"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

mardi 18 novembre 2008

Nuits de chine


Viens de recevoir les syndicats du tramway, qui craignent pour les salaires et la productivité si leur temps de travail est annualisé par Keolis. C’est leur problème. On m’a assez répété pendant la campagne municipale que le tramway n’est pas l’œuvre du maire : qu’ils aillent donc se plaindre au brouillon cub, s’il est remis d’un méchant tour de Reims qui le fait terriblement souffrir, me dit-on. Le problème, avec les syndicats, c’est qu’ils veulent toujours travailler moins pour gagner plus, comme dirait l’autre. Ce n’est pas de la sorte qu’on va juguler la crise, croyez-moi ! Soyons francs : nul n’ignorant désormais que cette ville classée compte deux fois plus de pauvres que la moyenne nationale, j’ai autre chose à faire que de m’occuper de travailleurs nantis qui roulent au chaud en tramway. Qu’ils s’estiment donc déjà heureux qu’on n’exige pas d’eux un titre de transport !

Me suis gardé d’évoquer, devant ces fainéants revendicatifs, l’idée géniale qui m’est venue à trente mille pieds d’altitude, retour du Canada. Dans la nuit qui assombrissait progressivement les nuages, mon esprit toujours vif a conçu dans un demi-sommeil un plan qui ne devrait pas contrarier notre archevêque. L'incontestable succès de l’ouverture dominicale des magasins est la preuve, s'il en est besoin, que mes administrés plébiscitent l’étalement des achats sur leur temps de repos, quoi qu’en pensent quelques pincés du culte. Hors, ils ne se reposent pas que le week-end, mais aussi la nuit, ce que personne ne semble remarquer ! On doit donc en toute logique autoriser l’activité marchande nocturne, à l’instar du commerce de la chair. Il faut que cette ville pionnière invente le commerce durable, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept !

Outre la rentabilisation des infrastructures commer-ciales, les profits et la croissance, le dévelop-pement de l’emploi et les heures supplémentaires, cette révolution moderne offrira aux insomniaques une alternative saine et intelligente aux somnifères, anxiolytiques et autres antidépresseurs, dont notre pays fait une consommation anormalement élevée. Roselyne est bonne fille, et pharmacienne dans le civil : si les apothicaires se plaignent, je me fais fort d’obtenir qu’elle les autorise à vendre nos châteaux, dont les vertus thérapeutiques n’ont plus à être démontrées. Keolis fera naturellement rouler ses tramways toute la nuit sans interruption, pour aspirer des plus lointaines banlieues les jeunes consommateurs, qui ne traîneront plus nuitamment leur misère existentielle sur des parkings à délinquance. Ceux à qui est interdite l’entrée des boîtes de nuit, pour cause de faciès ou de pauvreté, pourront aller dans les bibliothèques municipales, dont nous assurerons également l’ouverture en permanence par des bénévoles, pour assurer le brassage nocturne des populations au-delà des camionnettes « buissonnières ». Un peu de lecture ne fera pas de mal aux pauvres, je vous l'assure, et les illettrés seront au chaud !

Nisa, qui à vérifié dans sa Bible digitale, m’assure qu’il n’y est nulle part question de nuit du Seigneur. C’est donc que Dieu, qui a le souci de la procréation mais le sommeil lourd des travailleurs de force, laisse l’homme totalement maître de son temps nocturne. Fayaux, que j’imagine au demeurant insomniaque, ne trouvera rien à redire à cette œuvre municipale de salubrité publique, de surcroît respectueuse du Livre. Peut-être même la verra-t-on, à minuit passé dans le faisceau d’un réverbère, en quête de quelque infâme tisane, ou épuisant à bicyclette son forfait Orange, enveloppée d’un improbable châle.

Seule râlera comme à l’habitude ma pie de mauvais augure, par principe prétendument républicain. Cela dit, j'en fais le pari, si j’organise à une heure du matin une cérémonie de commémoration, on la verra à mes côtés en robe de Chambre.

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