"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

vendredi 21 janvier 2011

Innovator


 
Soyons francs : nous avons sans doute mal apprécié le degré d’exaspération des Tunisiennes et des Tunisiens, confiants que leur mauvaise humeur ne serait qu’un feu de paille bien vite maîtrisé par le président Ben Ali. A ceux qui prétendent nous jeter aujourd’hui la pierre, je rappellerai seulement un proverbe de ce beau pays : « Ne sent la braise que celui qui marche dessus ». Nous n’avons rien senti ? C’est qu’absorbés loin de là par la campagne des cantonales, nous avons nous-mêmes les pieds sur des charbons ardents ! A vrai dire, quelle narine eût pu trouver une fragrance pré-révolutionnaire au jasmin qui depuis toujours parfume nos villégiatures ? Honni soit qui Mali pense : mon nez était un peu bouché par les sables du désert.

« Quid de cette chargée d’affaires qui lui semblent fort étrangères ? », me demandait ce matin un diplomate nostalgique de mon lustre au Quai d’Orsay. Je crains hélas que, confondant intérieur et extérieur, notre ministresse policée ne survive guère à ses offres de service au fuyard ! Qu’on ne se méprenne pas : loin de moi l’idée de couler sa barque, aucun de nous n’ayant vraiment pris garde à la montée des eaux. Au spectacle de son naufrage, ne m'en revient pas moins un autre proverbe de là-bas : « La vieille emportée par l’oued dit sans cesse : cela va être une bonne année ». « A l’ ieau, Marie ! », comme on dit dans les campagnes d’oïl. Meilleurs vœux, Chère Amie ! Bien le bonjour au Proche-Orient !

Oui, à quelque chose malheur est bon, comme l’enseigne cet adage, au moins de ce côté-ci de la Méditerranée : presque débarrassé de ma concurrente collet monté, ministre régalienne à vie quand à de plus valeureux fut imposé l’exil, je me délecte désormais du miel des enquêtes d’opinion. Grâce au Ciel, il n’en est aucune qui n’annonce la pire débâcle au grand Rikiki, à croire que même une chèvre du Poitou l’enverrait dans les choux en 2012 ! Je connais mon Petit Poucet ; n’ayant ni mon fairplay ni ma force de caractère pour affronter ce genre d’humiliation, il se gardera bien d’aller au casse-pipe dans un an, je vous l’assure ! La politique ayant horreur du vide, les Françaises et les Français, qui l'ont compris, déjà me font faire un bond fulgurant dans les sondages ! Mon baromètre s'emballe ! Ne croirait-on pas mes bottes devenues de sept lieues ? Reclus naguère dans cette ville contre mon gré, je serai dans un peu plus d’un an hôte de l’Elysée ! Qui l’eût cru hier encore, à part Denise et moi ? Allons, l'année chinoise du Lapin me donne un moral de chasseur : ce n'est plus une fable !

D’entretiens et de tribunes en sondages, ne suis-je pas en effet le phénomène médiatique de ce début d’année dans le monde ? Par humilité, je ne citerai ici que le magazine américain Wine Enthusiast qui me remettra lundi à New York, par procuration, le trophée d’Innovator of the Year pour l’ensemble de mon œuvre de renaissance municipale. Alain le magnifique est célébré aux États-Unis – Mecque des primaires présidentielles ! – comme un Médicis des temps modernes ! Qui connaît seulement là-bas le nom de stade de mon prédécesseur oublié, dont notre ridicule agasse s’apprête à affubler un malheureux collège ? Manœuvre ô combien dérisoire quand tous les bookmakers d’outre-Atlantique donnent mon caniche gagnant sur le deuxième canton ! Nonobstant leur palais familier du bourbon, les Américains ont compris avant tout le monde que ce gentil toutou est pour moi la première marche de l’Elysée, non point de l’Assemblée nationale ! Leur trophée sera demain mon sceptre !

D’ici là, je consacrerai bien sûr entièrement mon temps libre aux affaires de Défense dont j’ai la lourde charge, notamment pour mener tambour battant la réforme des armées, sabre au clair ! A ce propos, ayant pris à Paris le thé avec la femme d'un adjoint municipal, Denise me rapporte en pouffant une bien stupide confidence. Ledit époux aurait éclaté de rire en lisant récemment Le Monde, dans quoi j’évoquais la nécessité d’une avancée dans le domaine de la concertation, « sujet difficile dans les armées ». Propos grave, qui ne prête pas plus que moi à la rigolade, on en conviendra. « Crois-en mon expérience, aurait commenté l’ingrat hilare à l’épouse bavarde, la décision est déjà prise. Les militaires auront tôt fait de comprendre qu’avec leur ministre il n’est jamais question que de concertation a posteriori. »  Qu’y a-t-il là d’incongru ? Plutôt que de me railler devant sa péronnelle, je suggère à ce boute-en-train de concerter son Robert !

2 commentaires:

Jacques A. a dit…

Youpi, après avoir été des années Poulidor, te voilà devenu le Bernard Inno de ce gouvernement ! Si tu te casses pas la gueule avant les Champs-Élysées...

Portugaise dessablée a dit…

Du côté du gouvernement, si je comprends bien, c'était pas la révolution du jasmin mais plutôt la révolution des œillères !

P.S. Les œillères, c'est pas le truc dans lequel on met les œufs des fois ?