mitterrand… A qui viendrait-il à l’idée de les poursuivre aujourd’hui avec un Hun inculte et ridicule, avide de pouvoir et, de surcroît, à moins de trente pour cent dans les sondages !

Après le passage des manifestants, aperçu une vieille mendiante d’Europe orientale qui demeurait plantée au milieu de la chaussée, comme passée à travers les mailles trop lâches de leur filet. L’ai hélée depuis les grilles pour mettre vingt centimes dans la dextre usée que déjà elle me tendait en me remerciant de la tête, comme ces vierges d’église de mon enfance, après qu’on eut glissé une pièce dans leur socle. Saisi tout à coup d’un sentiment de malaise en la voyant derrière ces barreaux. Lequel de nous deux était-il le vrai prisonnier ? Comme elle s’éloignait sur le trottoir sans lever les pieds, ai souri en pensant que, d’une certaine façon, cette vieille femme était la baba aux Roms. Une babouchka aimée de ses petits enfants dans quelque squat de l’autre rive. Envie irrépressible, tout à coup, d’un éclair au chocolat.

1 commentaire:

Jeune fille en fleur a dit…

C'est pas souvent qu'on vous voit vous balader comme ça en Marcel, M. Youpi. A ce train-là, vous allez finir à la Culture !