"Si tu es amer, plains-t'en." (proverbe gascon)

mercredi 28 octobre 2009

Canada Dry

Ah ! Mon cher et vieux Québec ! Te retrouver à l’automne est toujours pour moi un ravissement, tant j’aime le rougeoiement des érables sous tes soleils rasants. Ils sont mes pins, ils sont ma lande ! De l'autre côté de l'eau, qu'il est beau et généreux l'engouement de mes amis pour mes projets, mes missions, mes commissions ! Que je comprends leur immense frustration de n’avoir pu suivre en mondovision notre fantastique biennale, dont l’écho résonne encore par-delà les mers et les océans ! Oui, mon cher et vieux pays, c’est en France que je ressens parfois les affres de l’exil, bien plus que sur le noble Saint-Laurent, mon vrai fleuve d’élection. Mal du pays depuis que je t’ai quitté après cette trop courte visite... Spleen, tristesse... Le cœur de la France bat aujourd’hui au Québec comme celui d'une Rome déchue jadis à Constantinople. Ô roi barbare ! Ô Corne d’Or d’Amérique !


Soyons francs : j’ai dans la Belle Province les plus fervents soutiens à ma candidature présidentielle. On le sait peu en France, mais nos cousins d’outre-Atlantique s’indignent qu’un peuple ingrat me laisse croupir dans l’administration municipale. La semaine dernière encore, quelques amis fidèles et attentifs ont même eu là-bas la gentillesse de m’alerter sur mes traits creusés et mon teint gris. "Tu me fais penser, m’a dit Robert, à mon ti-chien qui déprime depuis que nous vivons d’s un appartement : il a le poil terne et des pellicules." L’ai rassuré, les chauves étant généralement moins exposés que la gent canine à une desquamation du cuir chevelu. "Ta mair'rie, comme on dit chez nous aut’, a ajouté Mauricette, c’t’un peu le Canada dry de l’Elysée. C’pâs ça qui doit t’soûler, Ti-Gars !" Un peu, si. J’aime tant leur fraîcheur...


Leur ai expliqué une fois encore que notre métropole n’est pas un pis-aller mais un vrai laboratoire, dont les formidables découvertes pourront bientôt bénéficier à l’ensemble des Françaises et des Français. La moindre bourgade n'exige-t-elle pas déjà son pont levant, le moindre village son grand stade, le moindre chef-lieu de canton son miroir d'eau ? On me réclame partout pour parrainer des Agendas 21, on me supplie de présider des commissions communales, d’inaugurer des éco-quartiers ; je n’ai hélas pas le don d’ubiquité pour ouvrir tous les congrès de retraités au royaume du troisième âge !


Me couchant tôt, je ne me rendrai pas non plus ce soir à la conférence de ma dame de pique. Vieillir est-il du reste une chance comme le prétendent les milliers de prospectus dont elle a pollué la ville, au mépris de nos bois et forêts ? Ce n’est pas ce que me dit le miroir que m’ont tendu mes amis du Québec. Non, vieillir sans avoir atteint le but de son existence n’est pas une chance, madame, parce que c’est manquer au dessein de Dieu et tromper l’espoir de la France ! Ce n’est pas une chance que le temps qui rétrécit comme peau de chagrin. Ce n’est pas une chance de vieillir sans un siège réservé au parlement pour s’asseoir, comme dans un bus ou un tramway ! Ce n’est pas une chance de naître président de la République et de vieillir, de mourir peut-être sans Elysée !


Camilla douce et moqueuse, Denise m’appelle son prince Charles en m’embrassant les oreilles ; elle me jure que je monterai un jour sur le trône. Oui, mais dans quel état ! C’est que le petit Hun n’a pas l’âge de la reine d’Angleterre, et il a déjà de surcroît son dauphin… Voudrait-on que mon quinquennat ressemblât aux dernières années de Mitterrand ? Que, blanche comme celle du pape, ma voiture officielle fût munie d’un gyrophare et d’une sirène ? Que mon palais fût médicalisé ? Je veux pouvoir passer mes vacances à Brégançon, voyez-vous, pas au Val-de-Grâce ou, pire encore, finir ministre d’Etat grabataire de Villepin !


Voilà, pour être sincère, ce qui m’occupait l’esprit lundi au conseil municipal, pendant que gesticulaient vainement quelques marionnettes de l’opposition. Les vieux ? Vieillir ?... J’avais des airs de Brel dans la tête, dont je n’osais trop me rappeler les paroles. On m’a trouvé les yeux hagards ? En réalité, je m’efforçais de ne pas fixer la pendule, par crainte de ce qu’elle avait à me dire, comme au salon. Et puis – l’a-t-on remarqué ? – j’ai souri en repensant à ce chien de Robert, tout là-bas, prisonnier de son appartement comme moi de cette salle de conseil ordinaire. Allons ! Vieux chien nu du Pérou, je veux croire encore à l’Eldorado quand un soleil d’été s’attarde sur les tombes, en cette veille de Toussaint. Un soleil finissant qui lui aussi inaugure les chrysanthèmes, en feignant d’oublier que son temps déjà est révolu. Maudit Tabernacle !

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Plus d'une semaine sans billet ! Avez-vous vraiment sombré dans la déprime ? On vous attend M. Youpi.