"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

dimanche 29 mars 2009

De la concupiscence

Terminé hier soir au lit un ouvrage du philosophe Levinas, dont le titre* a été curieusement emprunté à l’une de mes œuvres, cinq ans avant sa parution. J’hésite à affirmer que ce grand penseur du siècle passé a eu la prémonition de mon Thé ou Café au goût amer, mais me frappe tout de même qu’il y parle d’"amour sans concupiscence". Ce sont précisément les deux mots que j’ai cités à Catherine Ceylac il y a une semaine ; celui de la langue française que je préfère pour le premier, et que je déteste le plus pour le second. C’est troublant. J’ajoute, pour ceux des lecteurs qui m’accuseraient de mensonge, que j’étais tenu de ne citer que des noms communs. Je connais bien sûr des noms propres - si l’on peut dire - plus laids et cumulant plus d’inconvénients que "concupis-cent", mais c'est ainsi. Je reprends là les propos dont Nisa m’assure, agaçante, que je les ai prononcés avec la moue jouissive d’un enfant de chœur au confessionnal, en train de sucer comme un bonbon volé, l'air faussement innocent, un terme abscons trouvé dans le petit Larousse.

Je tiens à lever tout malentendu ! Même si je ne fais pas mystère de ma foi chrétienne et de mon adhésion sans retenue au message social de l’Eglise, mon aversion pour la concupiscence n’est nullement d’ordre théologique, au-delà de sa honteuse trinité phonétique. Des trois concu-piscences qui ont occupé saint Augustin, et plus près de nous Pascal, qu’il soit clair en effet que l’homme politique que je suis ne visait que la libido dominandi, qui entretient le désir de supériorité sociale ou intellectuelle. C’est le combat de toute une vie, qu'on m'accorde ce crédit. Croyez-moi, j’en ai affronté, dans ma longue carrière, de ces maires, de ces ministres , de ces présidents qui n’existent que pour eux-mêmes, ne se souciant que de leur ascension et de leur domination, indifférents à ceux qu’ils ne condescendront jamais à considérer comme leurs semblables ! C’est indigne ! Oui, je me reconnais dans Levinas quand il célèbre "la rupture de l’indifférence", "la vocation d’un exister pour autrui plus fort que la menace de la mort", "la gratuité du hors-de-soi-pour-l’autre". Je hais la convoitise du pouvoir et de l’argent, dont l'abjection suprême est dans les stock-options, les parachutes dorés, le mépris des administrés, l’autocratie qui confine au despotisme. Soyons francs : à quoi sert-il d’avoir toujours raison, de n’écouter jamais les autres, d’abuser du bien social qu’est l’argent de l’Etat ou d’une entreprise ? Au sens où l’entend le philosophe, je suis bien l’archétype de l’altruiste : tous les autres, sans exception, me mettent littéralement hors de moi !

Las qu’on me rappelle continuellement le surnom d’Amstrad dont je fus un temps affublé dans ma jeunesse estudiantine, façon "Hamster intelligent" chez les scouts. Cela sent son époque, fait un rien démodé. J’ai donc particulièrement apprécié que, sans que nous en ayons parlé, Denise évoque spontanément dans Thé ou Café mon habilité manuelle à son endroit, par un propos un tantinet coquin. Elle a raison : je suis fondamentalement un manuel ; on veut trop souvent l’ignorer. En d’autres termes, j’aime avoir la main. C’est du reste la moindre des choses : quand on a une femme digitale à la maison, il est bon de savoir quoi faire soi-même de ses dix doigts. Devrons-nous aller jusqu’à dévoiler un jour crument aux Français nos plaisirs tactiles à quatre mains ? Sans doute ont-ils le droit de savoir, tant il semble n’y avoir plus que cela aujourd'hui qui les intéresse. Condamnés à nous livrer, livrons-leur un autre livre.

Retour d’Afrique Noire, Razibus Zouzou raillerait partout, rapporte Le Canard, la débilité d'un titre dont, à l’en croire, le succès pourrait compromettre mes velléités ministérielles. Il ne me pardonne pas, sans doute, d’avoir le don littéraire qui fait défaut aux bavards de son espèce. Au lieu d’exercer sa jalousie à mes dépens, en choquant injustement une majorité de Français, que ne demande-t-il à son nègre élyséen d’écrire ses mémoires, à la manière de Cadichon ? D'accord, je suis méchant : selon des témoins, le pygmée aurait récemment fini "Les Mots" de Sartre, jusqu’au dernier. Je soupçonne que ce ne soit en bande dessinée. Entre nous, je lui demande de me rendre le développement durable et il me file la nausée. Qui est aussi de son maître existentialiste, et où il pourrait lire : "Pour que l'événement le plus banal devienne une aventure, il faut et il suffit qu'on se mette à le raconter." Ou à l’écrire.

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*Entre Nous, Grasset, 1991.

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