"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

lundi 27 février 2012

Le grain et le galet


Une adjointe me confiait l’autre jour qu’elle garde à portée de main, sur un guéridon de son salon, un magnifique lambi rose rapporté par quelque parent des Antilles. « Outre qu’il se marie bien avec mon intérieur, précisa-t-elle, j’avoue y coller souvent mon oreille par nostalgie, pour entendre le maire. » Touchante image océane qui me renvoyait sans le vouloir à mon enfance hossegorienne, il y a soixante étés déjà. Mes coquillages étaient bien sûr plus modestes sous ces latitudes tempérées mais, rangés sous mon lit dans une modeste boîte à chaussures, ils ne m’en gardaient pas moins les rouleaux atlantiques à portée d’oreille durant l’année scolaire. Longtemps je me suis couché de bonne heure pour entendre la mer et, chaque soir avant d’éteindre ma veilleuse, maman retirait doucement un buccin magique de mon oreiller pour le rendre à ses congénères, dans la boîte en carton de son petit prodige conchyophile.

Souris au souvenir de la répartie de Denise quand, marchant avec elle sur la plage, je lui avais raconté il y a quelques années m’être endormi jusqu’à l’adolescence un coquillage collé à l’oreille : « Que tu aies grandi et couché avec des bulots éclaircit un mystère, conclut-elle. Je comprends mieux que tu supportes aussi facilement aujourd'hui tes collègues du gouvernement ! » Loin de moi cette mauvaise pensée, même si je puis admettre à la réflexion qu’elle n’est point aussi sotte qu'il y paraît… Une âme sensible et un bon tour de plume me destinaient à l’écriture plutôt qu’au cirque, je le concède, mais se dérobe-t-on à l’Histoire de France et du monde pour quelques romans, fussent-ils de probables chefs-d’œuvre ? Une solide éducation chrétienne m’a inculqué la soumission aux Desseins de Dieu en toute circonstance, quoi qu’il m’en coûtât. J’ignore si je passerai à la postérité pour mes Cerises et ma Tentation ou mon grand œuvre aux Affaires et, soyons francs, peu me chaut en vérité. Méritant l’un comme l’autre, je laisse au Ciel de décider si je dois succéder à un président de la République sous la Coupole ou à l'Elysée.

Est-ce cette histoire de conque qui m’a entraîné la nuit dernière dans un rêve maritime peu commun ? Sur une plage inconnue, me suis retrouvé, si l’on peut dire, dans la peau d’un galet roulé par le ressac d’une vague puissante, sans cesse renouvelée, dont la force décuplée par la tempête me semblait être celle de Razibus, aléatoire et un peu folle. Incapable de résister à ses coups de boutoir, je me résolus à faire le dos rond sur le sable, dans l’espoir que le gros grain n’aurait pas raison du galet au bout du compte. Judicieuse tactique : bientôt la vague lasse, épuisée, n’eut même plus la langue assez longue pour venir me lécher le caillou. Je me réveillai le crâne sec et luisant avant les assauts de la marée suivante, avec – est-ce le fruit de mon imagination ? –, un léger goût de sel sur les lèvres. Dieu, que j’eusse aimé être La Fontaine pour faire sur le champ de ce rêve une fable, ce qui hélas est indigne d’un ministre d’Etat de la République, voulût-on lui sortir les vers du nez !...

Poète, j’aurais fait de la vague Rikiki le groin aveugle d’un sanglier borné et stupide, labourant nuit et jour sans discernement les belles plages de France, histoire de bluffer laies et marcassins crédules ; et du galet poli au contraire un animal souple et courtois mais solide, élégant diplomate aussi habile à arrondir les angles qu’indispensable à l’érection des digues. Denise, plutôt dubitative, m’incite à transcender mon rêve dans une ode à la gloire du monarque, à la manière des thuriféraires roumains de feu Ceaușescu, génie des Carpates, vague puissante et lumineuse capable de réduire en poussière les misérables galets du capitalisme ! « Sors du galet, me dit-elle, et mets-y le petit Corrézien socialiste ! » Soyons sérieux, Nisa : il pourrait m’arriver un jour de manquer d’entendement
Dieu m'en garde !  mais jamais, jamais tu m’entends,  on ne me surprendra à perdre le sens du ridicule !

1 commentaire:

alphonse a dit…

Pas mal, excellence maritime, votre appel aux hiérarques chrétiens de Syrie à sortir de leur "neutralité" (quel doux euphémisme!)..!

Pour là-bas, vos idées métaphysiques super-avancées s'exhalent beaucoup plus librement que dans l'ambiance fétide de la laïcité de prédilection prônée par le Chanoine dont vous tenez la traîne...

Cela me fait penser à un aphorisme trouvé dans le "Journal d'un corps" de Pennac (Gallimard*):
"Notre voix est la musique que fait le vent en traversant notre corps.(Enfin, quand il ne ressort pas par le bas)"

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(*) et j'espère que pour le droits d'auteur, il n'y aura pas problème, pusique Pennac ne fait qu'éditer des cahiers laissés par un défunt...)