"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

vendredi 29 avril 2011

La scierie


Mystère des mots et des formules de l’enfance qui, enfouis sous les strates épaisses de toute une existence, remontent toujours à la surface comme de petites bulles d’air… Ainsi récemment d’une expression de ma grand-mère landaise, alors qu'à la faveur d’une pause méridienne dans le salon de la rotonde,  je m’assoupissais avec délices sur un énième article dénonçant l’enrichissement des riches : « long comme un jour sans pain ». Miracle et magie que la mémoire des odeurs ! Ce n’est pas celle du fournil qui envahit aussitôt mes narines mais un parfum familier de grumes, d’écorce et de résine… Jusqu’à  ce que sa maîtresse le corrigeât dans une rédaction, l’enfant gascon que j’étais crut en effet longtemps que le pin dont la privation étirait sans fin les journées de l’aïeule était l’arbre de la pinède. Il faut dire qu’il rythmait son quotidien, de l’angélus du matin à la prière du soir au Père avant le coucher, sans parler d’interminables parties de cache-cache dont je rentrais poissé de résine et les cheveux plein d'aiguilles.

A en croire ma grand-mère, la vie n’était pas sans danger au milieu de cette immense forêt sans feuillage que les étrangers prétendent monotone. Non point qu’elle craignît que son petit-fils préféré pût rencontrer quelque Isengrin en mal de chair tendre, de galette ou de beurre, mais parce qu’elle me savait fasciné par la scierie voisine dont j’avais ordre de me tenir éloigné comme du diable et de la tentation. Il est vrai que cette mécanique bruyante de scies circulaires et de rubans dentelés vivants et voraces m’attirait comme la gueule d'un loup ou d'un requin ; j’attendais secrètement qu’elle emportât le doigt ou la main d’un ouvrier dont le sang serait bu par la sciure, comme dans le panier de la guillotine... La nuit, dans mes rêves, la scierie devenait un lieu de carnage où, spectateur avide et silencieux, j’assistais sans frayeur au débitage enrubanné de troncs humains dont la résine giclait comme un sang épais. J'imaginais, sur ce banc de scie, mon père en train de « faire la planche » comme à Hossegor ! Invariablement, avant le réveil, ma grand-mère me tirait par la manche avec ces paroles définitives qui résonnent encore dans mon crâne : « Ne te mêle surtout pas de ça, c’est dangereux ;  ça ne nous regarde pas ! ».

Pourquoi évoquer la scierie quand l’actualité internationale est si dense, me demanderez-vous ? Je ne saurais le dire… Peut-être parce que l’enfant sage dont je parle est le père de l’homme que je suis devenu. Me revient ce passage des Souvenirs d’enfance et de jeunesse de Renan, que m’a lu Denise l’autre soir avant de reposer son livre sur la table de nuit : « Les larmes de tous les peuples sont de vraies larmes ; les rêves de tous les sages renferment une part de vérité. Tout n’est ici-bas que symbole et songe. » Pitié, ne convoquons pas de pythie pour les décrypter !... Envie seulement de retourner visiter la scierie à l’occasion d’un déplacement dans la région. « C’est tout d’même pas Benghazi, hein ? », me dira Razibus ! J’en suis bien d’accord : nul besoin d’y dépêcher en éclaireur un philosophe qui n’a point encore compris que la barbarie a toujours et partout un visage humain, à l’instar de la bêtise.

Soyons francs : le pays ne manque pas d’actualités plus riantes. J’apprends ainsi par le quotidien régional que notre département – sans majuscule – accueille aujourd’hui l’ex-future présidente de la République, qui se remet en campagne. J’eusse aimé l’apprendre du préfet dont c'est le boulot, mais il est vrai que le pauvre homme fait ses valises ! Bon débarras ! J’évoque là sa nouvelle affectation, on l’aura compris, en rien un sentiment personnel à son égard. Bienvenue à son successeur, déjà croisé me semble-t-il sur quelque banc ! Notre-Dame de Poitiers, disais-je, nous fait donc ce jour le grand honneur de sa visite, sur le thème essentiel de l’éducation. Elle apparaîtra à la foule au Château Ségur, me dit-on, où ses fidèles ne manqueront pas de la faire comtesse. Il n’y a donc plus à craindre pour Les malheurs de Sophie puisque, emboîtant le pas à la Sofia Fiodorovna de Poitou-Charentes, le ministre de l’éducation abdique ! Quoi qu’il en dise, il se résout à transformer nos écoles en maisons de pass contraception, admettant que les petites filles ne sont hélas plus modèles ! Ma pie voleuse soi-disant hospitalière doit s’en réjouir ! Et ma grand-mère se retourner dans sa tombe… Fermée, la scierie n’est-elle pas finalement l’ultime et silencieux refuge ?

3 commentaires:

C. Dubois a dit…

Moi, ça me scie les pattes de savoir que tu représentes aujourd'hui notre république laïque à Rome pour la béatification de Jean-Paul II ! Ca serait-il pas par hasard une odeur de sainteté qui te remonterait encore de ton enfance landaise ? Tout ça, Youpi, ça sent surtout la récup' !

Anonyme a dit…

Auriez vous passé votre enfance dans le Bas-Rhin, Monsieur Youpi, que vous auriez été bien inspiré d'accorder une pensée à ce petit morceau de terre chaude qu'est le Bahrein...

Alain Youpi a dit…

Hélas, Cher(e) Anonyme, je craignais trop à cet âge le feu de l'enfer et les foudres du curé pour mettre les pieds dans le Bas-Rhin, et encore moins la main ! Qui plus est, dans les Landes comme à Bahreïn, à cause des risques d'incendie, on met très jeunes les garçons en garde contre les pétroleuses qui ont le feu au derrière.