"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

mardi 4 octobre 2011

Par tous les temps


Nonobstant l’intensité de l’information locale, nationale et internationale, la fascination des médias pour ma personne et l’impatience fébrile  des fidèles de ce blogue,  j’avoue surseoir depuis une longue semaine à la rédaction de mon billet hebdomadaire, comme si j’avais perdu le goût de l'écriture partagée et du dialogue intérieur avec autrui. Denise, qui connaît son Freud sur les extrémités digitales, craint que je ne sursoie à cause de quelque dérèglement de mon surmoi - structure morale et judiciaire un peu rigide du psychisme héritée, paraît-il, du complexe d’Œdipe. Soyons francs : cette raideur ne crève pas les yeux chez moi !

En regardant le présent dans le miroir du passé, il semble plutôt que toute ma vie j’ai sursis. Enfant surdoué, je traînais déjà le soir à faire mes devoirs, au point que ma mère me traitait de lièvre prisonnier d'une carapace de tortue. Ce n'est pas fabuler puisque je me retrouvais bien toujours premier à l’arrivée ! Ainsi, rentré à la maison, sursoyais-je invariablement, tant la désarmante simplicité du travail scolaire était une insulte insupportable à mon intelligence d'exception. Quand, en 1965, il s’agit de passer sous les drapeaux, il fallut bien sûr que je sursisse à mes obligations militaires pour l’agrégation et l’ENA, indispensables à l'accomplissement de mon destin.

Sautons des étapes pour ne pas lasser inutilement le lecteur et la lectrice. Force m’est d’admettre que, à peine devenu trente ans plus tard chef du gouvernement, j’entendis le président de la République me dire un soir de grève, renonçant au tutoiement pour le plaisir d'un subjonctif  aux relents aillés de charcuterie : « Monsieur le Premier ministre, il conviendrait que nous sursissions de toute urgence à votre réforme : battez en retraite ! » Ce qui fut fait au débotté ; je lâchai bientôt Matignon, tombé prématurément dans la gueule des socialistes. En 2007, redevenu le plus prestigieux ministre de la République à la faveur du sacre de Razibus, je perdis aussitôt mon portefeuille dans la campagne, contraint par une dame de pique sans panache ni vergogne de surseoir pour cinq ans à l’occupation de mon siège à l’Assemblée nationale.

On sait que, depuis ce temps, je sursois sans cesse à la décision de me porter candidat à la magistrature suprême, bien que constamment dans mes rêves je trône à l’Elysée, où j’honore la volonté des Françaises et des Français qui, par une pudeur incompréhensible, continuent de surseoir eux-mêmes à mon envolée dans les sondages. On voit bien là qu’Œdipe est étranger à mon histoire : je n’ai jamais tué personne, quand bien même Denise pointe que le hasard n’aurait su à lui seul me faire à la fois père et maire, non sans ambiguïté. « Comme les escargots ! », ajoute-t-elle dans un éclat de rire. Ai-je vraiment une tête de gastéropode !

Je n'ai pas tué le père en politique, disais-je, mais connais parfaitement en revanche les homards qui m’ont « tuer », ayant dû prendre sur moi une affaire morale et judiciaire dont certains esprits se sont opportunément affranchis à la faveur de l’âge et de la maladie. Oui, malheureux bouc-émissaire, je fus forcé de surseoir l'exécution d'un brillant mandat municipal, suite à une injuste condamnation à l’emprisonnement... Avec sursis, évidemment ! On n’échappe pas à son destin : si après Normale – à Dieu ne plaise ! – j’avais choisi l’enseignement plutôt que la politique, j'aurais fait dans une salle des profs toute ma carrière avec un casier ! Mais comme dit Denise, depuis cinq ans déjà à la retraite, je ne le traînerais pas aujourd'hui encore comme un boulet...

Aucun commentaire: