"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

samedi 10 décembre 2011

La mort de Gulliver


Réveillés ce matin par le téléphone, à une heure où le jour paresseux n’avait point encore décidé de se lever sur la Seine. Évidemment une amie insomniaque de Denise, pressée de rapporter sa téméraire incursion, hier soir, dans un centre social et culturel de la ville, comme s’il se fût agi d’une périlleuse expédition chez les Indiens jivaros (comparaison injuste, j’en conviens, pour une pintade dont la tête est impropre à la réduction) ! L’objet de cette aventure dans un lieu de misère ? La rencontre d’un ferrailleur aux prétentions d’artiste, venu deviser sur l’art avec trois ou quatre pelés, érigés en université populaire comme on le dit des tribunaux. Qu’on ne se méprenne pas : je ne rapporte pas cette anecdote dénuée d'intérêt pour égarer dans la ferronnerie les vrais amateurs d’art, mais parce qu’y fut évoqué Gulliver que l’artiste auto-proclamé aurait « sculpté » au chalumeau pour la mairie, avant que je ne le dessoudasse paraît-il, tel un assassin jaloux de sa hauteur.

L’auteur justement de ce gigantesque homme de fer – qu’il me pardonne d’avoir égaré son nom – ignore sans doute que je tiens Jonathan Swift pour le plus grand philosophe de tous les temps, dont mes exégètes des siècles à venir ne manqueront pas de pointer la filiation, dans une œuvre littéraire que mes détracteurs tiennent à tort pour queues de cerises. A ces derniers, infatigables Lilliputiens, je me contenterai de répondre de haut avec mon maître que, « quand un vrai génie paraît dans le monde, on le distingue à cette marque : tous les sots se soulèvent contre lui. » Grâce au Ciel et à quelques juges, si j'ai à les subir, je ne serai jamais garde des sots !

Soyons francs : dans tout ce qu’il entreprend, un homme de ma dimension a toujours l’impression d’être un marin géant échoué à Lilliput ! Je ne fais pas là allusion à l’un des plus grands chefs d’État que nous ait donné la France, non plus qu’à un brillant économiste rentré la queue entre les jambes de Washington, mais bien aux Françaises et aux Français occupés à leur fourmilière ! Il me plaît aussi parfois de penser que c’est par prémonition de mon avènement que Swift a confronté son héros à une guerre entre Lilliput et Blefuscu, île voisine, pour régler un grave différend sur le bout par quoi doivent être ouverts les œufs à la coque ! Vaste problème... Inutile de préciser que, eussé-je été Gulliver, j’aurais bien sûr pris le parti de l’œuf dur, contre Gros-boutistes et Petit-boutistes abandonnés à leurs dérisoires mouillettes !

A ce propos, sait-on que Swift avait aussi trouvé l’inspiration de son chef-d’œuvre dans une sienne mésaventure causée par le krach de 1720, lorsque la spéculation avait multiplié par près de dix la valeur d’actions imprudemment acquises, avant qu’elles ne se réduisissent en quelques jours à peau de chagrin ? On voit là que le XXIe siècle n’a pas inventé la crise, même si lui manque encore le génie littéraire capable de mettre en scène, pour la postérité, l’histoire d’un président sortant l’Europe de la crise sans bouger les pieds de sa chancelière. Attendons le dénouement de cette incroyable aventure, pour découvrir en mai, au dernier épisode, si le gigantesque Rikiki a bien trouvé un navire pour le ramener sans naufrage électoral de Lilliput à l’Elysée.

Quid de l’œuvre inoubliable du ferronnier qui m’a conduit dans les pas de Gulliver, me demande Denise ? Hélas, je dois avouer ne l’avoir jamais vue, puisqu’elle s’est curieusement dérobée à mon regard le jour même de son inauguration ! Gisant désarticulé au fond de quelque immense caveau de béton à sa mesure, dort-elle d’un sommeil inquiet dans l’attente d’un baiser de prince charmant ? Je ne saurais le dire. Si elle a néanmoins une quelconque valeur marchande, soyons confiants qu’elle finira par intéresser le marché. Comme aurait en effet dit Clemenceau, l’art, il y a des maisons pour ça ! Du moins tant que les socialistes, malgré leur légendaire bordélisme, ne s’aviseront pas pour l'interdire de l’élever au rang de prostitution...

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