"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

dimanche 16 janvier 2011

L'indignation



Malgré l’insistance de Denise, un emploi du temps chargé urbi et orbi ne m’a pas laissé le loisir de parcourir avant ce matin l’opuscule qui, à la faveur des fêtes, a redonné à notre pays le goût de l’ire à bon marché. Je veux bien sûr parler de l’engouement de mes compatriotes pour un vieux monsieur dont le nom va me revenir, qui nous sucre les fraises en hiver. Grâce à son succès de librairie, combien ont dû s'indigner de ne trouver dans leur soulier de Noël qu’un cadeau à trois euros, à peine plus épais que son papier d’emballage ! On ne saurait mieux se moquer du monde en faisant du beurre. La crise a bon dos !

Lu entre deux tartines au petit-déjeuner, cet appel à l’indignation générale m’a laissé sur ma faim. Il est de l’autre siècle, comme les sous-pulls, la semaine de trente-cinq heures, les quarante-cinq tours et la retraite à soixante ans. Le monde du troisième millénaire est bien trop complexe pour qu’on le laisse traîner entre les mains d’hommes du passé, plus pressés d’épater la galerie que de regagner leur EHPAD. Soyons francs : la France a mieux à faire  que de démarrer l’année sous les auspices d’un vieillard ! Qu’elle retrousse donc ses manches plutôt que ses babines ! Qu’elle se dépense au travail plutôt qu’en indignations ludiques et stériles ! Résister, dit-il ? N’est pas le Général qui veut et Noël tombe rarement un 18 juin. Résister, c’est créer une entreprise, pas attendre la retraite au chômage en rêvant à la Libération !

Comme je l’expliquais ce matin à Denise, l’indignation exige une éthique, une philosophie  ouverte sur l’avenir et non point tournée vers le passé. Homme du XIXe siècle pourtant, Stendhal me paraît à cet égard beaucoup plus moderne que cet HesselSL, première et dernière lettres du nom du maître, comme vidé de toute substance ! Dans sa Filosofia Nova, Beyle nous fournit en effet une définition autrement plus seyante que celle du vieux racoleur des consoles de supermarché : « L’indignation, écrit-il, est le déplaisir que nous cause l’idée du succès de celui que nous en jugeons indigne. » Peut-on mieux dire les choses ? Dans cette judicieuse acception, je suis bien sûr un homme indigné à l'extrême, prêt à voler dans les plumes de l’indignité, au chef-lieu de canton comme à l’Assemblée nationale !

A voir l’actualité de ces derniers jours, ne croirait-on pas que la brochure subversive du vieil Hessel a déjoué les filets de la censure au Maghreb ? Ainsi à Tunis, où l’indignation juvénile a eu raison dans la rue d’un régime ami. C’est que, quand la faim l’emporte au ventre sur la peur, le droit a souvent bien du mal à résister à l’impatience des peuples. Occupé à l’installation de notre boutique Caza sur le deuxième canton, j’avoue cependant n’avoir pas suivi de très près ces derniers jours l’actualité internationale. Je n’en sais pas moins à quel oiseau haï j’offrirais volontiers à mon tour un vol simple pour l’Arabie Saoudite, seul pays capable à mon sens d'imposer un silence religieux à ses jacasseries. « La haine est sainte, écrivait Zola. Elle est l’indignation des cœurs forts et puissants, le dédain militant de ceux que fâchent la médiocrité et la sottise. » Nous sommes bien d'accord. Puissent Allah, Hessel et Saint-Pie X entendre l'auteur de J'accuse  !

A propos de mon occupation, deux mots de l’inauguration de la permanence de notre Linotte, rebaptisée Audrey Toutou depuis que nous l’avons mise en vitrine pour les soldes. Me voyant très présent dans la ville et dans le monde, une jeune militante peu farouche m’a demandé à quoi je pouvais bien occuper mon temps avant de réintégrer le gouvernement. « Sans doute à répéter que je n’accepterais jamais plus de portefeuilles ni de cerises en hiver », lui ai-je rétorqué avec agacement par boutade ! Plus sérieusement, avouerai-je que je me suis moi-même posé la question en Asie, en Afrique et à Paris comme dans cette ville ? C’est que le service de l’État et celui de la cité sont assurés par des gens de maison, sans qu’on n’ait jamais à balayer soi-même le sol ou les dossiers. « Pour un homme organisé, répétait dans ma jeunesse un ministre cumulard depuis longtemps disparu, trois casquettes sont plus faciles à gérer qu'une femme et deux maîtresses. » Il n’avait sans doute pas tort. « Et on peut jouir du cumul en politique sans risquer l’épectase », ajoutait-il goguenard en évoquant un défunt cardinal. A mon âge, ce n'est pas rien.

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